Prête-moi ta plume

  • Justice pour le Palais – Un campus Poelaert pour le justiciable, Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven

    Justice pour le Palais – Un campus Poelaert pour le justiciable, Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven (éd.), Bruxelles, filipson éditions, 2014, 2 x 51 p., 20€.

     

    Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven sont des croisés !

    Et ils sont aussi des plaideurs bien racés.

    Dans ce beau petit livre, illustré par des dessins de François Schuiten (dont on se rappelle qu’il a fait du Palais de Poelaert le Palais des trois pouvoirs dominant son Brüsel), Gal et Ever Meulen et des photographies de Marie-Françoise Plissart, ils prennent avec brio la défense de ce mastodonte un peu fou, issu de l’imagination d’un jeune architecte visionnaire de milieu du XIXe siècle.

    Il s’agissait, après deux révolutions (celles de 1789 et 1830), de marquer la place de la Justice dans ce petit État indépendant qui venait de naître au cœur de l’Europe. Le législatif et l’exécutif avaient leurs Palais. Le judiciaire aurait le sien. Monumental. Avec des dimensions dignes des grands anciens imaginés par H.P. Lovecraft. Pour que l’individu s’y sente petit mais pas écrasé.

  • Monsieur Optimiste, par Alain Berenboom

    Monsieur Optimiste, par Alain Berenboom, Genèse Edition, 2013, 242 p., 22,5€.

     

    « Récemment est paru un autre roman de Klarise Rhode, inachevé. Il semble que la mort l’ait surprise alors qu’elle devait encore en écrire, d’après le plan contenu dans ses notes, une bonne moitié. C’est un texte curieux car, contre toute logique, la partie manquante est le début. Il y a deux chapitres sur quatre, et ce sont les derniers. Pour le lecteur, il s’agit donc d’une expérience qu’on pourrait qualifier de singulière, sans pour autant aller jusqu’à la juger absurde. Ce n’est pas autrement que nous connaissons nos parents, du reste … »[1].

    Tel est, sans doute, le point de départ du onzième ouvrage d’Alain Berenboom. Remonter le temps à la recherche des premiers chapitres de la vie de ce père taiseux, en tout cas quant à ses origines, et de cette mère moderne et pragmatique, et qui ont tout fait pour effacer en lui leurs origines polonaises et lituaniennes. Pour qu’il soit un vrai Janssens, un vrai belge, dont le nom n’évoquerait qu’un arbre et des ours.

  • Le procès du dragon, par Emmanuel Pierrat

    Le procès du dragon, par Emmanuel Pierrat, Paris, Le Passage, 2015, 144 p., 16€.

     

    Sous l’ancien régime, on ne faisait pas seulement des procès aux sorcières[1] et aux hérétiques.

    On n’hésitait pas non plus à traduire en justice des animaux.

    Soit il était possible d’appréhender l’auteur du crime, un taureau qui avait tué un fermier, un porc ou un chien qui avait surpris un enfant dans son sommeil, et il était cité devant la justice séculière[2].

    Soit l’animal criminel était insaisissable – des fourmis, des sauterelles, des termites, des chenilles, des limaces, voire des tourterelles - et leur sort était alors confié à la justice ecclésiastique, chargée de les excommunier, de les exclure du grand-œuvre divin[3].

  • La nuit commencera, par Thierry Illouz

    La nuit commencera, par Thierry Illouz, Paris, Buchet-Chastel, 2014, 192 p ., 14 €.

     

    Il y a des victimes dont on ne parle jamais.

    Il y a des victimes dont personne ne parle.

    Elle est vendeuse. Parce qu’elle n’a pas terminé ses études. Alors que ses parents lui disaient que si elle ne les terminait pas, elle finirait vendeuse. Ou parce que ses parents lui ont dit que, si elle ne les terminait pas, elle finirait vendeuse.

    Elle est mère. Parce qu’un homme est passé un jour, qui l’a aimée, qu’elle a aimé. Elle en gardé ce fils qu’elle aime tant. Un fils pour lequel elle a sacrifié sa vie de femme.

    Et ce fils est maintenant un assassin.

    Face à elle, il y a ceux dont il a brisé la vie.

    Et autour d’elle, tous les autres, qui la regardent, qui chuchotent, qui se taisent lorsqu’elle arrive, qui, parfois, tentent un mot de réconfort, emprunté, maladroit, gêné, si cruel…

    La cour d’assises. Ce qui s’y dit. Ce qui ne s’y dit pas. Les creux sur lesquels le jury jugera.

