Prête-moi ta plume

  • Notices de la vie ordinaire

    Notices de la vie ordinaire, par Eric Therer, Eastern Belgium at night Editions, 2010, 58 pages, ? €.

     

    Eric Therer est fasciné par l’ordinaire. Tantôt, il expose la photo de la façade d’un grand magasin Aldi (quoi de plus banal ?), tantôt, un frigo rempli de canettes de bières (produits blancs, bien sûr).

    Ici, il s’agit de rassembler une cinquantaine d’extraits de rapports d’expertise médicale. En quelques phrases, des hommes et des femmes sont décrits,  résumés, enfermés.

    « Elle se considère incapable de maintenir un réseau social et dit ne plus en avoir la force. Elle n’entretient aucune relation amicale. Ses contacts sociaux se limitent aux relations de bon voisinage. Elle a résilié son abonnement internet ». Point.

    Une vie vide. Une vie perdue ? Une vie ordinaire.

    C’est donc une anthologie et non un ana (peut-on appeller cela un anana ?).

    Eric Therer a développé son travail en en faisant une prestation sonore, plus violente :
    https://www.youtube.com/watch?v=15hKBT9T820.

    Difficile, ensuite, de considérer les rapports d’expertise avec le même œil…

  • La fortune Gutmeyer, par Alain Berenboom

    La fortune Gutmeyer, par Alain Berenboom, Bruxelles, Genèse Éditions, 2015, 272 p., 22,50€.

     

    Ce n'est pas seulement un roman policier.

    C'est, certes, une nouvelle enquête de Michel Van Loo, le détective préféré d'Alain Berenboom, cette fois chargé par la troublante Irène de Terrenoir de retrouver l'imposteur qui, à son (très joli) nez et à sa (très précieuse) broche, est allé toucher le magot que son père, le docteur Gutmeyer, avait déposé dans une banque suisse avant de disparaître à Terezin ou à Auschwitz.

    Il y aura bien des rebondissements avant que nous découvrions le mot fin de l'histoire, qui fera voyager notre héros d'une petite pharmacie de Schaerbeek au quartier diamantaire anversois, des bureaux feutrés d'une banque bâloise aux kibboutz du naissant État d'Israël.

    C'est aussi une immersion dans la culture juive, sa permanence, sa singularité, son autarcisme, ses divisions, ses excès : ce qui fait, peut-être, que ce peuple qui s'est autoproclamé élu a souvent été persécuté.

    C'est encore une plongée dans les pages les plus sombres de l'histoire du XXe siècle : pas de blanc, rien que du gris, de toutes les intensités, jusqu'à l'anthracite.

    Mais c'est avant tout un hommage à la preuve définitive de l'existence de Dieu (lequel ? Ça, c'est une autre histoire...) : la Gueuze grenadine.

  • Robert Goffin, avocat, poète et homme de jazz, par Marc Danval

    Robert Goffin, avocat, poète et homme de jazz, par Marc Danval, Editions Le Carré gourmand, 2014, 256 p., 23,5€.

     

    « Sens-tu monter ta victoire dans ta défaite ?

    La valeur de ta vie est dans le tourbillon,

    Avec l’aile d’un phasme ou l’œil d’un papillon,

    Belle aux acropoles d’épaules et de tempes,

    Tu n’es encor qu’un peu de poitrine qui rampe,

    Sur la piste des paysages en allées,

    Où les oiseaux n’ont pas encore l’art de voler … »[1]

     

    Peut-on être à la fois un grand poète et un grand avocat ?

    Peut-on être à la fois un grand musicien et un grand avocat ?

    Peut-on être à la fois truculent, irrespectueux, frondeur, gourmand, gourmet … et un grand avocat ?

  • Somme toute (Mémoire à la barre), de Xavier Magnée

    Somme toute (Mémoire à la barre), par Xavier Magnée, Bruxelles, Avant-propos, 2014, 160 p., 16,95€

     

    « Dans le labyrinthe des apparences, la route est secrète. À ma façon, je dis la vérité ».

    Cela commence par une leçon d’humilité. Un innocent coupable que l’on croit finalement innocent et qui est pourtant coupable.

    Être avocat, c’est d’abord écouter, entendre, comprendre. Avant de parler. De dire une vérité.

