Prête-moi ta plume

  • Le chemin des morts, par François Sureau

    Le chemin des morts, par François Sureau, Paris, Gallimard, 2013, 55 pages, 7.5 €.

     

    C’est un tout petit récit mais il ne laisse pas indemne.

    Dans une autre vie, François Sureau, aujourd’hui avocat à Paris, a été auditeur au Conseil d’État. En cette qualité, il a été amené à siéger au sein de la Commission de recours du droit d’asile, équivalent, mais avant la lettre, de notre Conseil du contentieux des étrangers.

    Il y a vu la règle s’affronter à la justice, la raison d’État à la raison, la machine à l’homme.

    Javier Ibarrategui, un dissident basque modéré, eût à comparaître devant lui au moment où, le Franquisme ayant cédé, l’Espagne retrouvait sa place au sein des Nations démocratiques. Ibarrategui se disait en danger de mort s’il devait rentrer au pays. C’était l’époque où les sinistres G.A.L. (Groupes antiterroristes de libération) œuvraient encore en toute impunité.

    Qui fallait-il condamner : l’Espagne ou l’homme qui était devant lui ?

    Ce jour-là, la décision prise n’était sans doute pas la bonne. Comme, de nos jours, lorsque nous renvoyons un Afghan ou un Syrien se faire tuer chez lui…

    Ibarrategui n’est pas tout à fait mort, cependant. Il revit en François Sureau. Il est à ses côtés chaque fois qu’il hésite entre courage et lâcheté, entre confort et engagement. Comme un moteur auxiliaire.

  • Éthers noirs, par Michel C.J. Westrade

    Éthers noirs, par Michel C.J. Westrade, Mouscron, Chloé des Lys (www.editionschloedeslys.be), 2013, 122 pages, 13,5 €.

     

    « … tant il est vrai que l’homme est insaisissable, à nulle circonstance réductible et que les lois qu’il se forge, qu’elles soient de nature ou autres, se réduisent en éclats insignifiants ».

    Les hommes et les femmes, Michel C.J. Westrade essaie pourtant d’en capter l’essence. Pas celle des livres d’histoire, qui repose sur « des suppositions, des insinuations ayant prétention à dire la vérité mais, la plupart du temps, travestissant le réel ». Celle que l’on trouve dans les regards, dans les lézardes des murs, dans de vieilles photographies jaunies : traces et souvenirs.

    Des hommes et des femmes qui viennent de terres noires, de côtes plombées, sous des nuages éthérés. Ce ne sont pas des hits. Ils s’appellent Henri, Jeanne, Judith, Amédée, Joseph ou Félicien. Parfois on les nomme par leur sobriquet, leur fonction ou, tout simplement, par un nom que les rend communs : l’abbé, le trimardeur, l’enfant …

    Ils ont vécu une guerre perdue qui fut pourtant gagnée. Soit eux-mêmes, soit par procuration. Aucun n’en est sorti indemne. Ils ont souffert. Ils ont ri. Ils ont pleuré. Ils ont vécu.

  • Peau d’âne, par Rosalie Varda-Demy et Emmanuel Pierrat

    Peau d’âne, par Rosalie Varda-Demy et Emmanuel Pierrat, Paris, Edition de la Marinière, 2014, 248 p., 59€.

     

    « Cette injustice vous surprend,
    Mais lorsque vous saurez ses vertus non pareilles,
    Vous ne trouverez pas que l’honneur fut trop grand…
     ».

    Oui, c’est un conte de fée. Pas la vie réelle. Une histoire de prince charmant, de tabou, de bague ensorceleuse, de couleur, de grâce et d’amour. Une histoire de princesse.

    C’était un livre (et même plusieurs). Ce fut un film (et même plusieurs).

    C’est devenu un album.

    Chef d’œuvre éditorial, cet ouvrage luxueux, qui s’ouvre comme une boîte de chocolats, nous transporte dans l’univers merveilleux et coloré de Jacques Demy, aux côtés de Catherine Deneuve, Jacques Perrin, Jean Marais, Micheline Presle, Delphine Seyrig et quelques autres.

    Et des plumes de Rosalie Varda-Demy, la fille de Jacques, et d’Emmanuel Pierrat, l’avocat qui ne dort jamais, immergé pendant quelques mois dans un univers où le bien finit toujours par transcender le mal, est donc sorti une sorte de trésor, que l’on feuillette et contemple plus qu’on ne le lit.

    « Suis-je vraiment coupable ?
    Quel crime ai-je commis ?
    Je n’ai pas mérité cette vie misérable
    Si un prince charmant
    Ne vient pas m’enlever
    Je fais ici serment que j’irai le trouver
    Moi-même
     ».

