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Ordres communautaires et Ordres d’avocats : un pour tous, tous pour un
INTRODUCTION
Soyons lucides, les discours et les réflexions sur les institutions servent en grande partie, à dissimuler l’échec du régime qui précède, c’est-à-dire l’échec de ceux qui le composaient mais aussi de ceux qui en sont les sujets. En réalité, le succès dépend essentiellement des hommes, de la prise de conscience par ceux-ci des avantages bien compris des effets de la solidarité et, enfin, de la conscience de ce que le confort ambiant doit être bousculé pour faire face à l’extraordinaire développement de l’humanité et de la planète.
L’Ordre national a été purement et simplement rayé de la carte judiciaire en 2001, évolution de la Belgique obligeait. Il est désormais remplacé par deux Ordres qualifiés de communautaires, l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (l’O.B.F.G.) et l’Orde van Vlaamse Balies (l’O.V.B.).
Les Ordres d’avocats ont survécu, avec leurs institutions propres, les bâtonniers et les conseils de l’Ordre, mais en ayant perdu, en très grande partie, leur pouvoir règlementaire. Cinq ans plus tard, le législateur a aussi retiré le pouvoir disciplinaire aux conseils de l’Ordre.
Ce ne sont évidemment pas les nouvelles institutions et les pouvoirs dont elles disposent qui garantissent automatiquement le développement et la défense de la profession. Seule, l’utilisation qui en est faite est susceptible de produire des effets. En un mot, la majorité des avocats veulent-ils d’un barreau entrepreneurial, moderne et véritablement acteur au sein d’une société à la recherche d’idéaux et de nouveaux leaders ?
Avant de tenter de répondre à cette question, rappelons le cadre institutionnel qui est le nôtre.
COMPETENCES RESPECTIVES DES ORDRES COMMUNAUTAIRES ET DES ORDRES D’AVOCATS
Tout corps professionnel secrète un certain nombre de règles. Ainsi en est-il également des Ordres d’avocats. Les plus évidentes sont les règles de confraternité (présentation, préséance à la barre, prise de convenances, … )[1].
Ces règles n’intéressent cependant notre propos qu’à partir du moment où elles sont reçues dans notre ordre juridique, c’est-à-dire dans la mesure où elles reçoivent sa sanction[2], que ce soit devant les juridictions judiciaires (nous n’examinerons pas dans cette brève étude les conflits qui peuvent surgir entre des règles déontologiques et des règles « étatiques »[3] - ce dernier mot nous paraissant mal choisi puisque, précisément, si les règles déontologiques sont reçues dans notre ordre juridique, elles deviennent également « étatiques ») ou devant les juridictions disciplinaires.
Depuis la réforme du 4 août 2001, les Ordres communautaires ont pour mission, d’une part, de fixer « pour les relations entre les membres des différents barreaux qui en font partie, les règles et usages de la profession d’avocat » et de les unifier (art. 496, al. 2 CJ) et, d’autre part, d’arrêter « des règlements appropriés en ce qui concerne les compétences visées à l’article 495 » (art. 496, al. 1 CJ), à savoir : aide juridique, stage, formation professionnelle des avocats stagiaires et de tous les avocats, règles disciplinaires, loyauté professionnelle, défense des intérêts de l’avocat et du justiciable[4].
Ces règles s’imposent aux barreaux qui en font partie « lesquels ne peuvent, dans ces matières, adopter que des règlements complémentaires » (art 500 CJ).
Il en découle que, lorsqu’un Ordre communautaire a valablement réglementé une matière, les Ordres d’avocats ne peuvent plus adopter, dans celles-ci, que des règlements complémentaires. Encore faut-il, évidemment, que ces éventuels règlements complémentaires ne portent pas atteinte au règlement qu’ils entendent appliquer. Sous couvert de précision, il ne peut être question de dérogation.
Un certain nombre de règlements de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone ouvrent aussi aux barreaux qui le composent des options, qu’il leur appartient de mettre en œuvre[5].