    Écouter ces hommes et ces femmes qui ont perdu le fil de leur vie, qui le cherchent, qui ne le trouvent pas toujours.

    C’est un livre de souvenirs. Ceux d’une vie d’avocat. Des ombres qui passent. Des ombres d’hommes, malmenés, malmenant… Des ombres d’hommes, pas de carton.

    Les ombres de grands avocats aussi. Ceux que Xavier Magnée a côtoyés : Van Pé, Libiez, Verbruggen, De Gavre, Lafarge, Vergès, Tixier-Vignancour, …

    L’humanité se détache. Elle n’est pas toujours rose. Mais pas toujours sombre non plus.

    « Voyez-vous, le procès, surtout le procès pénal, c’est la guerre. Il faut des lois pour cela. Mais, pour les écrire, serait-il déraisonnable de prendre l’avis de quelques troupiers revenant du feu ? Ils sont, eux, les soldats de la vérité. Et l’avocat reste le seul contre-pouvoir légitime ».

    Ne pas oublier…

  • La juge de trente ans, Céline Roux

    La juge de trente ans, par Céline Roux, Paris, Seuil, collection Raconter la vie, 2014, 80 p., 5,90€.

    « Mes jambes flanchent, mes mains tremblent, mes joues me brûlent. Tenir droite, avancer, faire confiance à mon corps et me laisser guider … ». Première audience d’une juge de trente ans.

    Comment peut-on juger quand on trente ans ? Quand on pas encore vécu ? Quand on doit encore découvrir la misère humaine, les infidélités, les trahisons, la méchanceté gratuite, la cruauté, bref tout ce qui fait l’humanité ? Pour être juge, la vie il faut l’avoir vu grouiller. Dans tous les coins.

    « Vous êtes juges des enfants et  vous n’avez pas d’enfant. Comment pouvez-vous savoir ? … Ce genre de discours ne la déstabilise pas. On ne demande pas à un juge d’application des peines d’avoir été condamné… ». Ouais. Peut-être, quand même, que les deux situations sont différentes. Ou qu’il faudrait que les juges d’application des peines sachent ce qu’est la prison …

    C’est clair, j’étais prévenu en ouvrant ce livre.

    Mais quel texte lumineux !

    Juge solitaire, juge solidaire, juge au féminin, juge écrasée, juge égarée, juge engagée. Une vraie profession de foi.

  • Justice pour le Palais – Un campus Poelaert pour le justiciable, Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven

    Justice pour le Palais – Un campus Poelaert pour le justiciable, Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven (éd.), Bruxelles, filipson éditions, 2014, 2 x 51 p., 20€.

     

    Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven sont des croisés !

    Et ils sont aussi des plaideurs bien racés.

    Dans ce beau petit livre, illustré par des dessins de François Schuiten (dont on se rappelle qu’il a fait du Palais de Poelaert le Palais des trois pouvoirs dominant son Brüsel), Gal et Ever Meulen et des photographies de Marie-Françoise Plissart, ils prennent avec brio la défense de ce mastodonte un peu fou, issu de l’imagination d’un jeune architecte visionnaire de milieu du XIXe siècle.

    Il s’agissait, après deux révolutions (celles de 1789 et 1830), de marquer la place de la Justice dans ce petit État indépendant qui venait de naître au cœur de l’Europe. Le législatif et l’exécutif avaient leurs Palais. Le judiciaire aurait le sien. Monumental. Avec des dimensions dignes des grands anciens imaginés par H.P. Lovecraft. Pour que l’individu s’y sente petit mais pas écrasé.

  • Monsieur Optimiste, par Alain Berenboom

    Monsieur Optimiste, par Alain Berenboom, Genèse Edition, 2013, 242 p., 22,5€.

     

    « Récemment est paru un autre roman de Klarise Rhode, inachevé. Il semble que la mort l’ait surprise alors qu’elle devait encore en écrire, d’après le plan contenu dans ses notes, une bonne moitié. C’est un texte curieux car, contre toute logique, la partie manquante est le début. Il y a deux chapitres sur quatre, et ce sont les derniers. Pour le lecteur, il s’agit donc d’une expérience qu’on pourrait qualifier de singulière, sans pour autant aller jusqu’à la juger absurde. Ce n’est pas autrement que nous connaissons nos parents, du reste … »[1].

