Prête-moi ta plume

  • Gedacht, par Koen geens

    Gedacht, par Koen Geens, Louvain, Lannoo Campus, 2023, 280 pages, 22,50 euros.

    15 février 2022.

    Dimanche à l'Ancienne Belgique, c'était Arno worst ou sa dernière représentation. Il vit maintenant. Il a chanté dix-sept chansons avec Stromae, pour sortir ce soir. Il faut le faire. Lorsque nous avons célébré ma mère à son enterrement, ma dernière phrase a été : « Dans les yeux de ma mère, il y aura toujours une lumière ». Il y aura. Les mères ne meurent pas. Arno non plus.

    Du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2022, Koen Geens a consigné régulièrement des textes de 5 à 10 lignes, que lui inspirait l’actualité. En 2023, à l’occasion de l’édition du liber amicorum qui lui a été dédié, il a eu la bonne idée de les publier.

    Bon, le titre Pensée (tiens pourquoi au singulier ? j’imagine qu’il y a là une particularité du néerlandais qui m’échappe) peut paraître un peu prétentieux, mais « Journal » l’aurait-il été moins ?

    C’est en tout cas une belle occasion de parcourir ces années qui ont vu les crises se succéder. La fin d’Obama, Trump, Biden… mais aussi l’époque où Koen Geens fut lui-même ministre de la Justice et où il entreprit sa vaste campagne de réformes législatives. Et les années Covid.

    Gedacht par Koen Geens | La Tribune

  • Rien ne va plus et Lettre à Dieu le Fils, de Jean-Denis Bredin

    Rien ne va plus, par Jean-Denis Bredin, Paris, Fayard, 2000, 214 pages, 15,30 euros.

    Lettre à Dieu le Fils, par Jean-Denis Bredin, Paris, Grasset, 2001, 126 pages, 14,45 euros.

    Auguste Poisson savait maintenant quelle était sa vocation, depuis le premier jour : il était né pour défendre les victimes.

    En rangeant la bibliothèque de mes parents, je suis retombé sur ces deux petits ouvrages écrits par Jean-Denis Bredin à l’aube de ce siècle, à l’époque où il était venu donner une conférence à Liège.

    Rien ne va plus est un recueil de nouvelles. Particulièrement cohérent. Douze personnages. Douze histoires. Douze dérives. Douze solitudes.

  • Personne morale, par Justine Augier

    Personne morale, par Justine Augier, Arles, Actes Sud, 288 pages, 22 euros.

    Où est donc votre fameuse justice ? On entend partout que pour être libres et voir ses droits respectés, il faut aller en Europe ; mais quelle différence finalement avec notre pays, dans lequel on peut être tués sans que personne ne s’en préoccupe ?

    Élise m’a dit qu’elle et les autres exploraient d’autres voies. Je ne sais pas. Sommes-nous vraiment exclus à cent pour cent ? J’ai quand même l’impression qu’il nous reste une petite chance…

    Romancière et essayiste française (elle a notamment obtenu le prix Renaudot en 2017 pour son ouvrage De l’ardeur, dans lequel elle raconte l’histoire de l’avocate et militante des droits humains syrienne Razan Zaitouneh, prix Sakharov et prix Anna-Politkovskaïa en 2011, prix Petra Kelly en 2014, disparue en 2013 et dont on est toujours sans nouvelle – sans doute a-t-elle été enlevée et exécutée par un groupe terroriste dissident, à moins que ce ne soit par la police de Bachar al-Assad), Justine Augier a suivi le travail d’une équipe de jeunes juristes – presque toutes des jeunes femmes, cela doit être souligné – qui se sont lancées dans une croisade contre cet ex-fleuron de l’industrie française (il est aujourd’hui une filiale du groupe Holcim), qui n’a donc pas hésité à financer des groupes terroristes pour tenter de protéger les intérêts de ses actionnaires.

  • Mémoires drolatiques, par Hippolyte Wouters

    Mémoires drolatiques, par Hippolyte Wouters, Bruxelles, 76 pages, 14 euros (à commander à l’adresse hippolyte@wouters-theatre.com et à payer au compte BE12 0637 5061 1192).

