Prête-moi ta plume

  • Le procès Mawda, par Laurent Kennes

    Le procès Mawda, par Laurent Kennes, Bruxelles, Kennes éditions, 2022, 216 pages, 19,90 euros.

    Ce n’est donc plus « la défense » qui s’exprime face à l’accusation, mais l’avocat, révolté avant tout par le sort que la Belgique réserve à celles et ceux qui, comme les parents de Mawda, comme les autres occupants de la camionnette, comme les milliers de personnes qui, dès que l’occasion se présente et à quel prix que ce soit, tentent de traverser une frontière qui leur est fermée.

    L’avocat, révolté par le manque de nuance et de réflexion qui ont dominé les débats autour de ce drame, tant dans le procès judiciaire qu’en dehors. L’avocat, révolté toujours par le sort réservé à cet homme sur les épaules de qui notre société a, injustement, fait peser le poids de la mort d’une enfant.

    Le procès n’a pas mis en avant la réalité des migrants. C’est regrettable…

    Laurent Kennes a défendu Victor (prénom d’emprunt), le policier dont le tir, accidentel plus que vraisemblablement, a tué la petite Mawda. Il est sorti révolté de ce procès. Il voulait le crier. Il voulait expliquer pourquoi. Il le fait.

  • Ne dites pas ... mais dites ... Fleurir son langage, par Nicolas Bernard

    Ne dites pas… mais dites… Fleurir son langage, par Nicolas Bernard, Bruxelles, Larcier, Petites fugues, 2022, 426 pages, 25 euros.

     

    Ne dites pas « Le Standard a battu Anderlecht » mais dites « Le Standard a disposé d’Anderlecht » ou « Les Rouches ont damé le pion aux Mauves et Blancs » ou « Le Standard s’est adjugé le Clàsico ».

    Ne dites pas « Le Standard bat facilement tous ses adversaires » mais dites « Le Standard marche sur le championnat ».

    Nicolas Bernard est donc à la fois nostalgique et supporter du Standard. Il est vrai qu’il y a peut-être là un pléonasme[1]

    Il a donc entrepris de recenser une flopée de tournures élégantes qui se substitueront avantageusement à de plus usuelles expressions triviales.



    [1] Pensez-donc. A Liège, certains m’appellent le « bâtonnier des titres » car les deux derniers titres du Standard remontent à cette époque (hé oui, 2007-2008 et 2008-2009 ! Déjà).

     

  • Lettre à mes juges / Lettre au procureur du Roi, par Bruno Dayez

    Lettre à mes juges, par Bruno Dayez, Gerpinnes, Samsa, 2021, 46 pages, 8 euros.

    Lettre au procureur du Roi, par Bruno Dayez, Gerpinnes, Samsa, 2022, 52 pages, 8 euros.

    Ce qui m’intéresse, et qui est l’objet de ce petit livre, n’est certainement pas ce qui singularise tel ou tel, mais, au contraire, ce qui est de l’essence de juger que tous partagent à partir du moment où ils sont préposés à le faire. Car juger est un métier, ce dont personne ne s’étonne vraiment, alors qu’il ne va pas forcément de soi d’avoir comme travail rémunéré, non seulement de décider si chaque prévenu est coupable ou non, ce qui suppose d’être toujours dans le « vrai », mais aussi de punir équitablement, ce qui suppose d’être toujours dans le « juste ».

    Par deux longues correspondances (ou petits livres), notre confrère Bruno Dayez s’adresse, d’une part, à « ses » juges, d’autre part, « au » procureur du Roi. Pourquoi cette différence ? Parce que, indique-t-il, tout en s’adressant à la totalité du corps, il n’a voulu évoquer que les juges devant lesquels il a « eu l’honneur de plaider ». Tandis que, pour ce qui concerne le ministère public, il parle à l’institution. Effet de son indivisibilité ? Convenons que cette question rhétorique est finalement peu importante.

  • Mes plus beaux procès, par Daniel Spreutels et Denis Goeman

    Mes plus beaux procès, par Daniel Spreutels et Denis Goeman, Gerpinnes, Kennes éditions, 2021, 264 pages, 19,90 euros.

    « Vous devriez écrire un livre, maître » … Si j’ai très souvent entendu cette suggestion, je n’ai jamais eu l’intention de le faire. Qui suis-je pour consacrer à mon parcours de vie un livre ? Je trouvais l’idée aussi prétentieuse que déplacée. Il y a tant d’existences infiniment plus remarquables que la mienne qui mériteraient d’être relatées ».