    Tel est, sans doute, le point de départ du onzième ouvrage d’Alain Berenboom. Remonter le temps à la recherche des premiers chapitres de la vie de ce père taiseux, en tout cas quant à ses origines, et de cette mère moderne et pragmatique, et qui ont tout fait pour effacer en lui leurs origines polonaises et lituaniennes. Pour qu’il soit un vrai Janssens, un vrai belge, dont le nom n’évoquerait qu’un arbre et des ours.

  • Le procès du dragon, par Emmanuel Pierrat

    Le procès du dragon, par Emmanuel Pierrat, Paris, Le Passage, 2015, 144 p., 16€.

     

    Sous l’ancien régime, on ne faisait pas seulement des procès aux sorcières[1] et aux hérétiques.

    On n’hésitait pas non plus à traduire en justice des animaux.

    Soit il était possible d’appréhender l’auteur du crime, un taureau qui avait tué un fermier, un porc ou un chien qui avait surpris un enfant dans son sommeil, et il était cité devant la justice séculière[2].

    Soit l’animal criminel était insaisissable – des fourmis, des sauterelles, des termites, des chenilles, des limaces, voire des tourterelles - et leur sort était alors confié à la justice ecclésiastique, chargée de les excommunier, de les exclure du grand-œuvre divin[3].

  • La nuit commencera, par Thierry Illouz

    La nuit commencera, par Thierry Illouz, Paris, Buchet-Chastel, 2014, 192 p ., 14 €.

     

    Il y a des victimes dont on ne parle jamais.

    Il y a des victimes dont personne ne parle.

    Elle est vendeuse. Parce qu’elle n’a pas terminé ses études. Alors que ses parents lui disaient que si elle ne les terminait pas, elle finirait vendeuse. Ou parce que ses parents lui ont dit que, si elle ne les terminait pas, elle finirait vendeuse.

    Elle est mère. Parce qu’un homme est passé un jour, qui l’a aimée, qu’elle a aimé. Elle en gardé ce fils qu’elle aime tant. Un fils pour lequel elle a sacrifié sa vie de femme.

    Et ce fils est maintenant un assassin.

    Face à elle, il y a ceux dont il a brisé la vie.

    Et autour d’elle, tous les autres, qui la regardent, qui chuchotent, qui se taisent lorsqu’elle arrive, qui, parfois, tentent un mot de réconfort, emprunté, maladroit, gêné, si cruel…

    La cour d’assises. Ce qui s’y dit. Ce qui ne s’y dit pas. Les creux sur lesquels le jury jugera.

    La présidente qui voudrait lui tirer des mots qu’elle ne parvient pas à prononcer. Comme un abandon.

    L’expert psychiatre qui parle d’une enfance sans père, sans repère. Comme une condamnation.

    La juge d’instruction. Professionnelle. Trente ans. Comment peut-on juger lorsque l’on n’a pas encore vécu ?

  • 100 chansons censurées, par Emmanuel Pierrat et Aurélie Sfez

    100 chansons censurées, par Emmanuel Pierrat et Aurélie Sfez, Paris, Hoebeke – Radio France éditions, 2014, 192 pages, 24,5€.

     

    C’est un hymne à la liberté d’expression, particulièrement bienvenu en ce début d’année 2015.

    Après ses 100 livres censurés (2010), ses 100 images qui ont fait scandale (2011) et ses 100 œuvres d’art censurées (2012), notre confrère parisien Emmanuel Pierrat joint ses forces à celles de la journaliste Aurélie Sfez pour explorer le monde de la chanson.

    Anastasie y a aussi fait des ravages. Et parfois de façon inattendue.

    On n’est pas étonné, bien sûr, de retrouver dans cet inventaire à la Prévert, des titres comme les très engagés Le déserteur de Boris Vian et Parachutiste de Maxime Le Forestier, les très sulfureux Je t’aime, moi non plus et Aux armes, etc. de Serge Gainsbourg ou les très impertinents Miss Maggie de Renaud et God save the Queen des Sex Pistols.

    Moins connus, mais tout aussi évidents le très direct Give Ireland back to the Irish de Paul McCartney, le libertin Embrouille Minet de Bobby Lapointe ou l’odieux Sale pute de Orelsan.

Pages