Mais on ne pourrait admettre, au-delà de ces habilitations, qu’un Ordre d’avocats adopte un règlement interprétatif d’un règlement d’un Ordre communautaire, ou qu’il y prévoit des exceptions qui le videraient, fût-ce partiellement, de sa substance.
Selon certains, les Ordres d’avocats ont cependant la possibilité de fixer des règles plus détaillées ou tenant compte de spécificités locales[6]. La marge paraît cependant étroite, sauf bien sûr dans le cas cité ci-dessus de l’option réservée à ces Ordres par le règlement lui-même.
Ainsi, l’Ordre des avocats du barreau de Liège s’est interrogé sur la faculté qu’il avait de maintenir en vigueur les termes de son ancien règlement sur la mise en œuvre des mesures de suspension, ou d’en adopter de nouveaux, pour préciser le régime établi par l’article 460 du code judiciaire. Fallait-il considérer qu’en adoptant de nouvelles dispositions sur cette question, le législateur avait rendu caduques toutes les dispositions antérieurement adoptées par les Ordres en la matière, même lorsque ces dernières portaient sur des questions de détails que le législateur n’avait pas envisagées ? A priori, tel n’était pas le cas. Si, par exemple, le législateur n’avait pas prévu dans quelle mesure il appartenait à l’avocat suspendu d’avertir ses clients de la sanction qui le frappe, les Ordres d’avocats pouvaient y pourvoir. Mais, en revanche, était-il admissible qu’un Ordre d’avocats local précise la portée même de la mesure de suspension ? Par exemple, peut-il indiquer dans quelle mesure celle-ci porte sur des mandats judiciaires ou extra-judiciaires, qui ne sont pas le propre de la profession d’avocat mais qui ne sont généralement attribués qu’en raison de la qualité d’avocat ?
Prudemment, l’Ordre liégeois a préféré saisir l’O.B.F.G. en lui demandant de régir lui-même la question[7].
Reste aussi la possibilité pour les Ordres d’avocats d’adopter, comme vient de le faire à deux reprises l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles[8], des règlements dans les matières vierges, au risque que ceux-ci deviennent caducs dès que l’O.B.F.G. auquel ils appartiennent s’en empare.
Il faut toutefois souligner que les dispositions nouvelles qu’adopterait ainsi un Ordre local ne pourraient déroger, fût-ce dans la matière spécifique abordée, à des dispositions d’un règlement de l’Ordre communautaire. Pour prendre un exemple concret, le protocole adopté par les deux barreaux de Bruxelles et l’Institut des juristes d’entreprises sur l’avocat en entreprise comprend des dispositions qui dérogent à plusieurs règlements de l’O.B.F.G. ou de l’Ordre national (règlement sur la plaque professionnelle et le papier à lettre, règlement sur la confidentialité des correspondances échangées entre avocats, notamment). Ce protocole n’est pas érigé en règlement, si bien que la question de sa contrariété avec les règlements susdits ne se posent pas en ces termes, mais il semblerait donc difficile qu’il en soit ainsi puisque, si tel était le cas, un Ordre d’avocats se serait ainsi autorisé à déroger à des règlements de l’Ordre communautaire.
Ce n’est donc que lorsque la matière n’a pas été abordée du tout par l’Ordre communautaire qu’un Ordre d’avocats retrouve un pouvoir règlementaire plein et entier.
DIVERSITES ET RICHESSE DE LA BELGIQUE
La question est régulièrement posée, que ce soit à l’intérieur des frontières du pays ou à l’étranger, faut-il vraiment vingt-huit Ordres d’avocats et deux Ordres communautaires en Belgique ?
Les 7.188 avocats francophones et germanophones et les 9.356 avocats flamands constituent ensemble le barreau belge : 16.544 membres. Pas moins de trente Ordres s’occupent d’eux. D’aucuns ont évidemment déjà pensé à une simplification voire une unification des Ordres et des barreaux.
Des voix et non des moindres se sont élevés pour prôner un Ordre unique pour les francophones et les germanophones. Au nom de l’économie d’échelle, de l’efficacité, de la cohérence mais aussi de la raison.
