Prête-moi ta plume

  • Couleur et droit, par Jacques Larrieu

    Les rapports entre le droit et la couleur sont nombreux. Parfois la couleur dit le droit (c'est le cas des panneaux routiers, des feux de circulation, des cartons des arbitres sportifs, des balises maritimes...). Parfois la couleur dit le statut (c'est le cas des casques bleus, des drapeaux blancs, des croix rouges, vertes ou blanches...). Parfois c'est le droit qui dit la couleur (à Wimbledon, on joue en blanc ; un piment d'Espelette, c'est rouge ; les anneaux olympiques ont cinq couleurs standard). Parfois la couleur est saisie par le droit (les semelles rouges des souliers Louboutin sont protégées par le droit, comme l'outrenoir d'Anish Kapoor, et tant d'autres).

    Jacques Larrieu, professeur en droit de la propriété intellectuelle et de la concurrence, s'est livré à ce curieux inventaire des liens entre le droit et la couleur.

    Couleur et droit par Jacques Larrieu | La Tribune (avocats.be)

  • Considérant, Revue du droit imaginé

    Considérant, Revue du droit imaginé, sous la direction de Nicolas Bareït et Damien Connil, Paris, Classiques Garnier, 2022, 294 pages, 38 €.

    Le coupable condamné à mort pour parricide, sera conduit sur le lieu de l’exécution, en chemise, nu-pieds, et la tête couverte d’un voile noir. Il sera exposé sur l’échafaud pendant qu’un huissier fera au peuple lecture de l’arrêt de condamnation ; il aura ensuite le poing droit coupé, et sera immédiatement exécuté à mort (article 13 du Code pénal de 1810).

    Le parricide : crime suprême, crime contre l’ordre naturel, crime reconnu comme tel dans la plupart des civilisations, de la nôtre, judéo-chrétienne, aux orientales, marquées par le confucianisme.

    La revue Considérant, publiée une fois par an à Paris, se sous-titre elle-même « Revue de droit imaginé ». Elle explore les relations entre civilisations, littérature et droit. J’ai choisi de vous parler de son numéro 4, publié en 2022. Les numéros précédents avaient porté sur les thèmes « Représenter le droit » (2019), « L’élu » (2020), « L’erreur judiciaire » (2021). Le numéro 2023 est consacré au droit constitutionnel. C’est donc le parricide qui est l’objet de l’édition 2022. Il est disséqué au travers de neuf contributions, qui puisent leurs inspirations dans des domaines très divers, de l’histoire du droit au cinéma, en passant notamment par la sociologie et l’anthropologie.

  • Avocat des flics, par L-F Liénard et Avocat des libertés, par Y. Bouzrou

    Avocat des flics, par Laurent-Frank Liénard, Paris, Nouveau Monde éditions, 2022, 300 p., 18,90 €.

    Avocat des libertés, par Yassine Bouzrou, Paris, Nouveau Monde éditions, 2022, 336 p., 18,90 €.

    Ils ont énormément de points communs, à commencer par leur farouche esprit d'indépendance, leur engagement sans faille, leur parfaite maîtrise non seulement des règles du droit pénal et de la procédure pénale, mais aussi des domaines d'expertise qu'ils sont amenés à discuter dans le cadre des procès qui leur sont confiés, comme la balistique par exemple. Ils acceptent des causes difficiles, « sensibles » : de celles qui vous valent des menaces de mort[1].

    Ils sont donc pleinement avocats. Du genre combatif. Ils ont d’ailleurs tous deux pratiqué la boxe.

    L'un défend généralement les policiers, l'autre les victimes de violences policières illégitimes.

    Comme ils sont avocats, ils ont des points de vue différents. Mais ceux-ci ne sont pas forcément incompatibles. Ils ne nous parlent d'ailleurs pas des mêmes affaires, ou très rarement.

  • Women, Life, Freedom, par Nasrin Sotoudeh

    Women, Life, Freedom, par Nasrin Sotoudeh, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2023, 70 p., 7.99$[1].