    Le Président : « Pourquoi avez-vous donné un coup de pied dans le ventre de votre belle-mère ? »

    Le prévenu : « Parce qu’elle s’est retournée, monsieur le Président ! »

    Au cours de sa longue carrière (on approche la septantaine d’années), Hippolyte Wouters en a entendu de belles ! Il nous en livre quelques-unes dans ce joyeux petit recueil.

  • Une autre justice est possible, par Bruno Dayez

    Bruno Dayez, clôturant une série de six petits essais sur la justice pénale, nous livre, un peu comme un testament, son rêve d'une justice qui répondrait aux réels besoins des justiciables et non à une fonction purement symbolique.

    Ce que fait notre justice pénale, c’est conforter le système établi en punissant pour l’exemple quelques milliers d’infracteurs soigneusement sélectionnés pour convaincre le public de rester dans les clous. Il s’agit d’une opération à haute teneur symbolique, consistant à donner à croire.

    (…)

    La justice pénale n’a jamais eu l’ambition de juguler la criminalité ni la délinquance, ni seulement l’ambition de la réduire dans des proportions significatives. Elle se contente d’apporter une réponse purement symbolique à des problèmes qui, eux, sont bien réels.

    Que faudrait-il pour que la justice pénale permette réellement d'endiguer le crime, de réparer partiellement les torts causés par les délinquants, de réinsérer dans la société ceux qui ont commis des infractions, d'endiguer la récidive ?

     

  • Poste restante, par Frédéric Kurz

    Poste restante, par Frédéric Kurz, Liège, Murmure des soirs, 2024, 194 pages, 16 euros.

     

    « Si j’avais le pouvoir de Staline, je ne le gaspillerais pas à réduire au silence les romanciers. Je réduirais au silence ceux qui écrivent sur les romanciers. J’interdirais toute discussion publique de la littérature dans les journaux, les magazines et les revues spécialisées. J’interdirais l’enseignement de la littérature dans les établissements scolaires, du primaire au supérieur en passant par le secondaire. Je prohiberais les groupes de lecture et les chats de discussion sur les livres sur Internet, et je mettrais sous surveillance les libraires pour vérifier qu’aucun vendeur ne parle de livres avec un client, et que les clients n’osent pas se parler entre eux. Je laisserais les lecteurs seuls avec les livres, pour qu’ils puissent en faire ce qu’ils veulent en toute liberté. Je ferais cela pendant autant de siècles qu’il faudrait pour désintoxiquer la société de votre charabia ».

    Cher Frédéric Kurz,

  • Rimbaud / Verlaine, une affaire insolite, par François Swennen

    Rimbaud/Verlaine, une affaire insolite, par François Swennen, Paris, Cohen & Cohen, 2024, 96 pages, 21 euros.

    Les juges de Bruxelles ne se sont pas fatigués avec le dossier de Paul. Ils ont dit pour droit : « À Bruxelles, le dix juillet mil huit cent septante-trois, Paul Verlaine a volontairement porté des coups et blessures ayant entrainé une incapacité de travail personnel à Arthur Rimbaud ». C’est tout. Dans l’enchainement, ils lui ont infligés la peine la plus sévère édictée par leur code – deux ans d’emprisonnement – pour ce délit, sans aucune autre justification que celle, nauséabonde, qu’ils n’ont pas eu l’honnêteté, ou le courage, ou simplement l’envie, de dévoiler dans les attendus de leur jugement. Ils ont peut-être aussi, tout bêtement, buté sur le mot à choisir – immorales ou plutôt contre-nature – et trouvé moins périlleux, et surtout plus confortable, de se taire.

    Ainsi s’exprime l’un des trois témoins que François Swennen a convoqués pour donner un nouvel éclairage sur cette étrange – insolite ? – affaire : le 10 juillet 1873 à Bruxelles, Paul Verlaine tire deux coups de feu sur son jeune amant, Arthur Rimbaud.

  • Cabane, par Abel Quentin

    Cabane, par Abel Quentin, Paris, Les Éditions de l’Observatoire, 2024, 480 pages, 22 euros.