  • Napoléon dans l'Olympe, par Hippolyte Wouters

     

    Napoléon dans l’Olympe, par Hippolyte Wouters, Bruxelles, Editions Courtelignes, 2015, 32 pages,

     

    « Vos échecs ont donné de l’espoir à grand nombre.
    Vos succès ont grisé ceux qui vivaient dans l’ombre.
    Gloire sans précédent : les asiles de fous
    Sont remplis de clients qui se prennent pour vous ! »

    Quel étrange histoire que celle de ce tyran devenu héros parce qu’on lui laissa le privilège d’écrire sa propre histoire. Comme Jules César. Comment connaitrions-nous Hitler ou Staline si … ?

    Hippolyte Wouters met en scène Napoléon Ier dans un dialogue imaginaire avec Germaine de Staël, qui ne fut pas sa plus fervente admiratrice. Réflexions sur la puissance et la gloire. Des dizaines de milliers de morts contre un rêve de grandeur ? Ou l’entrée dans la modernité ? Trop beau pour être vrai ?

    Il est de ces personnages qui changent l’Histoire, en changeant l’histoire.

    Un petit texte qui se veut d’abord élégant et plaisant. Mais qui nous amène aussi à reconsidérer l’histoire (avec ou sans majuscule ? Je ne sais plus …).

    « Qui n’aime pas les fous et ne veut pas en voir,
    Doit rester dans sa chambre et casser son miroir
     ».

    Drôle d’Histoire…

  • Notices de la vie ordinaire

    Notices de la vie ordinaire, par Eric Therer, Eastern Belgium at night Editions, 2010, 58 pages, ? €.

     

    Eric Therer est fasciné par l’ordinaire. Tantôt, il expose la photo de la façade d’un grand magasin Aldi (quoi de plus banal ?), tantôt, un frigo rempli de canettes de bières (produits blancs, bien sûr).

    Ici, il s’agit de rassembler une cinquantaine d’extraits de rapports d’expertise médicale. En quelques phrases, des hommes et des femmes sont décrits,  résumés, enfermés.

    « Elle se considère incapable de maintenir un réseau social et dit ne plus en avoir la force. Elle n’entretient aucune relation amicale. Ses contacts sociaux se limitent aux relations de bon voisinage. Elle a résilié son abonnement internet ». Point.

    Une vie vide. Une vie perdue ? Une vie ordinaire.

    C’est donc une anthologie et non un ana (peut-on appeller cela un anana ?).

    Eric Therer a développé son travail en en faisant une prestation sonore, plus violente :
    https://www.youtube.com/watch?v=15hKBT9T820.

    Difficile, ensuite, de considérer les rapports d’expertise avec le même œil…

  • La fortune Gutmeyer, par Alain Berenboom

    La fortune Gutmeyer, par Alain Berenboom, Bruxelles, Genèse Éditions, 2015, 272 p., 22,50€.

     

    Ce n'est pas seulement un roman policier.

    C'est, certes, une nouvelle enquête de Michel Van Loo, le détective préféré d'Alain Berenboom, cette fois chargé par la troublante Irène de Terrenoir de retrouver l'imposteur qui, à son (très joli) nez et à sa (très précieuse) broche, est allé toucher le magot que son père, le docteur Gutmeyer, avait déposé dans une banque suisse avant de disparaître à Terezin ou à Auschwitz.

    Il y aura bien des rebondissements avant que nous découvrions le mot fin de l'histoire, qui fera voyager notre héros d'une petite pharmacie de Schaerbeek au quartier diamantaire anversois, des bureaux feutrés d'une banque bâloise aux kibboutz du naissant État d'Israël.

    C'est aussi une immersion dans la culture juive, sa permanence, sa singularité, son autarcisme, ses divisions, ses excès : ce qui fait, peut-être, que ce peuple qui s'est autoproclamé élu a souvent été persécuté.

    C'est encore une plongée dans les pages les plus sombres de l'histoire du XXe siècle : pas de blanc, rien que du gris, de toutes les intensités, jusqu'à l'anthracite.

    Mais c'est avant tout un hommage à la preuve définitive de l'existence de Dieu (lequel ? Ça, c'est une autre histoire...) : la Gueuze grenadine.

  • Robert Goffin, avocat, poète et homme de jazz, par Marc Danval

    Robert Goffin, avocat, poète et homme de jazz, par Marc Danval, Editions Le Carré gourmand, 2014, 256 p., 23,5€.

     

    « Sens-tu monter ta victoire dans ta défaite ?

