Prête-moi ta plume

  • Ping-pong

    Ping-pong, Éric Therer vs Benjamin Monti, Liège, Eastern Belgium at night éd., 2015, 40 p., 8 €[1].

     

    "Attendu que, tout en admettant la matérialité des faits, l'arrêt attaqué, sans avoir égard aux circonstances particulières dans lesquelles ils s'étaient manifestés, a relaxé les prévenus, au motif que les parties sexuelles de la jeune femme étaient cachées par un slip en monokini suffisamment opaque et que Claudine X n'avait pris aucune attitude ni affecté aucun geste lascif ou obscène ;

    Mais attendu qu'en refusant de faire application de l'article 330 aux faits poursuivis qui s'analysent en une exhibition provocante de nature à offenser la pudeur publique et à blesser le sentiment moral de ceux qui ont pu en être les témoins, la cour d'appel a violé les textes ci-dessus visés;

    Par ces motifs, casse et annule, mais seulement dans l'intérêt de la loi, et sans renvoi, l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 29 janvier 1965".

    Fausse application de la loi ? L'appréciation de la cour d'Aix-en-Provence ne gisait-elle pas en fait ? N'est-ce point la Cour de cassation, transportée par ses émotions, qui aurait outrepassé ses prérogatives ?

  • Où va la Justice ?, par Bruno Dayez

    Où va la Justice ?, par Bruno Dayez, La Charte, collection « La clé des gens », Bruxelles, 2016, 304 pages

     

    « Dans la version officielle du droit, nous sommes des « auxiliaires de justice ». En réalité, nous en sommes l’accessoire ! Plusieurs raisons « structurelles » expliquent cet état de choses. La première tient au statut de l’avocat, car ce statut recèle, en soi, une ambiguïté fondamentale : sommes-nous là pour servir la justice ou pour la contrecarrer ? Pour cautionner le système ou pour le saborder ? Pour défendre les intérêts particuliers d’un prévenu ou apporter notre concours à l’entreprise de juger, laquelle ne doit viser que l’intérêt général ? En un mot, sommes-nous la goutte d’huile ou le grain de sable ? ».

    Notre confrère Bruno Dayez a réuni en un beau volume les chroniques qu’il publie régulièrement dans Le Soir, La Libre Belgique, Le Vif-L’Express, Le Journal des Tribunaux, Le Journal des procès,…, et par lesquelles il nous livre ses réflexions sur l’évolution de notre justice pénale.

    Pour ou contre la Cour d’assises ? Lui est contre, résolument contre, ne voyant qu’une fiction dans l’image du jury populaire, soi-disant émanation du peuple, qui pourrait, pour cette raison, être affranchi de toutes les obligations et garanties liées à la fonction de juger.

  • Un instant appuyé contre le vent, par Lionel Jung-Allégret

    Un instant appuyé contre le vent, par Lionel Jung-Allégret, Tulle, Al Manar, 2014, 78 pages, 18 €.

     

    Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
    Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
    Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
    Berçant notre infini sur le fini des mers…

    Brillante variation sur Le voyage de Charles Baudelaire, Un instant appuyé contre le vent, long poème en prose de notre confrère parisien Lionel Jung-Allégret, troisième volet d’une trilogie inaugurée par Écorces et continuée par Parallaxes, pose un regard désenchanté sur le parcours de nos vies.

    Richement illustré par les encres de Jean Anguera, il nous accueille au cri initial pour nous mener jusqu’au souffle final. Pour quoi ?

    « Avancer

     

    lèvres ouvertes

    à même les lèvres de la terre,

     

    Avancer

    vers ce qui se tait.

     

    Dans le désordre étincelant et sans cesse incertain de chaque jour ».

     

    Le désenchantement d’un monde sans transfiguration, sans transcendance, sans transe. Où nous sommes seulement hommes, rien qu’hommes. Sur terre. Pour un instant. Avec le vent qui siffle.

     

    « Et s’il fallait avancer ainsi.

     

    Fièrement,

  • Marie-Neige, Anna et quelques autres…, par Michel Westrade et Jean-François Van Haelmeersch

    Marie-Neige, Anna et quelques autres…, par Michel Westrade et Jean-François Van Haelmeersch, Tournai, 2014-2015, 6 petits volumes réunis en un coffret, 282 pages, 70 €[1].

     

    … Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre …

    Qui sont ces femmes que Michel Westrade recherche, comme s’il voulait en exorciser le souvenir ? Marie-Neige, Marie, Sarah, Anna…

    Il y a celle qui n’a pas vécu, qui aurait pu être sa grande sœur, qu’il recherche dans les caves d’un Palais de justice, dans les pages jaunies de vieux registres d’état civil.

    Il y a celle qui a dit « oui » à un ange, devenant par là-même la mère de tous.

