Prête-moi ta plume

  • Eloge de la présomption d'innocence, par Marie Dosé et Julia Minkowski

    Éloge de la présomption d’innocence, par Marie Dosé et Julia Minkowski, Paris, Gallimard, 156 pages, 19 euros.

     

    L’essence du métier d’avocat pénaliste consiste à défendre aussi bien des personnes accusées d’actes pénalement répréhensibles que leurs victimes. Il va sans dire que plaider l’innocence ou défendre un accusé manifestement coupable ne saurait être compris comme une justification des actes en eux-mêmes. Mais si nous en sommes là, à devoir rappeler cette évidence, c’est que nous, avocates pénalistes, sommes de plus en plus prises à parties. Aussi, on se pince d’avoir à l’écrire : non, nous ne sommes pas favorables à l’escroquerie, au viol, au meurtre… Défendre une personne accusée de terrorisme n’implique pas que nous jugions d’un bon œil l’usage de la violence contre des populations, et être les conseils d’hommes accusé de violences sexuelles n’implique pas que nous souscrivions aux mécanismes de la prédation masculine, pas plus qu’au dévoiement de la libération des mœurs par la contrainte ou à l’emprise comme mode opératoire dans les relations sentimentales.

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    Qu’est devenue la présomption d’innocence dans notre société d’immédiateté ? Il est si facile de clouer au pilori des réseaux sociaux tout présumé coupable, simplement en tapotant quelques mots sur son téléphone portable, sous le couvert de l’anonymat bien sûr…

  • Les enfants perdus, par François Sureau

    Les enfants perdus, par François Sureau, Paris, Gallimard, 156 pages, 19 euros.

    On blâme Dieu pour les crimes des hommes… et l’on se dit qu’il n’y a pas de Dieu, alors qu’on devrait plutôt voir qu’il n’y a pas d’hommes.

    Les enfants perdus ce sont les soldats qui commencent l’attaque un jour de combat.

    Cela ne correspond pas tout à fait à la situation de Thomas More qui, en 1870, après la défaite de Sedan, est détenu dans la presqu’île d’Iges avec une bonne partie de ce qu’il reste de l’armée de Napoléon III.

    Mais le roi de Prusse, qui connaît ses qualités de détective, le fait mander pour élucider un crime commis dans son entourage : une jeune femme a été assassinée. Curieusement, son corps a été retrouvé alors qu’elle était assise sur une chaise et revêtue d’une robe et d’un voile de religieuse. More éclaircira ce mystère et, dans la foulée, il résoudra deux autres affaires : un incendiaire a mis le feu à plusieurs églises des environs ; un capitaine des cuirassiers a été tué dans des circonstances curieuses : près de son corps, on retrouve un éclat d’obsidienne qui semble venir du bout du monde.

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    Les enfants perdus par François Sureau | La Tribune

  • Bangui Plage, par Bruno Sanderling

    Bangui Plage, par Bruno Sanderling, Hévillers, Ker éditions, 260 pages, 20 euros.

    L’avocat sentit son corps se liquéfier. Ce volet du dossier ne lui disait rien. Les réponses écrites de la partie adverse lui avaient certainement été adressées par la voie habituelle. Mais noyées dans la montagne de documents qui s’accumulaient dans son bureau, il n’y avait pas prêté attention. Il s’était rendu à l’audience les mains dans les poches pour confirmer les arguments exposés dans sa requête. Pourtant, en cas de recours déposé en retard, la loi était formelle : il était irrecevable. Peu importe la valeur des arguments, la requête serait rejetée et son client expulsé.

    Le juriste aurait aimé disparaître. Il n’osait pas regarder l’homme derrière lui qui n’avait probablement pas saisi la portée du galimatias échangé entre spécialistes. Mais pire encore, il sentait sur lui l’opprobre de ses confrères. Pour longtemps, il serait marqué au fer rouge et rangé dans la catégorie des praticiens blacklistés. Il aurait voulu se téléporter hors du tribunal. Se désintégrer, s’évaporer…

  • Gedacht, par Koen geens

    Gedacht, par Koen Geens, Louvain, Lannoo Campus, 2023, 280 pages, 22,50 euros.

