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Robert Goffin, avocat, poète et homme de jazz, par Marc Danval
Robert Goffin, avocat, poète et homme de jazz, par Marc Danval, Editions Le Carré gourmand, 2014, 256 p., 23,5€.
« Sens-tu monter ta victoire dans ta défaite ?
La valeur de ta vie est dans le tourbillon,
Avec l’aile d’un phasme ou l’œil d’un papillon,
Belle aux acropoles d’épaules et de tempes,
Tu n’es encor qu’un peu de poitrine qui rampe,
Sur la piste des paysages en allées,
Où les oiseaux n’ont pas encore l’art de voler … »[1]
Peut-on être à la fois un grand poète et un grand avocat ?
Peut-on être à la fois un grand musicien et un grand avocat ?
Peut-on être à la fois truculent, irrespectueux, frondeur, gourmand, gourmet … et un grand avocat ?
Robert Goffin fut tout à la fois. Avocat au barreau de Bruxelles, il s’illustre dans plusieurs affaires d’assises retentissantes. Il plaide notamment aux côtés d’Henry Torrès et Maurice Garçon, deux des plus grands pénalistes parisiens. Mais on sait moins qu’au début de sa carrière, il consacre plusieurs publications au droit financier et boursier. Il restera avocat, et passionné par sa profession, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge limite des lecteurs de Tintin : 77 ans.
Écrivain, il est avant tout poète. « La poésie, qu’est-ce que c’est ? À quoi je réponds avec Follain : “ C’est comme le camembert, ça se sent ”. Bourguignon, je dirais : “ Comme un vin, ça se hume ”. Et tant pis si nos intellectuels ne sentent rien. Car c’est bien à ce niveau que ça se sent d’abord ». Il publie de nombreux recueils.
Mais il touche à tout : essais historiques (Le Roi des Belges a-t-il trahit ? 1940, ou un très partial De Pierre Minuit aux Roosevelt – L’épopée belge aux États-Unis, 1943, par exemple), littéraires (un fulgurant Sur les traces d’Arthur Rimbaud, en 1934, par exemple), philosophiques (Le Roman des rats, 1937, ou Le Roman de l’araignée, 1938), biographiques (Le Roi du Colorado, en 1958), autobiographiques (Souvenirs avant l’Adieu, 1980, Confessions d’un enfant d’Ohain, 1983) ou gastronomiques (Routes de la gourmandise, 1936) et des romans (Les cavaliers de la déroute, 1941), notamment d’espionnage (5 titres de 1943 à 1945).
Il côtoie les plus grands : Cocteau, Eluard, Norge, Sartre, Gide, H.G. Wells, Maurois et Romains (avec lesquels il fonde à New-York, en 1941, un journal pro-Gaulliste, La Voix de la France), Vian, Hergé, Chagal, Thiry, Haulot, Léger, Dubuffet, mais aussi des femmes, dont particulièrement, Yvonne George, actrice et chanteuse, qui fut sa muse. Histoire à peine crédible, il croise aussi Judith Gautier, amoureuse de Victor Hugo, dernière passion de Wagner, aimée par Baudelaire, Villiers de l’Isle Adam ou Flaubert, veuve de Catulle Mendès, qui l’aurait fait sauter sur ses genoux un jour où elle visitait l’hôtel des Colonnes à Waterloo, où Victor Hugo et Juliette Drouet séjournèrent…
Mais il est aussi musicien. Goffin tombe dans le jazz dès 1920. Il joue, il commente, il étudie, il historiographie. Quand il se réfugie aux États-Unis pendant la guerre, il est chez lui, en tout cas avec les musiciens noirs : Louis Armstrong, Sidney Bechet, Charlie Parker, Duke Ellington, Oscar Peterson Cab Calloway, Ella Fitzgerald et tant d’autres. « Goffin is my man » dira de lui Louis Armstrong. Il écrit sur eux, joue avec eux, pleure avec eux.
Ah oui, Goffin a aussi été académicien, champion de Belgique d’échecs (1951-1952), grand joueur de dames ou président du club de hockey sur glace de Bruxelles…
Marc Danval, homme de radio, écrivain, historien du jazz, concepteur d’exposition, conférencier, gastronome, graphiste, chroniqueur (tiens, il n’a pas été chef de gare ?) et, presque forcément, ami de Robert Goffin, ressuscite ce personnage complètement hors-normes, espèce de Pic de la Mirandole du XXe siècle, dans une très belle monographie.
« Brûler du seul regret d’avoir trop peu brûlé ».