    Quant au fait d'apparaître sans hijab en public, l'accusée est condamnée à septante quatre coups de fouet, conformément à l'article 638 du Code pénal islamique ; quant à la diffusion de fausses informations dans le but de manipuler le public, l'accusée est condamnée à trois ans d'emprisonnement et à septante quatre coups de fouet, conformément à l'article 698 du Code pénal islamique ; quant au trouble de l'ordre public, l'accusée est condamnée à deux ans d'emprisonnement, en tenant compte des jours déjà passés en détention.

    Ainsi prononcé à Téhéran, le 3 novembre 2018, par la 28e chambre du tribunal révolutionnaire.

    Il était reproché à Nasrin Sotoudeh d’avoir « publié une déclaration et demandé la tenue d'un référendum sous la supervision de l'ONU » en vue d’obtenir une modification de la Constitution remplaçant l’actuel système de la République islamique, en compagnie, notamment, de Shirin Ebadi, ancienne prix Nobel de la paix (2003), et de Narges Mohammadi, qui vient de recevoir à son tour cette distinction.

  • Intra muros, par Gaston Vogel

    Intra muros, par Gaston Vogel, Luxembourg, éditions Guy Binsfeld, 2023, 224 p., 26 €.

    Je suis ahuri d’apprendre que K. aurait ainsi déposé dans d’importantes affaires judiciaires comme témoin devant sa maitresse, qui en sa qualité de vice-présidente était chargée de les instruire à l’audience.

  • La petite fille, par Bernard Schlink

    La petite fille, par Bernhard Schlink, Paris, Gallimard, 2023, 338 pages, 23 euros.

    Il m’est arrivé en petit ce que j’ai vu arriver en grand aux Allemands de l’Est après la chute du Mur. D’abord, ils furent joyeusement accueillis comme étant les bienvenus. Ils furent aussi questionnés avec intérêt sur ce qui s’était passé à l’Est et comment ils y avaient vécu. Mais on les interrogea comme quelqu’un qui rentre de voyage. Lorsqu’il apparut qu’ils n’avaient pas seulement fait un voyage, mais qu’ils venaient d’un autre monde, un monde où certaines choses ne leur avaient pas convenu, mais qui était le leur, qu’ils avaient édifié et entretenu, auquel ils étaient et restaient liés, l’intérêt disparut.

  • Léopold, enfant secret du Royaume, par Eric Causin

    Léopold, enfant secret du Royaume, par Éric Causin, Bruxelles, Genèse éditions, 2023, 112 pages, 17,5 euros.

    De tous les documents que tu avais parcourus jusque-là, c’était le plus ancien et, à en juger par le soin qui l’avait entouré, le plus précieux… C’était un arbre généalogique… Tu repris le décryptage, mot après mot, du plus ancien vers le plus récent, car tu voulais trouver ta place. Ton attention fut attirée par quelques lettres, peu lisibles, figurant à côté de ton prénom. L’encre utilisée était différente, l’écriture paraissait plus récente, comme si son auteur avait finalement exprimé ce qu’il avait jusque-là caché… Sous l’unique prénom Léopold de tout l’arbre, une main tremblante mais ferme – tu reconnus celle de ton père – avait écrit en petits caractères : adultérin, suivi d’un point d’exclamation.

    Tes yeux se figèrent sur le texte : à plusieurs reprises, tu répétas a-d-u-l-t-é-r-i-n à mi-voix, mécaniquement. Tout en toi se figea.

    Léopold Havenith est un enfant adultérin. Par sa mère. Son père était veuf quand il a été conçu. Mais son père n’était pas le premier venu. Ou plutôt si. Son père c’était le Roi. Léopold III.

  • Solus dare - (se) donner seul, par Jacques Laffineur

    Solus dare – (se) donner seul, par Jacques Laffineur, Wavre, Mols, 2021, 158 pages, 18 euros.