    La réponse à cette interrogation fondamentale doit certainement être trouvée dans la liste des personnes que l’on croise au détour des pages de cette biographie. Il y a des criminels fameux : Marcel Habran, Geneviève Lhermitte, Richard Remes, Albert la Scoumoune, l’Araignée ou le bel Helmut, … Et puis, et peut-être surtout, des grandes figures du sport : Constant et Roger Vanden Stock, Albert Roosens, Eddy Merckx, Paul Van Himst Gilles De Bilde, Raymond Goethals, Bernard Tapie ou Björn Borg.

    Et tout cela fait des histoires, dont nous avons tous entendu parler et que nous avons plaisir à redécouvrir, par un autre bout de la lorgnette.

    Ce n’est guère Daniel (« Dany ») Spreutels qui parle. C’est Denis Goeman, ancien porte-parole du parquet de Bruxelles, mais surtout ancien collaborateur du maître, qui est à la plume et qui raconte, avec, il faut bien le dire, une certaine complaisance. On n’est quand même pas loin du panégyrique.

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  • Rock'n'roll Justice, par Fabrice Epstein

    Rock’n’roll justice, par Fabrice Epstein, Paris, La manufacture de livres, 2021, 320 pages, 25 euros.

    Comme la justice, le rock raconte des histoires, permet de mieux comprendre l’être humain, d’approfondir ses comportements. Les rockeurs sont des narrateurs. Littérature chantée, poésie parfois, ou borborygmes inanimés pour les plus réactionnaires, le rock met en scène, conte, contredit, évoque des faits, des situations qui provoquent la loi. N’a-t-on pas parlé dans les années soixante-dix d’outlaw rock ? Ce n’est pas pour autant que les rockers qui défient la loi sont les mieux armés pour embrasser la vie des accusés qui attendent le verdict, des condamnés à vivre… dans les prisons. Là-bas, la paillasse est dure, inexorablement.

    Fabrice Epstein est avocat au barreau de Paris, spécialisé dans le droit des sociétés. Fusions et acquisitions, capital investissement, n’ont pas de secret pour lui. Mais il est aussi grand amateur de rock et chroniqueur pour le magazine Rock&Folk.

  • La dernière audience, par Foulek Ringelheim

    La dernière audience, par Foulek Ringelheim, Bruxelles, Genèse éditions, 2021, 128 pages, 17,5 euros.

    La femme arrêta la voiture devant le commissariat de police. Elle alla déposer son fusil sur le bureau de l’agent de service et déclara : « Voilà. Je viens de tuer mon mari. » Elle frissonna enfin et se laissa choir sur une chaise. Elle n’était plus qu’une femme assise. 

    Des magistrats fornicateurs (bon, pas en salle d’audience certes, mais pas loin quand même : dans leur bureau ou dans la salle de délibérations), un greffier « sans paupières et à la bouche cousue » qui conserve son air de greffier même lorsqu’il est en slip de bain, des avocats fats et imbus. Et puis des meurtriers froids, des suicidés passionnés. Des hommes et des femmes confrontés à une justice d’hommes et de femmes…

    Dans la foulée de Boule de juif, les amis du regretté Foulek Ringelheim ont eu la bonne idée de faire éditer ce petit recueil de nouvelles grinçantes. Images d’une justice qui tourne parfois sur elle-même, d’une société qui engloutit et dévore ses membres. Images parfois joyeuses, cocasses, réjouissantes, parfois froides, implacables ou mélancoliques.

  • Le livre de Maître Mô, par Jean-Yves Moyart

    Le livre de maître Mô, par Jean-Yves Moyart, Paris, Les Arènes, 2021, 384 pages, 20 euros.

    Oui, la ministre aurait dû être là et assister à cette audience, farcie de peines plancher dont celle-ci était l’apothéose. Nos brillants députés aussi, qui votent ce genre de choses ; ceux des magistrats que je connais qui pensent qu’être un gardien de l’application de la loi, c’est se contenter de l’appliquer sans nuances ; ceux de mes confrères qui, dès qu’elle est juridiquement applicable, baissent les bras ; et tous ceux, dans l’opinion publique, cette espèce de grande putain, qui osent soutenir ce type de décision uniquement sécuritaire ou censée l’être, sans réfléchir un instant à qui on va l’appliquer, et qui changeraient immédiatement d’avis si cette petite fille en ciré jaune trop grand était leur enfant ou leur sœur….

