Prête-moi ta plume

  • La légitimité des élus & l'honneur des juges, par Manuela Cadelli

    La légitimité des élus & l’honneur des juges, par Manuela Cadelli, Bruxelles, Samsa édition, 2022, 336 pages, 28 euros.

    C’est récemment que sont apparus, comme des clignotants inquiétants mais délicats à interpréter, l’accusation courroucée de « gouvernement des juges » et le soupçon qu’ils agiraient en « ennemis du peuple », ceci alors que d’une part l’opinion publique, « désolée » chaque année davantage, nourrit le sentiment que le respect des libertés et des droits fondamentaux empêcherait le maintien de l’ordre et représenterait même un risque pour la sécurité intérieure des nations ; d’autre part que, faisant écho à cet a priori, ou l’alimentant par démagogie, le monde politique aborde chaque nouvelle crise en privilégiant toujours plus avant la déjudiciarisation des solutions à lui apporter.

    Droits humains, état de droit, séparation des pouvoirs : chefs d’œuvre en péril ?

    Qui ne voit, en effet, que nous vivons un dangereux processus de retournement de nos valeurs fondamentales ? Et pas seulement en Chine, en Iran ou au Qatar. La remise en question des libertés et la contestation de l’état de droit sont en progression partout. En ce compris chez nous.

  • Réparer ou punir, par Bruno Dayez

    Réparer ou punir, par Brunol Dayez, Bruxelles, Samsa édition, 2022, 66 pages, 8 euros.

    Une revendication dans le chef des victimes est première et, dans un certain nombre de cas, se suffit pratiquement à elle-même : la reconnaissance par le prévenu ou l’accusé de sa propre culpabilité, qui conditionne leur propre reconnaissance en tant que victimes. La plupart d’entre elles, en demandant justice, ne sont nullement avides d’une répression impitoyable. S’il ne tenait qu’à elles, le coupable s’en sortirait souvent à moindres frais… pourvu qu’il avoue !

    Nous avons tout faux. Notre système répressif manque tous ses objectifs.

    Bruno Dayez nous a déjà exposé pourquoi nos juridictions correctionnelles ne servaient qu’à sanctionner, écarter, désocialiser, exclure les plus faibles, sans jamais – ou si rarement –  contribuer à les reclasser. Nos prisons sont des mouroirs, des écoles du crime. Ceux qui en sortent sont des récidivistes en puissance ou des parias.

    Mais il y a pire encore. Les jugements qu’elles prononcent n’ont même pas pour effet de soulager les victimes. Ce que celles-ci cherchent, c’est d’abord la reconnaissance du mal qui leur a été fait. Bien au-delà d’une indemnisation qui ne sera de toute façon que symbolique. On ne remplace pas par de l’argent – si on finit par le percevoir, puisque la plupart des délinquants sont de toute façon insolvables… – la perte d’un être cher, ni celle d’un organe.

  • L'avocat était une femme par Julia Minkowki et Lisa Vignoli

    L'avocat était une femme, par Julia Minkowski et Lisa Vignoli, Paris, JCLattès, 2021, 198 p, 18 €.

    Il m'est souvent arrivé, en lisant des dossiers criminels trash, de songer « mais qui a pu commettre un acte aussi terrible ? » et, plus tard, d'arriver en prison et de rencontrer le type, là, en jogging devant moi, qui me dit « bonjour maître » et avec lequel je parle de tout et de rien. En réalité, il pourrait être vous ou votre voisin du dessous.

    C'est Céline Lasek qui parle. Une des neuf avocates que sa consœur Julia Minkowski a interrogées, avec le concours de la journaliste Lisa Vignoli, en leur demandant de leur parler de « l'affaire de leur vie ». Et ce qu'elle dit, tous les avocats qui pratiquent, au moins un peu, le droit pénal, l'ont vécu : les monstres sont souvent des hommes ordinaires.

    Dans certaines conditions, les pénalistes ne sont pas des êtres humains comme les autres, précise Corinne Dreyfus-Schmidt. Et c'est vrai qu'il s'agit d'un métier un peu à part, même au sein de notre profession.

    https://latribune.avocats.be/fr/l-avocat-etait-une-femme-par-julia-minko...

