Prête-moi ta plume

  • Les contemplées, par Pauline Hillier

    Les contemplées, par Pauline Hillier, Paris, La Manufacture de livres, 2023, 184 pages, 18,90 euros.

    Je suis sale de cette nuit dans la crasse de la Geôle. Sale des regards concupiscents des gardiens. Sale de la fouille à nu. Sale de l’air que je respire, inspiré et expiré par trente bouches avant moi. Sale d’avaler leurs haleines, l’intérieur de leur corps, le souffle de leurs entrailles. Sale de ces inconnues autour de moi, de leurs chairs ramollies qui frôlent les miennes, de leur proximité, de leur omniprésence dans mon champ de vision. Tout me dégoute.

    Ainsi commence la détention de Pauline Hillier à la Manouba, la prison pour femmes de Tunis. Pourquoi est-elle là ? Peu importe. Elle ne le dira qu’en toute fin d’ouvrage et ce n’est pas important.

    Ce qui importe c’est la bête. La Manouba. La prison. Et ceux qu’elle avale, qu’elle humilie, qu’elle broie, qu’elle réduit à la condition de bête sauvage. Machine à extirper la dignité, à nier l’humanité.

    Pourtant, dans ce lieu clos, vivent des femmes. Elles ont tué, elles ont volé, elles ont escroqué, elles ont été violées et elles ont osé le dénoncer. Elles sont coupables ou victimes. Elles ont été condamnées à la réclusion, à être des recluses. Certaines en deviennent folles. D’autres gèrent, s’adaptent, se créent un nouveau microcosme. Mais elles ont un point commun : elles sont pauvres.

    La prison c’est pour les pauvres.

     

  • La Turquie, nouveau califat ? par Ardavan Amir-Aslani

    La Turquie, nouveau califat ?, par Ardavan Amir-Aslani, Paris, L’Archipel, 2023, 422 pages, 21 euros.

    Après deux décennies de « règne » sans partage, le bilan que le président-sultan laissera dans l’Histoire sera sans doute mitigé. Outre qu’elles sont exorbitantes pour ses finances en grande difficulté, les ambitions démesurées de sa politique étrangère ont fait de la Turquie une nation qui dérange. Bien qu’ils tolèrent de moins en moins ses ambivalences et ses chantages, ses alliés de l’OTAN, comme ses partenaires économiques de l’Union européenne, se trouvent bien en peine de prendre des mesures radicales face à un allié qui reste indispensable par sa force de frappe militaire et son positionnement géographique stratégique. Conscient de son poids géopolitique, Erdogan maintient son étrange stratégie d’équilibriste, caractérisée par une forte agressivité diplomatique, dans le seul et unique but de faire avancer l’agenda qu’il a fixé pour la Turquie…

    Le Moyen-Orient, c’est comme la Belgique : si on vous explique et que vous comprenez, c’est qu’on vous explique mal…

    Pourtant, en lisant ce bel essai d’Ardavan Amir-Arslani, avocat turc inscrit au barreau de Paris, où il enseigne également la géopolitique du Moyen-Orient à l’École de guerre économique, j’ai eu l’impression de comprendre pas mal de choses. Bon, ce n’est pas tout le Moyen-Orient, mais c’est quand même la Turquie et ses voisins.

  • Libera me, par François Gibault

    Libera me, par François Gibault, Paris, Gallimard, 2014, 422 pages, 23,90 euros.

    J’ai plaidé du mieux que j’ai pu et, sans vantardise, j’ai bien plaidé. Se levant après moi, Maurice Garçon a été ignoble, commençant sa plaidoirie par ‘mon jeune confrère Griveau a fait de son mieux, je pense maintenant qu’il est temps de reprendre sérieusement point par point cette affaire’. Et, tout au cours de sa plaidoirie, quand il était obligé de me citer puisqu’il plaidait la même chose que moi, il m’a toujours appelé Griveau pour être certain que mon nom véritable ne serait pas dans les journaux. Je l’ai entendu plaider une fois aux assises, contre Floriot, et je dois à la vérité de dire qu’il plaidait à la perfection. Je dois dire aussi que son journal des années d’Occupation, inédit à ce jour et pour la publication duquel je me bats, est un chef d’œuvre. Ainsi, sans rancune, je suis bêtement objectif.

    François Gibault a mené une triple carrière. Il est d’abord avocat, et a donc plaidé aux côtés des plus grands ténors de la profession. Il fut aussi officier dans l'armée française. Il est enfin écrivain et grand défenseur de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline. Il a, notamment, publié sa biographie en trois tomes. Et c’est lui qui préside aujourd’hui à l’édition des manuscrits perdus puis retrouvés du sulfureux auteur.