    La valeur de ta vie est dans le tourbillon,

    Avec l’aile d’un phasme ou l’œil d’un papillon,

    Belle aux acropoles d’épaules et de tempes,

    Tu n’es encor qu’un peu de poitrine qui rampe,

    Sur la piste des paysages en allées,

    Où les oiseaux n’ont pas encore l’art de voler … »[1]

     

    Peut-on être à la fois un grand poète et un grand avocat ?

    Peut-on être à la fois un grand musicien et un grand avocat ?

    Peut-on être à la fois truculent, irrespectueux, frondeur, gourmand, gourmet … et un grand avocat ?

  • Somme toute (Mémoire à la barre), de Xavier Magnée

    Somme toute (Mémoire à la barre), par Xavier Magnée, Bruxelles, Avant-propos, 2014, 160 p., 16,95€

     

    « Dans le labyrinthe des apparences, la route est secrète. À ma façon, je dis la vérité ».

    Cela commence par une leçon d’humilité. Un innocent coupable que l’on croit finalement innocent et qui est pourtant coupable.

    Être avocat, c’est d’abord écouter, entendre, comprendre. Avant de parler. De dire une vérité.

    Écouter ces hommes et ces femmes qui ont perdu le fil de leur vie, qui le cherchent, qui ne le trouvent pas toujours.

    C’est un livre de souvenirs. Ceux d’une vie d’avocat. Des ombres qui passent. Des ombres d’hommes, malmenés, malmenant… Des ombres d’hommes, pas de carton.

    Les ombres de grands avocats aussi. Ceux que Xavier Magnée a côtoyés : Van Pé, Libiez, Verbruggen, De Gavre, Lafarge, Vergès, Tixier-Vignancour, …

    L’humanité se détache. Elle n’est pas toujours rose. Mais pas toujours sombre non plus.

    « Voyez-vous, le procès, surtout le procès pénal, c’est la guerre. Il faut des lois pour cela. Mais, pour les écrire, serait-il déraisonnable de prendre l’avis de quelques troupiers revenant du feu ? Ils sont, eux, les soldats de la vérité. Et l’avocat reste le seul contre-pouvoir légitime ».

    Ne pas oublier…

  • La juge de trente ans, Céline Roux

    La juge de trente ans, par Céline Roux, Paris, Seuil, collection Raconter la vie, 2014, 80 p., 5,90€.

    « Mes jambes flanchent, mes mains tremblent, mes joues me brûlent. Tenir droite, avancer, faire confiance à mon corps et me laisser guider … ». Première audience d’une juge de trente ans.

    Comment peut-on juger quand on trente ans ? Quand on pas encore vécu ? Quand on doit encore découvrir la misère humaine, les infidélités, les trahisons, la méchanceté gratuite, la cruauté, bref tout ce qui fait l’humanité ? Pour être juge, la vie il faut l’avoir vu grouiller. Dans tous les coins.

    « Vous êtes juges des enfants et  vous n’avez pas d’enfant. Comment pouvez-vous savoir ? … Ce genre de discours ne la déstabilise pas. On ne demande pas à un juge d’application des peines d’avoir été condamné… ». Ouais. Peut-être, quand même, que les deux situations sont différentes. Ou qu’il faudrait que les juges d’application des peines sachent ce qu’est la prison …

    C’est clair, j’étais prévenu en ouvrant ce livre.

    Mais quel texte lumineux !

    Juge solitaire, juge solidaire, juge au féminin, juge écrasée, juge égarée, juge engagée. Une vraie profession de foi.

  • Justice pour le Palais – Un campus Poelaert pour le justiciable, Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven

    Justice pour le Palais – Un campus Poelaert pour le justiciable, Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven (éd.), Bruxelles, filipson éditions, 2014, 2 x 51 p., 20€.

     

    Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven sont des croisés !

    Et ils sont aussi des plaideurs bien racés.

    Dans ce beau petit livre, illustré par des dessins de François Schuiten (dont on se rappelle qu’il a fait du Palais de Poelaert le Palais des trois pouvoirs dominant son Brüsel), Gal et Ever Meulen et des photographies de Marie-Françoise Plissart, ils prennent avec brio la défense de ce mastodonte un peu fou, issu de l’imagination d’un jeune architecte visionnaire de milieu du XIXe siècle.

    Il s’agissait, après deux révolutions (celles de 1789 et 1830), de marquer la place de la Justice dans ce petit État indépendant qui venait de naître au cœur de l’Europe. Le législatif et l’exécutif avaient leurs Palais. Le judiciaire aurait le sien. Monumental. Avec des dimensions dignes des grands anciens imaginés par H.P. Lovecraft. Pour que l’individu s’y sente petit mais pas écrasé.

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