En Angleterre, la Law Society compte 150.128 membres, le barreau de Paris à lui seul regroupe environ 24.000 avocats. En Allemagne, 5 barreaux ont plus de 10.000 membres. L’American Bar Association compte, à lui seul, au moins 375.000 membres.
À la fin de l’année 2010, le C.C.B.E. dont le siège est à Bruxelles a proposé à l’O.V.B. et à l’O.B.F.G. de s’installer dans le même immeuble que celui dans lequel il allait établir ses nouveaux bureaux. Une proximité prometteuse pour l’avenir des barreaux belges sous une égide européenne tellement bienvenue.
L’O.V.B. déclina et les quatorze barreaux membres de l’O.B.F.G. à l’unanimité en firent de même.
C’est donc l’exploitation des diversités dans un but commun à définir par l’ensemble des Ordres d’avocats et de barreaux qu’il faut privilégier. But qui devra être assimilé et fondamentalement intégré dans le projet de chacune des entités. La question est simple : le barreau belge souhaite-t-il continuer à exister demain dans le monde en pleine mutation, qui est le nôtre et au sein duquel les avocats ont un rôle à jouer pour ce qu’ils sont ?
IDEAL ? VOUS AVEZ DIT IDEAL ?
L’atmosphère sera toujours déterminante dans le cours de la vie. S’il y a de l’enthousiasme, de la confiance et de la générosité, les ailes nous poussent.
Les réflexions qui vont suivre ne concernent que l’O.B.F.G. et les barreaux qui en sont membres. Elles sont nourries d’expériences accumulées au fil du temps, de la connaissance de ces individualités laborieuses dont question ci-avant et par la conviction que nombreux sont ceux qui attendent, maintenant, une évolution de nos mentalités et de notre façon d’agir.
Les gaspillages de temps ne sont incontestablement plus de mise. Nos institutions ordinales peuvent être mieux utilisées afin que, « du premier coup », un objectif soit réalisé, qu’il s’agisse de l’adoption d’un règlement, d’une réaction à l’actualité législative ou de la concrétisation d’une amélioration pour la vie du barreau.
Un bâtonnier dans chaque arrondissement a incontestablement une raison d’être. Le maintien de conseils de l’Ordre mérite une réflexion prospective bâtie sur la recherche de sa réelle valeur ajoutée par rapport à la réalisation des objectifs sélectionnés.
L’O.B.F.G. peut, certes, mieux faire, et doit mieux faire, en se professionnalisant encore. Chacun de ses organes, c’est-à-dire chacune des personnes qui les composent, doit avoir en permanence à l’esprit des responsabilités qui sont les siennes et, dès lors, pour les exécuter pleinement, mettre en œuvre tous les moyens, dont ils disposent et qui pourraient être développés.
Mais il faut insister sur la nécessité politique d’éviter la diversité des règles déontologiques. Qui ne voit que cette diversité ne peut aboutir qu’à affaiblir la déontologie. Si tel comportement est admis ici et prohibé là-bas, quelle est la légitimité de la prohibition ? Une déontologie forte est une déontologie claire, précise, aussi universelle que possible. La raison et l’efficacité commandent donc que les réflexions sur la déontologie soient menées au sein de l’O.B.F.G., même dans les matières où les Ordres d’avocats conservent un pouvoir réglementaire. On ne peut évidemment que se réjouir d’initiatives qui émanent de tel ou tel Ordre mais la qualité et l’autorité des nouvelles règles impliquent que la réflexion soit, aussitôt que possible, élargie à tous les Ordres qui composent l’O.B.F.G.
Peut-on rompre dans ces colonnes une lance en faveur de l’utilisation optimale de la Maison de l’avocat située à Bruxelles ? N’est-ce pas le rassemblement dans la capitale de l’Europe au moment où s’ourdissent des pensées « défédéralisantes » de toute sorte qui doit être privilégié ?
En d’autres mots, c’est la détermination de chaque Ordre qui fera du barreau belge, et donc de l’O.B.F.G., le fer de lance de ces valeurs que nous nous plaisons à rappeler et à répéter. Il faut décider de les vivre au quotidien, ensemble.