    Au début des années ’70, le professeur Stoddart, qui enseigne la dynamique des systèmes à Berkeley et qui a veillé à ce que son université soit à la pointe des développements informatiques, demande à quatre étudiants de modéliser l’évolution de notre monde. Leur cahier des charges : « analyser les causes et les conséquences à long terme de la croissance sur la démographie et sur l’économie mondiale », en croisant les données relatives à la pollution, la production industrielle, la consommation, les ressources non renouvelables et la démographie mondiale.

    Il y a d’abord Mildred, la plus âgée, assistante de Stoddart, qui prendra la tête de l’équipe. Il y a Eugene Dundee, fils d’un pasteur mormon, qui deviendra son époux. Il y a Quérillot (prononcez « kerioth », comme l’iscariote en hébreu), un jeune français arriviste. Et il y a Gudsonn, un mathématicien norvégien, un peu égaré dans cette équipe d’économistes, visionnaire mais quelque peu instable.

    Il en sort neuf courbes. L’une d’elle n’est pas catastrophique. Mais elle est fondée sur un scénario irréaliste : que le monde prenne immédiatement conscience des dangers de la croissance et adopte illico des comportements plus responsables… Toutes les autres mènent à la catastrophe, à horizon seconde moitié du XXIe siècle. Un peu plus tôt, un peu plus tard…

     

  • Le droit saisi par l'art, sous la direction de Rémy Cabrillac

    Le droit saisi par l’art, sous la direction de Rémy Cabrillac, Paris, Dalloz, 2023, 296 pages, 35 euros.

    « Je veux faire des dessins qui frappent ».

    C’est ce que Vincent Van Gogh écrivit à son frère Théo. Est-ce le point de départ de l’entreprise de Rémy Cabrillac, qui s’est adressé à une bonne trentaine de juristes, surtout des professeurs d’université, pour leur demander choisir une œuvre d’art pour livrer aux lecteurs les émotions et réflexions qu’elle suscitait en eux ?

    Ainsi défini, le projet se comprend mieux qu’à la seule lecture du titre de l’ouvrage. Car, à dire vrai, peu de contributions traitent vraiment d’hypothèses où l’artiste a saisi le droit. Il y a certes La ronde des prisonniers, de Van Gogh, que Rémy Cabrillac analyse lui-même, montrant comment l’artiste a mis en scène le monde carcéral, parvenant à saisir dans le regard du personnage central toute la misère de notre droit pénal : le sort le met dans une société si mal faite, qu’il finit par voler ; la société le met dans une prison si mal faite, qu’il finit par tuer. Qui est réellement coupable ? interrogeait Victor Hugo dans Claude Gueux...

    Le droit saisi par l’art, sous la direction de Rémy Cabrillac | La Tribune

  • Assises, par Tiphaine Auzières

    Assises, par Tiphaine Auzières, Paris, Stock, 2024, 270 pages, 20,90 euros.

    « Madame la présidente, jusqu’à aujourd’hui, j’ai eu honte souvent. Je me demandais ce que j’avais fait pour être harcelée ainsi. Et je me disais souvent qu’il ne fallait pas faire une histoire de "toutes ces petites blagues" de M. Ray, comme il dit. Si vous saviez comme j’en ai souffert et comme je m’en voulais de n’être pas capable de passer au-dessus ! Qui le pourrait ? Si je n’y suis parvenue, je pense que ce sera pareil pour d’autres. Je vous le demande, madame le juge, faites-le taire, pour qu’il ne s’en prenne pas à de nouvelles personnes. Je m’exprime sûrement mal mais, du fond du cœur, je crois qu’il n’y a que cela qui pourra me rendre le sommeil ».

    ...

    Et puis, il y a Laura, qui s’est révoltée et qui a tué ce mari qui la persécutait, d’un coup de couteau à steaks dans la gorge, alors qu’il s’apprêtait, une nouvelle fois, à la violer sur l’évier de la cuisine, en lui assurant qu’elle hurlerait tellement fort que son fils l’entendrait. Laura qui comparaît aujourd’hui aux assises, poursuivie par la vindicte de la famille de cet odieux David, pour qui elle n’avait qu’à se soumettre ou à se plaindre à la police…

    Et, surtout, il y a Diane, brillante avocate pénaliste, qui défie l’avocat général chargé de requérir contre Laura en lui assurant qu’elle « n’engage aucun duel, elle les gagne ».

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