Prête-moi ta plume

  • Les grands procès de l'histoire - De l’affaire Troppmann au procès d’Outreau, par Emmanuel Pierrat

    Les grands procès de l’histoire – De l’affaire Troppmann au procès d’Outreau, par Emmanuel Pierrat, Editions de la Martinière, 2015, 176 pages, 39,90€.

     

    Vincent de Moro Giafferi se lève. « Vous accusez mon client de dix crimes. Mais, monsieur l’avocat général, vous ne nous présentez aucun corps. D’ailleurs, l’une des prétendues victimes a été retrouvée. Elle va entrer dans cette salle ».

    Stupeur. Silence. Des centaines d’yeux se braquent sur la porte d’entrée de la Cour d’assises. Rien ne bouge. Moro Giafferi triomphe. « Vous voyez : vous y avez tous cru. Tous vous avez regardé cette porte. C’est la preuve que vous n’êtes pas certains de la culpabilité de Landru ».

    Et l’avocat général de répondre : « Oui Maître, tous nous avons regardé cette porte. Tous, sauf un. Landru lui-même ».

    Extraordinaire passe d’armes (je veux dire « de mots ») !

    Emmanuel Pierrat, le brillant avocat parisien qui est aussi le principal fournisseur de cette chronique, fait revivre dix-huit grands procès. Défilent Dreyfus, Violette Nozière, Stavisky, Brasillach, le docteur Petiot, Dominici, Marie Besnard, Goldman, le petit Grégory, Omar Raddad, Maurice Papon,… Et une série de grands avocats : Labori, Isorni, Floriot, Pollak, Tixier-Vignancour, Damien, Halimi, Lévy, Badinter, Leclerc, Vergès, Varaut, Klarsfeld, Dupond-Moretti, et tant d’autres.

  • Courteslignes, le site du texte court

    Courteslignes, le site du texte court, sous la direction de Jehanne Sosson

     

    « Canicule. Sale temps, sale mot, sale impression.

    La canule n’est pas loin et la canisette non plus.

    La mort par épuisement, étouffement, asphyxie, déshydratation rôde du Pakistan à l’Europe.

    Le Ramadan est de la partie et achève les plus faibles qui ne devraient pas jouer à la roulette islamique quand la santé est en danger… ».

    Pareil pour moi : les canicules ne m’emballent pas.

    Ainsi commence la courte nouvelle Canicule citoyenne que Daniel Simon a mise en ligne sur le site du texte court, qu’a lancé Jehanne Sosson : http://www.courteslignes.com/.

    Une vingtaine d’auteurs ont déposé de courtes nouvelles sur le site. Parmi eux, outre Jehanne Sosson (son dernier texte s’intitule Péage mais elle en a déposé une bonne dizaine. Je vous conseille particulièrement Appelez-moi « Maîtresse »), Hippolyte Wouters ou Jean Van Hamme (oui, l’homme des B.D.).

    C’est toujours délicieux, amusant, spirituel. Jouer avec les mots, avec élégance et humour, pour toucher notre quotidien, se moquer ou démystifier.

  • Le chemin des morts, par François Sureau

    Le chemin des morts, par François Sureau, Paris, Gallimard, 2013, 55 pages, 7.5 €.

     

    C’est un tout petit récit mais il ne laisse pas indemne.

    Dans une autre vie, François Sureau, aujourd’hui avocat à Paris, a été auditeur au Conseil d’État. En cette qualité, il a été amené à siéger au sein de la Commission de recours du droit d’asile, équivalent, mais avant la lettre, de notre Conseil du contentieux des étrangers.

    Il y a vu la règle s’affronter à la justice, la raison d’État à la raison, la machine à l’homme.

    Javier Ibarrategui, un dissident basque modéré, eût à comparaître devant lui au moment où, le Franquisme ayant cédé, l’Espagne retrouvait sa place au sein des Nations démocratiques. Ibarrategui se disait en danger de mort s’il devait rentrer au pays. C’était l’époque où les sinistres G.A.L. (Groupes antiterroristes de libération) œuvraient encore en toute impunité.

    Qui fallait-il condamner : l’Espagne ou l’homme qui était devant lui ?

    Ce jour-là, la décision prise n’était sans doute pas la bonne. Comme, de nos jours, lorsque nous renvoyons un Afghan ou un Syrien se faire tuer chez lui…

    Ibarrategui n’est pas tout à fait mort, cependant. Il revit en François Sureau. Il est à ses côtés chaque fois qu’il hésite entre courage et lâcheté, entre confort et engagement. Comme un moteur auxiliaire.

  • Éthers noirs, par Michel C.J. Westrade

    Éthers noirs, par Michel C.J. Westrade, Mouscron, Chloé des Lys (www.editionschloedeslys.be), 2013, 122 pages, 13,5 €.