    15 février 2022.

    Dimanche à l'Ancienne Belgique, c'était Arno worst ou sa dernière représentation. Il vit maintenant. Il a chanté dix-sept chansons avec Stromae, pour sortir ce soir. Il faut le faire. Lorsque nous avons célébré ma mère à son enterrement, ma dernière phrase a été : « Dans les yeux de ma mère, il y aura toujours une lumière ». Il y aura. Les mères ne meurent pas. Arno non plus.

    Du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2022, Koen Geens a consigné régulièrement des textes de 5 à 10 lignes, que lui inspirait l’actualité. En 2023, à l’occasion de l’édition du liber amicorum qui lui a été dédié, il a eu la bonne idée de les publier.

    Bon, le titre Pensée (tiens pourquoi au singulier ? j’imagine qu’il y a là une particularité du néerlandais qui m’échappe) peut paraître un peu prétentieux, mais « Journal » l’aurait-il été moins ?

    C’est en tout cas une belle occasion de parcourir ces années qui ont vu les crises se succéder. La fin d’Obama, Trump, Biden… mais aussi l’époque où Koen Geens fut lui-même ministre de la Justice et où il entreprit sa vaste campagne de réformes législatives. Et les années Covid.

    Gedacht par Koen Geens | La Tribune

  • Rien ne va plus et Lettre à Dieu le Fils, de Jean-Denis Bredin

    Rien ne va plus, par Jean-Denis Bredin, Paris, Fayard, 2000, 214 pages, 15,30 euros.

    Lettre à Dieu le Fils, par Jean-Denis Bredin, Paris, Grasset, 2001, 126 pages, 14,45 euros.

    Auguste Poisson savait maintenant quelle était sa vocation, depuis le premier jour : il était né pour défendre les victimes.

    En rangeant la bibliothèque de mes parents, je suis retombé sur ces deux petits ouvrages écrits par Jean-Denis Bredin à l’aube de ce siècle, à l’époque où il était venu donner une conférence à Liège.

    Rien ne va plus est un recueil de nouvelles. Particulièrement cohérent. Douze personnages. Douze histoires. Douze dérives. Douze solitudes.

  • Personne morale, par Justine Augier

    Personne morale, par Justine Augier, Arles, Actes Sud, 288 pages, 22 euros.

    Où est donc votre fameuse justice ? On entend partout que pour être libres et voir ses droits respectés, il faut aller en Europe ; mais quelle différence finalement avec notre pays, dans lequel on peut être tués sans que personne ne s’en préoccupe ?

    Élise m’a dit qu’elle et les autres exploraient d’autres voies. Je ne sais pas. Sommes-nous vraiment exclus à cent pour cent ? J’ai quand même l’impression qu’il nous reste une petite chance…

    Romancière et essayiste française (elle a notamment obtenu le prix Renaudot en 2017 pour son ouvrage De l’ardeur, dans lequel elle raconte l’histoire de l’avocate et militante des droits humains syrienne Razan Zaitouneh, prix Sakharov et prix Anna-Politkovskaïa en 2011, prix Petra Kelly en 2014, disparue en 2013 et dont on est toujours sans nouvelle – sans doute a-t-elle été enlevée et exécutée par un groupe terroriste dissident, à moins que ce ne soit par la police de Bachar al-Assad), Justine Augier a suivi le travail d’une équipe de jeunes juristes – presque toutes des jeunes femmes, cela doit être souligné – qui se sont lancées dans une croisade contre cet ex-fleuron de l’industrie française (il est aujourd’hui une filiale du groupe Holcim), qui n’a donc pas hésité à financer des groupes terroristes pour tenter de protéger les intérêts de ses actionnaires.

  • Mémoires drolatiques, par Hippolyte Wouters

    Mémoires drolatiques, par Hippolyte Wouters, Bruxelles, 76 pages, 14 euros (à commander à l’adresse hippolyte@wouters-theatre.com et à payer au compte BE12 0637 5061 1192).

