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Chroniques de prétoire

Chroniques de prétoire, par Michèle Bernard–Requin, Paris, 2011, Les carnets de l’info, 205 p., 17 €.

 

« Personne ne peut vivre impunément aussi longtemps dans ces tristes palais dits « de justice » sans éprouver un jour le désir impérieux d’en sourire, de dessiner à la fois quelques caricatures qui sont autant de dénonciation des impostures quotidiennes et de raconter les instants tragicomiques qui soudain, par inadvertance, viennent surprendre le juge et l’avocat ».

Voilà le projet, posé en quelques lignes.

Michèle Bernard–Requin a été avocat (et secrétaire de la Conférence au barreau de Paris), puis substitut. Ensuite, elle a décidé de boire le verre des juges et est devenue magistrat, notamment présidente de cour d’assises. Devant, dans les coulisses, sur le côté, au centre, elle est donc un témoin privilégié, puisqu’elle a participé à la justice sous tous les angles.

Le but n’est pas d’analyser, de dénoncer, de prêcher ou de convertir. Il s’agit, plus simplement, de dresser un tableau pointilliste, par petites touches d’humanité, en comptant des historiettes ou des anecdotes.

Certaines sont savoureuses, comme celles de ce magistrat infatué, présidant avec une autorité grandiloquente une cour d’assises devant laquelle comparaissait un père incestueux et qui entendit dire une des jeunes victimes, dans un de ces instants de silence inattendu, « regarde celui-là, on dirait vraiment un père Noël ». Il y a cette magistrate qui aurait voulu être comédienne et à laquelle un président de cour d’assises enroué, confie, à brûle-pourpoint, le soin de lire un procès-verbal, et qui, oubliant la solennité des lieux, se met à lire avec emphase, comme si elle tournait un bout d’essai à la Century fox.

Apparaissent ainsi des images que nous connaissons bien. Les difficultés liées au statut de magistrat féminin (comme cette fois où, vers minuit, au pied de son immeuble de Neuilly, elle attendait la voiture des policiers qui devaient l’emmener en descente sur les lieux d’un crime et où elle fut presque interpellée par une brigade mondaine en quête de péripatéticienne. Les tracas du magistrat débordé (cette image du substitut qui n’a pas eu le temps de maîtriser son dossier, qui l’épluche à l’audience en interrogeant un prévenu sans le regarder, se fâche en entendant ces dénégations et finit par se rendre compte de son erreur lorsqu’enfin il relève la tête et s’aperçoit qu’il n’a pas devant lui un prévenu africain aux multiples identités mais un immigrant vietnamien…). Le difficile rapport à l’argent des jeunes avocats (« Avocat, j’avais dû me tromper de siècle trouvant certes légitime de recevoir des honoraires…mais honteux de les demander…les prévenus démunis, les femmes battues ou abandonnées, les jeunes violées et isolées, comment leur dire tranquillement : « sans argent pas de Suisse » ? »).

Au bout du compte, reste la difficulté de vivre la justice lorsqu’on l’aime, lorsqu’on vit pour elle, lorsque l’on ne la considère pas comme une institution ou un métier, mais comme un engagement ou une valeur.

« C’est enfin cette rage impuissante qui saisit parfois l’avocat lorsqu’il sait que sa cause est juste et constate que le juge ne peut pas prendre le temps de l’entendre, qu’il se trompe sur le texte applicable ou la dernière jurisprudence, et qui ne comprend pas la réalité du litige, par légèreté ou impéritie. Cette colère muette et douloureuse qu’il éprouve lorsqu’il sait que c’est lui, l’avocat, qui va devoir anoncer un résultat à la fois injuste et catastrophique à celui ou celle qui lui avait fait confiance et qui lui donne envie d’écarter le juge et de rédiger à sa place ».