    La présidente qui voudrait lui tirer des mots qu’elle ne parvient pas à prononcer. Comme un abandon.

    L’expert psychiatre qui parle d’une enfance sans père, sans repère. Comme une condamnation.

    La juge d’instruction. Professionnelle. Trente ans. Comment peut-on juger lorsque l’on n’a pas encore vécu ?

  • 100 chansons censurées, par Emmanuel Pierrat et Aurélie Sfez

    100 chansons censurées, par Emmanuel Pierrat et Aurélie Sfez, Paris, Hoebeke – Radio France éditions, 2014, 192 pages, 24,5€.

     

    C’est un hymne à la liberté d’expression, particulièrement bienvenu en ce début d’année 2015.

    Après ses 100 livres censurés (2010), ses 100 images qui ont fait scandale (2011) et ses 100 œuvres d’art censurées (2012), notre confrère parisien Emmanuel Pierrat joint ses forces à celles de la journaliste Aurélie Sfez pour explorer le monde de la chanson.

    Anastasie y a aussi fait des ravages. Et parfois de façon inattendue.

    On n’est pas étonné, bien sûr, de retrouver dans cet inventaire à la Prévert, des titres comme les très engagés Le déserteur de Boris Vian et Parachutiste de Maxime Le Forestier, les très sulfureux Je t’aime, moi non plus et Aux armes, etc. de Serge Gainsbourg ou les très impertinents Miss Maggie de Renaud et God save the Queen des Sex Pistols.

    Moins connus, mais tout aussi évidents le très direct Give Ireland back to the Irish de Paul McCartney, le libertin Embrouille Minet de Bobby Lapointe ou l’odieux Sale pute de Orelsan.

  • L’affaire Collini, par Ferdinand von Schirach

    L’affaire Collini, par Ferdinand von Schirach, Paris, Gallimard, 2014, 151 pages, 16.9 €.

     

    « Vous êtes avocat. Vous devez faire ce que font les avocats ».

    Il y a dans cette phrase tous les défis auxquels notre profession est aujourd’hui confrontée.

    Cette déontologie qui est notre force et que nous devons préserver.

    Ce conformisme qui pourrait ne pas nous permettre de l’adapter au monde d’aujourd’hui.

    Mais dans le contexte de ce beau récit, elle tient plus du romanesque que de notre réalité. Caspar Leinen, jeune avocat berlinois qui vient d’être désigné pour sa première affaire d’assises, doit-il accepter la défense de Fabrizio Collini, l’assassin du grand-père de son meilleur ami d’enfance ?

    « Et alors ? », lui répond le vieil et brillant pénaliste qui sera son adversaire. « Dans votre prochain procès, le meurtre vous fera penser à quelque élément tragique de votre enfance. Et dans celui d’après, vous ne cesserez de songer à cette ancienne amie qui a été violée… »

    Il accepte donc. La suite montre qu’il saura préserver son indépendance même s’il évolue dans un contexte qu’aucun bâtonnier n’accepterait.

  • Indulgences, par Jean-Pierre Bours

    Indulgences, par Jean-Pierre Bours, 2014, Paris, Editions Hervé Chopin, 416 p., 22 €.

     

    Le mal est au cœur du bien.

    Comment mieux en être persuadé qu’en entrant dans ce seizième siècle, à Wittenberg, avec Eva et Gretchen, avec Luther et Cranach, avec le docteur Faust et Frédéric III le Sage ?

    Il y avait la guerre et la peste. Il y avait les soudards et les pillards. Il y avait la dîme et le sou commun.

    Mais surtout la chasse aux fausses sorcières, le trafic d’indulgences, la luxure du clergé.

    Et l’inquisition. La justice était devenue un jeu. Des chats et, face à eux, une souris. Des lettrés qui avaient pour mission de contraindre de jeunes femmes, souvent des paysannes analphabètes, à avouer qu’elles avaient copulé avec le diable, qu’elles se rendaient au Sabbat avec lui en chevauchant des balais, qu’elles empoisonnaient hommes et bêtes et qu’elles pouvaient transformer les sexes en un bouquet de serpents … Pas d’avocat. Rien que des monstres qui, pour arriver à leurs fins usaient d’abord de ruses et de ficelles, puis qui recourraient à la question. Avec plaisir ? Sans doute…

    Le bien avait produit l’horreur absolue.

    Eva et Gretchen, la mère et la fille, tentent de se retrouver dans ce siècle de terreur et de folie. Eva et Gretchen, deux femmes qui luttent.