    Le Président : « Pourquoi avez-vous donné un coup de pied dans le ventre de votre belle-mère ? »

    Le prévenu : « Parce qu’elle s’est retournée, monsieur le Président ! »

    Au cours de sa longue carrière (on approche la septantaine d’années), Hippolyte Wouters en a entendu de belles ! Il nous en livre quelques-unes dans ce joyeux petit recueil.

  • Une autre justice est possible, par Bruno Dayez

    Bruno Dayez, clôturant une série de six petits essais sur la justice pénale, nous livre, un peu comme un testament, son rêve d'une justice qui répondrait aux réels besoins des justiciables et non à une fonction purement symbolique.

    Ce que fait notre justice pénale, c’est conforter le système établi en punissant pour l’exemple quelques milliers d’infracteurs soigneusement sélectionnés pour convaincre le public de rester dans les clous. Il s’agit d’une opération à haute teneur symbolique, consistant à donner à croire.

    (…)

    La justice pénale n’a jamais eu l’ambition de juguler la criminalité ni la délinquance, ni seulement l’ambition de la réduire dans des proportions significatives. Elle se contente d’apporter une réponse purement symbolique à des problèmes qui, eux, sont bien réels.

    Que faudrait-il pour que la justice pénale permette réellement d'endiguer le crime, de réparer partiellement les torts causés par les délinquants, de réinsérer dans la société ceux qui ont commis des infractions, d'endiguer la récidive ?

     

  • Poste restante, par Frédéric Kurz

    Poste restante, par Frédéric Kurz, Liège, Murmure des soirs, 2024, 194 pages, 16 euros.

     

    « Si j’avais le pouvoir de Staline, je ne le gaspillerais pas à réduire au silence les romanciers. Je réduirais au silence ceux qui écrivent sur les romanciers. J’interdirais toute discussion publique de la littérature dans les journaux, les magazines et les revues spécialisées. J’interdirais l’enseignement de la littérature dans les établissements scolaires, du primaire au supérieur en passant par le secondaire. Je prohiberais les groupes de lecture et les chats de discussion sur les livres sur Internet, et je mettrais sous surveillance les libraires pour vérifier qu’aucun vendeur ne parle de livres avec un client, et que les clients n’osent pas se parler entre eux. Je laisserais les lecteurs seuls avec les livres, pour qu’ils puissent en faire ce qu’ils veulent en toute liberté. Je ferais cela pendant autant de siècles qu’il faudrait pour désintoxiquer la société de votre charabia ».

    Cher Frédéric Kurz,

  • Rimbaud / Verlaine, une affaire insolite, par François Swennen

    Rimbaud/Verlaine, une affaire insolite, par François Swennen, Paris, Cohen & Cohen, 2024, 96 pages, 21 euros.

    Les juges de Bruxelles ne se sont pas fatigués avec le dossier de Paul. Ils ont dit pour droit : « À Bruxelles, le dix juillet mil huit cent septante-trois, Paul Verlaine a volontairement porté des coups et blessures ayant entrainé une incapacité de travail personnel à Arthur Rimbaud ». C’est tout. Dans l’enchainement, ils lui ont infligés la peine la plus sévère édictée par leur code – deux ans d’emprisonnement – pour ce délit, sans aucune autre justification que celle, nauséabonde, qu’ils n’ont pas eu l’honnêteté, ou le courage, ou simplement l’envie, de dévoiler dans les attendus de leur jugement. Ils ont peut-être aussi, tout bêtement, buté sur le mot à choisir – immorales ou plutôt contre-nature – et trouvé moins périlleux, et surtout plus confortable, de se taire.

    Ainsi s’exprime l’un des trois témoins que François Swennen a convoqués pour donner un nouvel éclairage sur cette étrange – insolite ? – affaire : le 10 juillet 1873 à Bruxelles, Paul Verlaine tire deux coups de feu sur son jeune amant, Arthur Rimbaud.

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