  • Peurs en eau profonde, par Olivier Descosse

    Peurs en eau profonde, par Olivier Descosse, Paris, XO éditions, 2022, 494 pages, 19,9 euros.

    La culpabilité ressemble à un grand feu, disait le proverbe persan. Il ne suffit pas d’éteindre les flammes pour en anéantir les braises.

    Pourquoi toutes les femmes que Jean Sardi commence à aimer meurent-elles tragiquement ? Malédiction ? Depuis que ce plongeur émérite a perdu Marion, son épouse, au cours d’une plongée risquée au Groenland, après l’avoir abandonnée dans une grotte de glace pour aller chercher des secours et n’avoir pas été capable de la retrouver ensuite, toutes les femmes qu’il approche meurent de façon violente : accident stupide ou disparition inexpliquée.

    Mais là, les choses viennent de changer. Le corps sans pied qui vient de remonter à la surface et qui porte d’étranges traces de scarifications pourrait aussi être celui d’une de ses ex…

    lire la suite : https://latribune.avocats.be/fr/peurs-en-eau-profonde-par-olivier-descosse

  • Clandestine, par Alain Berenboom

    Clandestine, par Alain Berenboom, Bruxelles, Genèse éditions, 2023, 248 pages, 22,5 euros.

    Perry Mason nous l’a appris, le pire pendant une audience est de se laisser surprendre. Si le juge pose une question, il faut que l’avocat connaisse la réponse parce qu’il la préparée avec son client et avec les témoins lorsque c’est possible…

    Ne préparez pas votre plaidoirie, préparez-vous à plaider.

    C’est un peu ce à quoi s’attache Maître Biederman, avocaillon bruxellois généraliste auquel son fantasque ami d’enfance Errol a confié la défense de l’énigmatique Iulia, une réfugiée russe, arrêtée à Zaventem lors d’un banal contrôle douanier.

    Énigmatique, mais aussi insaisissable. Et séduisante. Maître Biederman n’est pas le seul à tomber sous son charme. Sa mère, elle-même russe juive nostalgique de l’époque stalinienne, semble trouver une nouvelle jeunesse auprès de la fascinante Iulia. Au point de concevoir le projet de s’envoler avec elle pour cette Jérusalem qu’elle avait toujours snobée jusque-là.

    Mais comment aider une cliente qui vous mène en bateau, de mensonges en semi-vérités ? Comment faire la part entre l’invraisemblable et l’inacceptable ?

    https://latribune.avocats.be/fr/clandestine-par-alain-berenboom 

  • Ernestine ou la justice, par Emmanuel Pierrat et Joseph Vebret

    Ernestine ou la justice, par Emmanuel Pierrat et Joseph Vebret, Paris, Les escales, 2022, 286 pages, 20 euros.

    Pour faire une femme médecin, il faut lui faire perdre la sensibilité, la timidité, la pudeur, l’endurcir par la vue des choses les plus horribles et les plus effrayantes. Lorsque la femme en serait arrivée là, je me le demande, que resterait-il de la femme ? Un être qui ne serait plus ni une jeune fille, ni une femme, ni une épouse, ni une mère !

    Il est vrai que ces paroles, dues à un certain docteur Montanier, ont été prononcées juste avant la guerre 14-18. J’imagine qu’elles n’auraient plus pu l’être quelques années plus tard. Mais nous savons bien qu’à l’époque, des propos identiques étaient opposés à celles qui voulaient devenir avocates et, bien plus encore, magistrates.

    Une fille remarquable était une fille qu’on ne remarque pas, qu’on oublie, qui ne fait pas parler d’elle, qui ne commente pas, ne donne jamais son avis.

    Tel faillit être le sort d’Ernestine, fille d’un drapier parisien dont les affaires étaient prospères, promise à Eugène, un jeune homme de bonne famille qui rêvait d’en faire une parfaite épouse et mère.

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    https://latribune.avocats.be/fr/ernestine-ou-la-justice-par-emmanuel-pie...

  • Offshore, par Renaud Van Ruymbeke

    Offshore, par Renaud Van Ruymbeke, Paris, Les liens qui libèrent, 2022, 270 pages, 20 euros.

    Pourquoi l’Union européenne n’impose-t-elle pas à Chypre, quitte à l’assister, de créer des postes d’enquêteurs qualifiés en nombre suffisant pour mettre à plat le système bancaire en place dans l’île et saisir l’argent des fraudeurs ? Pourquoi n’impose-t-elle pas aux autorités chypriotes de poursuivre les banquiers et autres intermédiaires qui ouvrent et gèrent ces comptes ? Le blanchiment est aujourd’hui l’objet de multiples conventions internationales, chaque État prenant l’engagement d’y mettre fin. Encore faut-il les mettre en œuvre.