Un pour tous, tous pour un !
[1] P. LAMBERT, Règles et usages de la profession d’avocat du barreau de Bruxelles, 3e éd., 1994, pp. 567 sqs. ; J. STEVENS, Regels en gebruiken van de advocatuur te Antwerpen, 2e ed., 1997, pp. 809 sqs.
[2] En Belgique, selon l’article 33 de la Constitution, les pouvoirs sont d’attribution.
[3] Sur cette question, voyez P. HENRY, « La déontologie contre le droit », in Cahiers de déontologie, vol. 2, Ordre des avocats aux barreaux de Liège et Verviers, 2004, p. 7.
[4] Avant la réforme de 2001, l’article 494 du code judiciaire avait chargé l’Ordre national de déterminer et unifier « les règles et usages de la profession d’avocat en raison des rapports qu’elle comporte entre les membres des différents barreaux ».
Déjà à l’époque, les conflits de frontières entre les compétences respectives des Ordres d’avocats et de l’Ordre national faisaient débat. Il avait été constaté que l’Ordre national avait adopté des règlements qui, stricto sensu, ne concernaient pas les rapports entre les avocats ressortissants de différents barreaux (P. LEGROS, « Les compétences de l’Ordre national et des Ordres d’avocats en matière réglementaire », in Jura vigilantibus, Mélanges Antoine Braun, 1994, p. 32).
Il aurait donc pu être plaidé que ces règlements étaient entachés d’abus de pouvoir. Il fallait néanmoins observer que le procureur général près la Cour de cassation n’avait jamais jugé opportun d’exercer de recours contre ces règlements.
Par une délibération du 25 février 1992, le conseil de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles avait ainsi estimé que les règlements de l’Ordre national concernant les rapports entre avocats de barreaux différents avaient un effet direct et qu’en cas de contrariété, ils remplaçaient les dispositions des règlements et résolutions de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles mais qu’en dehors de ces matières, les règlements de l’Ordre national conservaient la valeur d’une recommandation.
[5] Selon le Codex des barreaux de Liège et Verviers, les règlements de l’O.B.F.G. qui ouvrent des options aux Ordres d’avocats sont les suivants : règlement relatif au stage (composition et fonctionnement de la Commission du stage ; définition de ses missions et responsabilités ; composition et fonctionnement de la Commission d’agrément des maîtres de stage), règlement sur la formation initiale (programme des cours, dispenses, organisation et comptabilisation des présences), règlement sur la formation permanente (agrément des formations, modalités de contrôle), règlement sur les activités préférentielles (modalités de mise à disposition du public de la liste des activités préférentielles), règlement sur le cabinet de l’avocat et la cotisation à l’Ordre (montant et modalités de perception des cotisations, modalités de contrôle de l’ouverture d’un cabinet secondaire), règlement sur l’exercice en commun de la profession (modalités de contrôle des conventions d’association, de groupement ou de correspondance organique), règlement relatif à la publicité (possibilité d’imposer une obligation de notification préalable des projets de publicité), règlement relatif à la comptabilité de la profession d’avocat avec d’autres activités professionnelles (modalités d’autorisation) ; règlement relatif au contentieux des honoraires (mise en place de procédures d’avis, d’arbitrage et de conciliation).
[6] F. GLANSDORFF, « Les compétences règlementaires et judiciaires respectives de l’O.B.F.G. et des Ordres », La Tribune, 2004, n° 17, p. 10.
[7] Un nouveau règlement sur les suspensions disciplinaires a déjà été discuté à deux reprises en assemblée générale.
[8] Le 12 octobre 2010, le conseil de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles a adopté, sans concertation avec les autres barreaux de l’O.B.F.G., deux règlements nouveaux, l’un consacré aux relations de l’avocat avec les tiers pressentis pour établir une attestation écrite et l’autre aux relations de l’avocat avec les témoins dans les modes de résolution des conflits qui ont un fondement contractuel, tels que l’arbitrage, la médiation, la conciliation ou la tierce décision obligatoire.
Robert De Baerdemaeker & Patrick Henry,
J.T., 2007