    Il y a celle qui est morte dans ses bras, peut-être par sa faute, et son reflet, dont on a retrouvé un matin le corps sur la plage, rejeté par la marée.

    Il y a l’amante perdue, qu’il recherche dans les forêts et campagnes d’Ombrie en suivant les chemins qui ne mènent pas à l’oratoire Notre-Dame des Grâces.

    Il y a la mère qu’il n’a pas connue, morte trop tôt, morte en secret, morte mystérieusement, dans le silence de l’omerta.

  • Les grands procès de l'histoire - De l’affaire Troppmann au procès d’Outreau, par Emmanuel Pierrat

    Les grands procès de l’histoire – De l’affaire Troppmann au procès d’Outreau, par Emmanuel Pierrat, Editions de la Martinière, 2015, 176 pages, 39,90€.

     

    Vincent de Moro Giafferi se lève. « Vous accusez mon client de dix crimes. Mais, monsieur l’avocat général, vous ne nous présentez aucun corps. D’ailleurs, l’une des prétendues victimes a été retrouvée. Elle va entrer dans cette salle ».

    Stupeur. Silence. Des centaines d’yeux se braquent sur la porte d’entrée de la Cour d’assises. Rien ne bouge. Moro Giafferi triomphe. « Vous voyez : vous y avez tous cru. Tous vous avez regardé cette porte. C’est la preuve que vous n’êtes pas certains de la culpabilité de Landru ».

    Et l’avocat général de répondre : « Oui Maître, tous nous avons regardé cette porte. Tous, sauf un. Landru lui-même ».

    Extraordinaire passe d’armes (je veux dire « de mots ») !

    Emmanuel Pierrat, le brillant avocat parisien qui est aussi le principal fournisseur de cette chronique, fait revivre dix-huit grands procès. Défilent Dreyfus, Violette Nozière, Stavisky, Brasillach, le docteur Petiot, Dominici, Marie Besnard, Goldman, le petit Grégory, Omar Raddad, Maurice Papon,… Et une série de grands avocats : Labori, Isorni, Floriot, Pollak, Tixier-Vignancour, Damien, Halimi, Lévy, Badinter, Leclerc, Vergès, Varaut, Klarsfeld, Dupond-Moretti, et tant d’autres.

  • Courteslignes, le site du texte court

    Courteslignes, le site du texte court, sous la direction de Jehanne Sosson

     

    « Canicule. Sale temps, sale mot, sale impression.

    La canule n’est pas loin et la canisette non plus.

    La mort par épuisement, étouffement, asphyxie, déshydratation rôde du Pakistan à l’Europe.

    Le Ramadan est de la partie et achève les plus faibles qui ne devraient pas jouer à la roulette islamique quand la santé est en danger… ».

    Pareil pour moi : les canicules ne m’emballent pas.

    Ainsi commence la courte nouvelle Canicule citoyenne que Daniel Simon a mise en ligne sur le site du texte court, qu’a lancé Jehanne Sosson : http://www.courteslignes.com/.

    Une vingtaine d’auteurs ont déposé de courtes nouvelles sur le site. Parmi eux, outre Jehanne Sosson (son dernier texte s’intitule Péage mais elle en a déposé une bonne dizaine. Je vous conseille particulièrement Appelez-moi « Maîtresse »), Hippolyte Wouters ou Jean Van Hamme (oui, l’homme des B.D.).

    C’est toujours délicieux, amusant, spirituel. Jouer avec les mots, avec élégance et humour, pour toucher notre quotidien, se moquer ou démystifier.

  • Le chemin des morts, par François Sureau

    Le chemin des morts, par François Sureau, Paris, Gallimard, 2013, 55 pages, 7.5 €.

     

    C’est un tout petit récit mais il ne laisse pas indemne.

    Dans une autre vie, François Sureau, aujourd’hui avocat à Paris, a été auditeur au Conseil d’État. En cette qualité, il a été amené à siéger au sein de la Commission de recours du droit d’asile, équivalent, mais avant la lettre, de notre Conseil du contentieux des étrangers.

    Il y a vu la règle s’affronter à la justice, la raison d’État à la raison, la machine à l’homme.

    Javier Ibarrategui, un dissident basque modéré, eût à comparaître devant lui au moment où, le Franquisme ayant cédé, l’Espagne retrouvait sa place au sein des Nations démocratiques. Ibarrategui se disait en danger de mort s’il devait rentrer au pays. C’était l’époque où les sinistres G.A.L. (Groupes antiterroristes de libération) œuvraient encore en toute impunité.

    Qui fallait-il condamner : l’Espagne ou l’homme qui était devant lui ?

    Ce jour-là, la décision prise n’était sans doute pas la bonne. Comme, de nos jours, lorsque nous renvoyons un Afghan ou un Syrien se faire tuer chez lui…

    Ibarrategui n’est pas tout à fait mort, cependant. Il revit en François Sureau. Il est à ses côtés chaque fois qu’il hésite entre courage et lâcheté, entre confort et engagement. Comme un moteur auxiliaire.