  • Révélation dans la taïga, par Alain Lebrun

    Révélation dans la taïga, par Alain Lebrun, Paris, Transboréal, 2014, 231 pages, 10,90€.

     

    Est-ce un roman d’espionnage écrit par un naturaliste ? Ou un récit de voyage écrit par un espion ?

    Un Bob Morane écolo ou un Pétrarque militant ?

    Au-delà de l’histoire (John, un jeune amoureux de la nature, est chargé par les services secrets anglais d’aller récupérer dans la presqu’île de Kola, au Nord de l’U.R.S.S. de Brejnev, tout près de la frontière norvégienne, les plans d’une nouvelle arme fatale. Après l’avoir récupérée, il s’enfuit en compagnie de Yoki, une jeune et charmante Saami, avec bientôt toute l’armée russe à ses trousses), ce qui frappe c’est la fascination d’Alain Lebrun pour la terre-mère. Même avec trois hélicoptères et deux Antonov qui tournent autour de lui, une meute de chiens pisteurs et cinq cents hommes à ses trousses, notre héros reste sous le charme d’une berce-des-prés ou d’un gobe-mouche.

    Et puis, il y a ce cri d’amour pour la Terre, cette profession de foi paganiste, cette dénonciation de la violence des religions du livre, de tous les machismes. « Ressentir la flétrissure de la violence, c’est s’en vacciner ; pressentir la beauté, c’est la refléter », dit Yoki. Si cela pouvait être vrai …

  • Jacques Vergès, l’ultime plaidoyer, entretien avec François Dessy

    Jacques Vergès, l’ultime plaidoyer, entretien avec François Dessy, l’Aube, 2014, 176 p., 16,80 €.

     

    Pourquoi les avocats sont-ils si redoutés, au point que les dictateurs ne cessent de les menacer, de les emprisonner, de les exécuter, de les assassiner ?

    Sans doute parce qu’ils brisent les lignes. Celles qui séparent le vrai du faux, l’innocence de la culpabilité, le bien du mal.

    « Le mot ‘humanité’ au singulier désigne à la fois le genre humain dans sa totalité et le sentiment de compassion que chacun doit éprouver pour tous ses semblables. S’il est un mot qui exclut l’exclusion, c’est bien celui-là. L’humanité c’est tous ou personne », dit Jacques Vergès.

    Vergès les a défendu tous, les héros et les criminels. Mais où est la ligne qui sépare les uns des autres ? Est-ce seulement la victoire qui les distingue ? Les auteurs de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen sont aussi ceux qui ont fait régner la terreur. Benjamin Franklin est du camp de ceux qui ont massacré (génocidé ?) les indiens. Où classer Mandela, le Che, Mao, Ali Bhutto, Omar Bongo, Laurent Gbagbo, Barbie, Carlos ? L’histoire a dit. L’histoire dira. Mais est-elle un juge intègre ?

  • Roland Dumas, le virtuose diplomate, par François Dessy

    Roland Dumas, le virtuose diplomate, entretien avec François Dessy, l’Aube, 2014, 270 p., 22 €.

     

    « Ce sont les minorités qui font le changement. Quelquefois elles ont raison, parfois elles ont tort, mais qu’est-ce qui fait le tort et la raison ? C’est le succès, c’est le vainqueur. C’est le vainqueur qui a raison ».

    Cette phrase de Roland Dumas renvoie, comme un écho, aux propos de Jacques Vergès, auquel François Dessy avait consacré son premier « Grand entretien ». Mais Dumas a fini par choisir le camp des vainqueurs. Cela fait une énorme différence.

    Il fut l’avocat de Pierre Mendès-France, de Tixier-Vignancour, de Jean Genet, de Chirico, de Braque, de Chagall, de la famille Giacometti. Et bien sûr de Francis Jeanson, de François Mitterand. Et aussi de Lacan. Et aussi de Picasso.

    Il fut le ministre des affaires étrangères de Mitterand, avant d’être, sept ans durant, président du Conseil constitutionnel.

    Une incroyable carrière pour ce fils d’un fonctionnaire des impôts, exécuté par les nazis durant la guerre 40-45.

    C’est autour de ce parcours que tourne la conversation. C’est brillant. C’est cultivé. C’est éclairant. Un peu trop complaisant sans doute. Un peu trop p(h)arisien à mon goût. Ou un peu trop politique et pas assez avocat. Un peu trop historiettes et pas assez débats.

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