    Jean-Yves Moyart, alias Maître Mô, était avocat à Lille. Et aussi bloggeur et twitto. Il s’était attiré une belle audience (près de 70.000 followers sur Twitter, 20.000 visiteurs quotidiens sur son blog), séduite par la causticité, mais aussi la générosité, de ses chroniques extraordinaires de la justice ordinaire.

    Il est mort le 20 février 2021, à l’âge de 53 ans, emporté par cette saleté de cancer. Trois de ses compères de la twittosphère, Maître Éolas, Judge Marie et Éric Morain ont uni leurs forces pour faire éditer les plus belles de ses chroniques.

     

  • L'homme qui voulait être aimé, par Georges Kiejman

    L’homme qui voulait être aimé, par Georges Kiejman et Vanessa Schneider, Paris, Grasset, 2021, 256 pages, 20 euros.

    Qu’est-ce qu’un bon avocat ? Plus de soixante ans après avoir commencé à exercer cette profession, je m’interroge encore tant la réponse est complexe, floue, multiple et incertaine. Peut-être pourrait-on commencer par tenter de définir ce que serait un mauvais avocat. Selon moi, quiconque se dirait « j’ai appris le droit, je vais l’utiliser pour me mettre au service de gens qui ne le connaissent pas, que ce soit dans des affaires civiles, commerciales ou pénales, et cela va me rapporter de l’argent », se trompe. Il connaîtra peut-être des succès, mais il ne sera jamais un grand avocat. Un « grand avocat », à supposer que ce statut existe, est quelqu’un qui, au-delà des personnes physiques dont il s’occupe, a le sentiment de servir une cause que l’on pourrait appeler la démocratie.

    De la différence entre le bon avocat, dont Georges Kiejman parle au début de cette période, et le grand avocat, dont il traite à la fin ? Être conscient que le métier que nous exerçons est inséparable de notre modèle de société.

    Georges Kiejman raconte. Vanessa Schneider, grand reporter au Monde, écrit. Avec une belle fluidité. Ce livre de souvenirs se lit tout seul, comme une chronique des soixante dernières années, et même un peu plus.

     

  • Mûrissements, par Géry Van Dessel

    Mûrissements, par Géry Van Dessel, Angers, Saint-Léger éditions, 2021, 122 pages, 17 euros.

     

    Maintenant sonne l’heure

    De ne pas rater sa sortie

    Tenté par les heurts

    Tu accuses l’un et l’autre,

    En cette fin de partie

    Ta pensée toute faite fermente en toi

    Tu fomentes dans un éclat net

    La source de leurs tracas.

    Mais qui suis-je pour juger

    Comme si je détenais la vérité ?

    Après Les chants et les jeux, Géry Van Dessel nous livre déjà un second recueil de poèmes.

    Ces quelques vers sont extraits du poème « Le jugement de Cyrano », l’un des cinquante poèmes que contient ce recueil. Mûrissements : comme le souligne Éric de Rus dans sa préface, c’est un terme à la fois dynamique et statique, selon qu’il désigne le chemin ou l’aboutissement.

    C’est manifestement dans le premier des deux sens qu’il faut le comprendre. Ce que Géry Van Dessel décrit, c’est le chemin.

     

  • Le confinement par les nuls, par Nicolas Thirion

    Le confinement par les nuls, par Nicolas Thirion, Louvain, PUL, 2021, 236 pages, 19,5 euros.

    Tout au long de la crise sanitaire, c’est au contraire une version médiévale de la liberté qui a tenu le haut du pavé : si nous sommes libres (de ne pas porter le masque en extérieur, de recevoir plus ou moins de personnes chez nous, d’assister à un spectacle ou à une séance de cinéma, etc.), c’est parce que et aussi longtemps que l’exécutif le veut bien, à la manière de ces seigneurs féodaux qui concédaient certaines libertés aux habitants du bourg au moyen de franchises, toujours révocables. C’est une prétendue libérale – Madame Wilmès – qui, à l’issue du CNS du 30 avril 2020, cracha ingénument le morceau sur ce que devait désormais signifier la « liberté » en temps de pandémie : « tout ce qui n’est pas autorisé n’est pas permis ». Si « liberté retrouvée » il y a, c’est donc plutôt d’une liberté d’Ancien Régime qu’il s’agit.

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