    Déjà auteur des Mémoires d’un juge trop indépendant, Renaud Van Ruymbeke a été juge d’instruction, en charge de nombreuses affaires financières, pendant une vingtaine d’années.

    Certains politiques dénoncent le « gouvernement des juges ». Il leur répond d’une façon cinglante.

    En réalité, les juges qui instruisent des dossiers politico-financiers ne cherchent pas à prendre le pouvoir. Ils appliquent simplement la loi votée par les partis politiques à l’Assemblée nationale à l’ensemble des citoyens, hommes ou femmes politiques inclus. C’est le principe d’égalité devant la loi.

     

  • Rechten sonder grenzen, par Luc Waleyn

    Rechten zonder grenzen, par Luc Walleyn, Berchem, Mammoet, 2022, 270 pages, 26 euros.

    Luc Walleyn est un des anciens présidents d’Avocats sans frontières. Mais pas que…

    Issu d’une famille catholique de Flandre occidentale, mais peut-être plus encore ancien soixantehuitard (il se plait à raconter qu’il a vécu dans une communauté en compagnie d’un couple de dealers, d’un gangster en fuite et d’un danseur de Béjart), sa conscience politique s’éveille à l’Université (comme il le raconte, à Louvain, il était de ceux qui criaient plutôt « Bourgeois buiten » que « Walen buiten »). Il fréquente donc les milieux d’extrême gauche et c’est tout naturellement que, lorsqu’il aura prêté le serment d’avocat, il défend AMADA et est l’un des fers de lance du mouvement qui dénonce le sinistre bourgmestre raciste de Schaerbeek et ses fameux guichets. C’est le début d’une carrière dédiée à la défense des droits de l’homme.

    Ici, mais aussi partout dans le monde, partout où les droits des plus vulnérables sont bafoués, partout où il a la possibilité de porter efficacement secours. Ce livre retrace ce parcours singulier. Il raconte.

  • A douze pieds sur terre, par Hippolyte Wouters

    À douze pieds sur terre, par Hippolyte Wouters, Bruxelles, 88 pages, 20 euros (à commander à l’adresse hippolyte@wouters-theatre.com ).

    Le premier qui lança l’insulte au lieu d’un gnon,

    A sans doute inventé la civilisation.

     

    Il est curieux de voir combien l’intelligence

    À l’évidence peut opposer de la résistance

    Voici deux des maximes qu’Hippolyte Wouters nous a réservées. Il en est une bonne soixantaine d’autres dans cette auto-anthologie qu’il s’est composée, sorte de testament qu’il nous livre après plus de trente ans d’écriture.

    Nous connaissions plutôt son œuvre théâtrale, dont j’ai à plusieurs reprises rendu compte dans cette rubrique. Ici, il y a trois sortes de textes. Les maximes, qui ferment l’ouvrage, dont beaucoup sont délicieuses.

    Les hommes ennuyeux ont ceci d’épatant

    Que, la vie étant courte, ils allongent le temps.

    Ou, plus sérieusement :

    La religion qui perd de son intolérance

    Est condamnée à terme à périr d’indigence.

     

    https://latribune.avocats.be/fr/a-douze-pieds-sur-terre-par-hippolyte-wo...

  • Nos animaux sauvages et leurs noms, par Alain Lebrun

    Nos animaux sauvages et leurs noms, par Alain Lebrun, Paris, L’Harmattan, 2022, 266 pages, 26 euros.

    Alain Lebrun est un amoureux de la nature. Il nous a déjà offert une étude sur Les prénoms floraux et un petit roman aux accents chamaniques, Révélation dans la taïga.

    L’entreprise est cette fois plus ambitieuse, d’autant que plusieurs suites sont annoncées (le monde des oiseaux, le monde aquatique, les arbres et arbustes). Il s’agit d’étudier les animaux de chez nous (il précise qu’il ne peut être question de s’attacher aussi aux espèces récemment importées dans nos contrées par des humains un peu inconscients) et les influences croisées qu’ils ont exercées sur notre civilisation.

    Chaque article suit le même schéma. D’abord l’étymologie : la plupart des animaux ont un nom hérité du grec ou du latin, mais d’autres influences se manifestent çà et là : parlers germaniques, scandinaves, romans, voire basque… En fonction bien sûr des aires de répartition principales des espèces. Et il n’est pas rare que des croisements surviennent. Si le nom du lièvre vient du latin, lepus, celui de sa femelle, la hase vient lui de l’allemand. De même, sanglier vient du latin, le bien connu d’Obélix singularis porcus, mais laie vient du francique leka.

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