  • Le droit dans la littérature française, par Jean-Pol Masson

    Le droit dans la littérature française, par Jean-Pol Masson, Bruxelles, Larcier, 2022, collection Petites fugues, 742 pages, 40 euros.

    Nous autres, dont les yeux sont grands ouverts sur le monde, qui vivons ici, dans ce palais de la justice qui est l’égout de la société, où viennent échouer toutes les infamies, nous autres qui sommes les confidents de toutes les hontes, les défenseurs de toutes les gredineries humaines, les soutiens, pour ne pas dire souteneurs, de tous les drôles et de toutes les drôlesses, depuis les princes jusqu’aux rôdeurs de barrières, nous qui accueillons avec indulgence, avec complaisance, avec une bienveillance souriante, tous les coupables pour les défendre devant vous, nous qui, si nous aimons vraiment notre métier, mesurons notre sympathie d’avocat à la grandeur du forfait, nous ne pouvons plus avoir l’âme respectueuse.

    Ainsi parle Maupassant des avocats (L’assassin, in Contes et nouvelles). Bernanos est plus critique :

    Mais, monsieur le marquis, est-ce qu’il est permis aux avocats de calomnier tant qu’il leur plaît ? Est-ce qu’il n’y a point de justice contre eux ? Si j’avais pu prévoir toutes les amertumes que cette affaire entrainerait, je vous proteste que je n’aurais jamais consenti à ce qu’elle s’entamât (La religieuse).

  • Chroniques pour la liberté (2), par Typhanie Afschrift

     

    Chroniques pour la liberté (2), par Typhanie Afschrift

    Typhanie Afschrift est une libertaire, partisane acharnée du libéralisme, ennemie résolue de l’État. Pour elle, plus d’État, c’est toujours moins de prospérité, moins de liberté, moins d’intelligence. Moins.

    Dans ce petit ouvrage, Typhanie Afschrift rassemble, pour la deuxième fois (le premier volume était paru en 2019, sous son prénom de naissance, Thierry), les chroniques qu’elle publie hebdomadairement dans Trends Tendances.

    Le format de ces chroniques est évidemment dicté par les contingences de pareil hebdomadaire. Entre une et deux pages. Cela n’autorise évidemment pas de longs développements nuancés. 

  • Privés de liberté, pas de génie, nouvelles rassemblées par François Dessy

    Privé de liberté, pas de génie – Trente prisonniers célèbres, nouvelles rassemblées par François Dessy, Bruxelles, La Pensée et les Hommes, 2022, 464 pages, 30 euros.

    Je ne vis plus. Tout au plus, je crois que je continue à exister biologiquement, en suspension dans un espace sombre réduit à quelques mètres carrés.

    Aujourd’hui, comme hier et demain, je métabolise le vide émotionnel de la privation de liberté, comme un diabétique le sucre, ce matin, comme les autres matins, qui succèdent à tous les matins, après cette arrestation chez moi, devant mes enfants en pyjama, moi aussi en pyjama, au lever, dans l’odeur du café…

    Ainsi reclus, j’attends, comme seule ligne d’horizon, la nuit et la fuite du temps et peut-être le sommeil et ainsi de suite, jusqu’à l’épuisement du besoin d’espoir.

    Je suis immobile. Je suis retenu en prison. Je suis enfermé. Je suis un détenu. Je suis un détenu en préventive.

    Ils sont trente. Trente parmi des millions. Trente prisonniers. Trente dont la vie avait été mise entre parenthèses.

    Mais pas tout à fait. Ceux-là sont restés libres dans leur tête. Ils ont lutté, avec des succès divers, contre l’avilissement. Ils ont tenté de rester des êtres humains.

  • Crime d'initiés, par Michel Claise

    Crime d’initiés, par Michel Claise, Bruxelles, Genèse éditions, 2021, 192 pages, 21 euros.

    Nous connaissons tous l’histoire. En mars 2021, la police belge réussit à « craquer » le système de cryptrage des téléphones Sky ECC qu’utilisait la pègre pour communiquer à l’abri des oreilles indiscrètes, qu’il s’agisse de la police, des services secrets ou des petits génies de l’informatique. C’est une manne d’informations, précieuses et sensibles, gigantesque qui est ainsi livrée à nos enquêteurs.