    La générosité pour l’individu est une vertu morale, la solidarité pour le groupe, une nécessité économique, sociale, politique. La première, subjectivement, vaut mieux. Mais elle est objectivement à peu près sans effet. La seconde, moralement, ne vaut guère, mais elle est, objectivement, beaucoup plus efficace.

    Cette pensée d’André Compte-Sponville est le point de départ de Céline, l’héroïne de Solus dare, le nouveau roman de Jacques Laffineur.

    Céline est chercheuse en sciences humaines à Grenoble et elle a entrepris une thèse sur un thème un peu exceptionnel : Génétique et générosité : étude des interactions causales aux confins de l’éthologie, de la sociologie, de la psychologie et de l’anthropologie.

    Quel est le ressort de la générosité ? Donne-t-on d’abord pour soi ? Parce que l’on attend un retour (comme dans la chanson de Jean-Jacques Goldman : il y a une question dans « Je t’aime ») ? Ce retour est-il nécessairement matériel ? Ne suffit-il pas parfois d’un simple sentiment de satisfaction intérieur, de pouvoir se dire à soi-même que l’on a bien agi et que, donc, sans même en attendre quoi que ce soit d’autre, on peut avoir une bonne image de soi ? La fierté comme seule rétribution…

  • Les quatre vérités du procès pénal, par Bruno Dayez

    Les quatre vérités du procès pénal, par Bruno Dayez, Bruxelles, Samsa, 2023, 64 pages, 8 €.

    Le jugement est donc, du point de vue de la vérité, sa propre fin. Il se suffit à lui-même. Quel qu’il soit, il fera autorité. Après avoir clôturé les débats, le tribunal s’en est allé délibérer seul. L’effet utile de sa décision n’est pas à chercher du côté de la vérité ; il consiste essentiellement en ce que le procès s’est tenu. Il est achevé une bonne fois pour toutes. Son bénéfice principal est d’avoir mis un terme à ce qui l’avait suscité. En d’autres termes, que le jugement soit – ou non – conforme à la vérité est relativement anecdotique puisqu’il n’y a aucun lieu où se tenir pour en juger. Beaucoup plus essentiel est le fait que tout jugement quelconque, assimilé d’office à la vérité par l’effet d’une fiction juridique, ne puisse jamais être remis en question et force le respect.

    Peut-être touchons-nous là deux des causes majeures de la crise que connaît aujourd’hui notre société.

    Tout d’abord, faute de moyens, les procès se font rares. Et lorsqu’un conflit reste ainsi sans solution, parce que le ministère public a, bon gré, mal gré, classé sans suite, c’est une plaie qui reste ouverte, qui continue de saigner, de s’infecter, de contaminer.

  • Café et cigarettes, par Ferdinand Von Schirach

    Café et cigarettes, par Ferdinand Von Schirach, Paris, Gallimard, 2023, 164 pages, 20 euros.

    Lors d’une attaque terroriste à Bruxelles, deux bombes explosent dans l’aéroport et une autre dans une station de métro. Trente-cinq personnes sont tuées et plus de trois cents blessées.

    Le soir, le ministre de l’Intérieur déclare devant les caméras : « La protection des données, c’est bien beau, mais en temps de crise, la sécurité prime ».

    Ceci est le 31e des 48 fragments qui composent cet ouvrage. Cinglant, limpide. Comme la terrible maxime de Benjamin Franklin sur la sécurité et la liberté.

    Il est aussi le plus court. Les plus longs font cinq ou six pages. Des notes prises au hasard de pérégrinations, des souvenirs, des annotations de lecture. C’est parfois tendre, parfois critique, parfois ironique, voire provocateur (comme lorsqu’il se lance dans une curieuse apologie de la cigarette), toujours pertinent.

    Ferdinand Von Schirach est avocat pénaliste à Berlin. Il a écrit plusieurs romans. J’ai déjà rendu compte de deux d’entre-eux : L’affaire Collini et Tabou.

    La vérité est un thème qui l’obsède. Je le rejoins.

     

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