     

    « … tant il est vrai que l’homme est insaisissable, à nulle circonstance réductible et que les lois qu’il se forge, qu’elles soient de nature ou autres, se réduisent en éclats insignifiants ».

    Les hommes et les femmes, Michel C.J. Westrade essaie pourtant d’en capter l’essence. Pas celle des livres d’histoire, qui repose sur « des suppositions, des insinuations ayant prétention à dire la vérité mais, la plupart du temps, travestissant le réel ». Celle que l’on trouve dans les regards, dans les lézardes des murs, dans de vieilles photographies jaunies : traces et souvenirs.

    Des hommes et des femmes qui viennent de terres noires, de côtes plombées, sous des nuages éthérés. Ce ne sont pas des hits. Ils s’appellent Henri, Jeanne, Judith, Amédée, Joseph ou Félicien. Parfois on les nomme par leur sobriquet, leur fonction ou, tout simplement, par un nom que les rend communs : l’abbé, le trimardeur, l’enfant …

    Ils ont vécu une guerre perdue qui fut pourtant gagnée. Soit eux-mêmes, soit par procuration. Aucun n’en est sorti indemne. Ils ont souffert. Ils ont ri. Ils ont pleuré. Ils ont vécu.

  • Peau d’âne, par Rosalie Varda-Demy et Emmanuel Pierrat

    Peau d’âne, par Rosalie Varda-Demy et Emmanuel Pierrat, Paris, Edition de la Marinière, 2014, 248 p., 59€.

     

    « Cette injustice vous surprend,
    Mais lorsque vous saurez ses vertus non pareilles,
    Vous ne trouverez pas que l’honneur fut trop grand…
     ».

    Oui, c’est un conte de fée. Pas la vie réelle. Une histoire de prince charmant, de tabou, de bague ensorceleuse, de couleur, de grâce et d’amour. Une histoire de princesse.

    C’était un livre (et même plusieurs). Ce fut un film (et même plusieurs).

    C’est devenu un album.

    Chef d’œuvre éditorial, cet ouvrage luxueux, qui s’ouvre comme une boîte de chocolats, nous transporte dans l’univers merveilleux et coloré de Jacques Demy, aux côtés de Catherine Deneuve, Jacques Perrin, Jean Marais, Micheline Presle, Delphine Seyrig et quelques autres.

    Et des plumes de Rosalie Varda-Demy, la fille de Jacques, et d’Emmanuel Pierrat, l’avocat qui ne dort jamais, immergé pendant quelques mois dans un univers où le bien finit toujours par transcender le mal, est donc sorti une sorte de trésor, que l’on feuillette et contemple plus qu’on ne le lit.

    « Suis-je vraiment coupable ?
    Quel crime ai-je commis ?
    Je n’ai pas mérité cette vie misérable
    Si un prince charmant
    Ne vient pas m’enlever
    Je fais ici serment que j’irai le trouver
    Moi-même
     ».

  • Napoléon dans l'Olympe, par Hippolyte Wouters

     

    Napoléon dans l’Olympe, par Hippolyte Wouters, Bruxelles, Editions Courtelignes, 2015, 32 pages,

     

    « Vos échecs ont donné de l’espoir à grand nombre.
    Vos succès ont grisé ceux qui vivaient dans l’ombre.
    Gloire sans précédent : les asiles de fous
    Sont remplis de clients qui se prennent pour vous ! »

    Quel étrange histoire que celle de ce tyran devenu héros parce qu’on lui laissa le privilège d’écrire sa propre histoire. Comme Jules César. Comment connaitrions-nous Hitler ou Staline si … ?

    Hippolyte Wouters met en scène Napoléon Ier dans un dialogue imaginaire avec Germaine de Staël, qui ne fut pas sa plus fervente admiratrice. Réflexions sur la puissance et la gloire. Des dizaines de milliers de morts contre un rêve de grandeur ? Ou l’entrée dans la modernité ? Trop beau pour être vrai ?

    Il est de ces personnages qui changent l’Histoire, en changeant l’histoire.

    Un petit texte qui se veut d’abord élégant et plaisant. Mais qui nous amène aussi à reconsidérer l’histoire (avec ou sans majuscule ? Je ne sais plus …).

    « Qui n’aime pas les fous et ne veut pas en voir,
    Doit rester dans sa chambre et casser son miroir
     ».

    Drôle d’Histoire…

  • Notices de la vie ordinaire

    Notices de la vie ordinaire, par Eric Therer, Eastern Belgium at night Editions, 2010, 58 pages, ? €.

     

    Eric Therer est fasciné par l’ordinaire. Tantôt, il expose la photo de la façade d’un grand magasin Aldi (quoi de plus banal ?), tantôt, un frigo rempli de canettes de bières (produits blancs, bien sûr).

