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Monsieur Optimiste, par Alain Berenboom

Monsieur Optimiste, par Alain Berenboom, Genèse Edition, 2013, 242 p., 22,5€.

 

« Récemment est paru un autre roman de Klarise Rhode, inachevé. Il semble que la mort l’ait surprise alors qu’elle devait encore en écrire, d’après le plan contenu dans ses notes, une bonne moitié. C’est un texte curieux car, contre toute logique, la partie manquante est le début. Il y a deux chapitres sur quatre, et ce sont les derniers. Pour le lecteur, il s’agit donc d’une expérience qu’on pourrait qualifier de singulière, sans pour autant aller jusqu’à la juger absurde. Ce n’est pas autrement que nous connaissons nos parents, du reste … »[1].

Tel est, sans doute, le point de départ du onzième ouvrage d’Alain Berenboom. Remonter le temps à la recherche des premiers chapitres de la vie de ce père taiseux, en tout cas quant à ses origines, et de cette mère moderne et pragmatique, et qui ont tout fait pour effacer en lui leurs origines polonaises et lituaniennes. Pour qu’il soit un vrai Janssens, un vrai belge, dont le nom n’évoquerait qu’un arbre et des ours.

Qui était ce Chaïm Berenbaum, ou Birnbaum ou Barenboïm, génial apothicaire qui avait fui la Pologne peu après la guerre 14-18, et cette Kika qui, de 1940 à 1942, en pleine traque des juifs, ne cessa de harceler toutes les autorités imaginables pour tenter de récupérer sa valise perdue dans le bombardement de Boulogne ?

Et nous voici dans le grenier de la maison familiale, parcourant le vingtième siècle, de Maków, petite ville polonaise, à Bruxelles, en compagnie de Frania, Aba, Sara, Esther et Nunia, de Fons Van Overstraete, un obscur cycliste des années 30, d’Adamo et de Tintin.

L’entreprise a quelque chose de décourageant, comme tout travail d’historien. Chaque nouvelle découverte révèle de nouvelles zones d’ombre. « Où est donc cette fichue vérité à la recherche de laquelle je me suis attelé depuis des mois », tonne Alain Berenboom à la fin de son ouvrage. « Quel est donc ce bon Dieu de secret que mon père a tenté de cacher avec la complicité de ma mère ? Quels mystérieux et dangereux personnages, quelles forces inquiétantes, a-t-il voulu me dissimuler pour qu’ils ne me brûlent pas les ailes ? ».

Mais, à la différence de beaucoup d’historiens, il ne triche pas. L’ombre restera l’ombre et les points d’interrogations ne s’effaceront pas. L’histoire est donc incomplète. Et c’est ainsi qu’elle doit être.

Elle nous livre un superbe tableau du siècle passé, beau comme un Manet ou un Toulouse-Lautrec. Et quelques belles leçons d’humanité.

« Quand elle était prisonnière dans le ghetto, ta grand-mère se faisait un point d’honneur de se laver les dents tous les jours. Alors, montre-toi digne d’elle ».



[1]Alessandro Baricco, Mr Gwyn, Gallimard, 2014, p. 183.