  • Éthers noirs, par Michel C.J. Westrade

    Éthers noirs, par Michel C.J. Westrade, Mouscron, Chloé des Lys (www.editionschloedeslys.be), 2013, 122 pages, 13,5 €.

     

    « … tant il est vrai que l’homme est insaisissable, à nulle circonstance réductible et que les lois qu’il se forge, qu’elles soient de nature ou autres, se réduisent en éclats insignifiants ».

    Les hommes et les femmes, Michel C.J. Westrade essaie pourtant d’en capter l’essence. Pas celle des livres d’histoire, qui repose sur « des suppositions, des insinuations ayant prétention à dire la vérité mais, la plupart du temps, travestissant le réel ». Celle que l’on trouve dans les regards, dans les lézardes des murs, dans de vieilles photographies jaunies : traces et souvenirs.

    Des hommes et des femmes qui viennent de terres noires, de côtes plombées, sous des nuages éthérés. Ce ne sont pas des hits. Ils s’appellent Henri, Jeanne, Judith, Amédée, Joseph ou Félicien. Parfois on les nomme par leur sobriquet, leur fonction ou, tout simplement, par un nom que les rend communs : l’abbé, le trimardeur, l’enfant …

    Ils ont vécu une guerre perdue qui fut pourtant gagnée. Soit eux-mêmes, soit par procuration. Aucun n’en est sorti indemne. Ils ont souffert. Ils ont ri. Ils ont pleuré. Ils ont vécu.

  • Peau d’âne, par Rosalie Varda-Demy et Emmanuel Pierrat

    Peau d’âne, par Rosalie Varda-Demy et Emmanuel Pierrat, Paris, Edition de la Marinière, 2014, 248 p., 59€.

     

    « Cette injustice vous surprend,
    Mais lorsque vous saurez ses vertus non pareilles,
    Vous ne trouverez pas que l’honneur fut trop grand…
     ».

    Oui, c’est un conte de fée. Pas la vie réelle. Une histoire de prince charmant, de tabou, de bague ensorceleuse, de couleur, de grâce et d’amour. Une histoire de princesse.

    C’était un livre (et même plusieurs). Ce fut un film (et même plusieurs).

    C’est devenu un album.

    Chef d’œuvre éditorial, cet ouvrage luxueux, qui s’ouvre comme une boîte de chocolats, nous transporte dans l’univers merveilleux et coloré de Jacques Demy, aux côtés de Catherine Deneuve, Jacques Perrin, Jean Marais, Micheline Presle, Delphine Seyrig et quelques autres.

    Et des plumes de Rosalie Varda-Demy, la fille de Jacques, et d’Emmanuel Pierrat, l’avocat qui ne dort jamais, immergé pendant quelques mois dans un univers où le bien finit toujours par transcender le mal, est donc sorti une sorte de trésor, que l’on feuillette et contemple plus qu’on ne le lit.

    « Suis-je vraiment coupable ?
    Quel crime ai-je commis ?
    Je n’ai pas mérité cette vie misérable
    Si un prince charmant
    Ne vient pas m’enlever
    Je fais ici serment que j’irai le trouver
    Moi-même
     ».

  • Napoléon dans l'Olympe, par Hippolyte Wouters

     

    Napoléon dans l’Olympe, par Hippolyte Wouters, Bruxelles, Editions Courtelignes, 2015, 32 pages,

     

    « Vos échecs ont donné de l’espoir à grand nombre.
    Vos succès ont grisé ceux qui vivaient dans l’ombre.
    Gloire sans précédent : les asiles de fous
    Sont remplis de clients qui se prennent pour vous ! »

    Quel étrange histoire que celle de ce tyran devenu héros parce qu’on lui laissa le privilège d’écrire sa propre histoire. Comme Jules César. Comment connaitrions-nous Hitler ou Staline si … ?

    Hippolyte Wouters met en scène Napoléon Ier dans un dialogue imaginaire avec Germaine de Staël, qui ne fut pas sa plus fervente admiratrice. Réflexions sur la puissance et la gloire. Des dizaines de milliers de morts contre un rêve de grandeur ? Ou l’entrée dans la modernité ? Trop beau pour être vrai ?

    Il est de ces personnages qui changent l’Histoire, en changeant l’histoire.

    Un petit texte qui se veut d’abord élégant et plaisant. Mais qui nous amène aussi à reconsidérer l’histoire (avec ou sans majuscule ? Je ne sais plus …).

    « Qui n’aime pas les fous et ne veut pas en voir,
    Doit rester dans sa chambre et casser son miroir
     ».

    Drôle d’Histoire…

Pages