    Ici, il s’agit de rassembler une cinquantaine d’extraits de rapports d’expertise médicale. En quelques phrases, des hommes et des femmes sont décrits,  résumés, enfermés.

    « Elle se considère incapable de maintenir un réseau social et dit ne plus en avoir la force. Elle n’entretient aucune relation amicale. Ses contacts sociaux se limitent aux relations de bon voisinage. Elle a résilié son abonnement internet ». Point.

    Une vie vide. Une vie perdue ? Une vie ordinaire.

    C’est donc une anthologie et non un ana (peut-on appeller cela un anana ?).

    Eric Therer a développé son travail en en faisant une prestation sonore, plus violente :
    https://www.youtube.com/watch?v=15hKBT9T820.

    Difficile, ensuite, de considérer les rapports d’expertise avec le même œil…

  • La fortune Gutmeyer, par Alain Berenboom

    La fortune Gutmeyer, par Alain Berenboom, Bruxelles, Genèse Éditions, 2015, 272 p., 22,50€.

     

    Ce n'est pas seulement un roman policier.

    C'est, certes, une nouvelle enquête de Michel Van Loo, le détective préféré d'Alain Berenboom, cette fois chargé par la troublante Irène de Terrenoir de retrouver l'imposteur qui, à son (très joli) nez et à sa (très précieuse) broche, est allé toucher le magot que son père, le docteur Gutmeyer, avait déposé dans une banque suisse avant de disparaître à Terezin ou à Auschwitz.

    Il y aura bien des rebondissements avant que nous découvrions le mot fin de l'histoire, qui fera voyager notre héros d'une petite pharmacie de Schaerbeek au quartier diamantaire anversois, des bureaux feutrés d'une banque bâloise aux kibboutz du naissant État d'Israël.

    C'est aussi une immersion dans la culture juive, sa permanence, sa singularité, son autarcisme, ses divisions, ses excès : ce qui fait, peut-être, que ce peuple qui s'est autoproclamé élu a souvent été persécuté.

    C'est encore une plongée dans les pages les plus sombres de l'histoire du XXe siècle : pas de blanc, rien que du gris, de toutes les intensités, jusqu'à l'anthracite.

    Mais c'est avant tout un hommage à la preuve définitive de l'existence de Dieu (lequel ? Ça, c'est une autre histoire...) : la Gueuze grenadine.

  • Robert Goffin, avocat, poète et homme de jazz, par Marc Danval

    Robert Goffin, avocat, poète et homme de jazz, par Marc Danval, Editions Le Carré gourmand, 2014, 256 p., 23,5€.

     

    « Sens-tu monter ta victoire dans ta défaite ?

    La valeur de ta vie est dans le tourbillon,

    Avec l’aile d’un phasme ou l’œil d’un papillon,

    Belle aux acropoles d’épaules et de tempes,

    Tu n’es encor qu’un peu de poitrine qui rampe,

    Sur la piste des paysages en allées,

    Où les oiseaux n’ont pas encore l’art de voler … »[1]

     

    Peut-on être à la fois un grand poète et un grand avocat ?

    Peut-on être à la fois un grand musicien et un grand avocat ?

    Peut-on être à la fois truculent, irrespectueux, frondeur, gourmand, gourmet … et un grand avocat ?

  • Somme toute (Mémoire à la barre), de Xavier Magnée

    Somme toute (Mémoire à la barre), par Xavier Magnée, Bruxelles, Avant-propos, 2014, 160 p., 16,95€

     

    « Dans le labyrinthe des apparences, la route est secrète. À ma façon, je dis la vérité ».

    Cela commence par une leçon d’humilité. Un innocent coupable que l’on croit finalement innocent et qui est pourtant coupable.

    Être avocat, c’est d’abord écouter, entendre, comprendre. Avant de parler. De dire une vérité.

    Écouter ces hommes et ces femmes qui ont perdu le fil de leur vie, qui le cherchent, qui ne le trouvent pas toujours.

    C’est un livre de souvenirs. Ceux d’une vie d’avocat. Des ombres qui passent. Des ombres d’hommes, malmenés, malmenant… Des ombres d’hommes, pas de carton.

    Les ombres de grands avocats aussi. Ceux que Xavier Magnée a côtoyés : Van Pé, Libiez, Verbruggen, De Gavre, Lafarge, Vergès, Tixier-Vignancour, …

    L’humanité se détache. Elle n’est pas toujours rose. Mais pas toujours sombre non plus.

    « Voyez-vous, le procès, surtout le procès pénal, c’est la guerre. Il faut des lois pour cela. Mais, pour les écrire, serait-il déraisonnable de prendre l’avis de quelques troupiers revenant du feu ? Ils sont, eux, les soldats de la vérité. Et l’avocat reste le seul contre-pouvoir légitime ».

    Ne pas oublier…

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