    Michel Claise s’en empare pour construire cette passionnante intrigue qui nous fait passer de Shanghai à Rome, puis à Anvers et à Bruxelles, dans les milieux du grand banditisme, le territoire des triades, de la mafia, de la camorra, de la ndrangheta et autres enfants de chœur… Il connait son sujet puisqu’il s’agit de son pain quotidien.

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    https://latribune.avocats.be/fr/crime-d-inities-par-michel-claise

  • Le procès Mawda, par Laurent Kennes

    Le procès Mawda, par Laurent Kennes, Bruxelles, Kennes éditions, 2022, 216 pages, 19,90 euros.

    Ce n’est donc plus « la défense » qui s’exprime face à l’accusation, mais l’avocat, révolté avant tout par le sort que la Belgique réserve à celles et ceux qui, comme les parents de Mawda, comme les autres occupants de la camionnette, comme les milliers de personnes qui, dès que l’occasion se présente et à quel prix que ce soit, tentent de traverser une frontière qui leur est fermée.

    L’avocat, révolté par le manque de nuance et de réflexion qui ont dominé les débats autour de ce drame, tant dans le procès judiciaire qu’en dehors. L’avocat, révolté toujours par le sort réservé à cet homme sur les épaules de qui notre société a, injustement, fait peser le poids de la mort d’une enfant.

    Le procès n’a pas mis en avant la réalité des migrants. C’est regrettable…

    Laurent Kennes a défendu Victor (prénom d’emprunt), le policier dont le tir, accidentel plus que vraisemblablement, a tué la petite Mawda. Il est sorti révolté de ce procès. Il voulait le crier. Il voulait expliquer pourquoi. Il le fait.

  • Ne dites pas ... mais dites ... Fleurir son langage, par Nicolas Bernard

    Ne dites pas… mais dites… Fleurir son langage, par Nicolas Bernard, Bruxelles, Larcier, Petites fugues, 2022, 426 pages, 25 euros.

     

    Ne dites pas « Le Standard a battu Anderlecht » mais dites « Le Standard a disposé d’Anderlecht » ou « Les Rouches ont damé le pion aux Mauves et Blancs » ou « Le Standard s’est adjugé le Clàsico ».

    Ne dites pas « Le Standard bat facilement tous ses adversaires » mais dites « Le Standard marche sur le championnat ».

    Nicolas Bernard est donc à la fois nostalgique et supporter du Standard. Il est vrai qu’il y a peut-être là un pléonasme[1]

    Il a donc entrepris de recenser une flopée de tournures élégantes qui se substitueront avantageusement à de plus usuelles expressions triviales.



    [1] Pensez-donc. A Liège, certains m’appellent le « bâtonnier des titres » car les deux derniers titres du Standard remontent à cette époque (hé oui, 2007-2008 et 2008-2009 ! Déjà).

     

  • Lettre à mes juges / Lettre au procureur du Roi, par Bruno Dayez

    Lettre à mes juges, par Bruno Dayez, Gerpinnes, Samsa, 2021, 46 pages, 8 euros.

    Lettre au procureur du Roi, par Bruno Dayez, Gerpinnes, Samsa, 2022, 52 pages, 8 euros.

    Ce qui m’intéresse, et qui est l’objet de ce petit livre, n’est certainement pas ce qui singularise tel ou tel, mais, au contraire, ce qui est de l’essence de juger que tous partagent à partir du moment où ils sont préposés à le faire. Car juger est un métier, ce dont personne ne s’étonne vraiment, alors qu’il ne va pas forcément de soi d’avoir comme travail rémunéré, non seulement de décider si chaque prévenu est coupable ou non, ce qui suppose d’être toujours dans le « vrai », mais aussi de punir équitablement, ce qui suppose d’être toujours dans le « juste ».

    Par deux longues correspondances (ou petits livres), notre confrère Bruno Dayez s’adresse, d’une part, à « ses » juges, d’autre part, « au » procureur du Roi. Pourquoi cette différence ? Parce que, indique-t-il, tout en s’adressant à la totalité du corps, il n’a voulu évoquer que les juges devant lesquels il a « eu l’honneur de plaider ». Tandis que, pour ce qui concerne le ministère public, il parle à l’institution. Effet de son indivisibilité ? Convenons que cette question rhétorique est finalement peu importante.

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