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Changer / Verander : la confidentialité des correspondances entre avocats : un privilège important mais mal compris et, dès lors, mal réglementé
CHANGEZ / VERANDER ! (article coécrit avec Michel Mersch, extrait du Liber amicorum Jo Stevens, Kluwer, 2011, pp. 337-352)
Il fallait bien être deux et commencer par une fable, malheureusement vécue, pour oser aborder à nouveau ce sujet éculé. Il fallait aussi qu’un curieux protocole des Ordres français et néerlandais de Bruxelles relance la polémique.
- Une fable
Deux clients s’aimaient d’amour tendre. Moralité : l’un d’eux, s’ennuyant au logis, en vint à souhaiter le divorce juste après la naissance du troisième enfant.
La fable continue comme une publicité de l’O.B.F.G. Deux avocats qui passaient par là proposèrent de les aider à rédiger de bonnes conventions préalables à divorce par consentement mutuel et à éviter ainsi d’ennuyeuses et coûteuses procédures.
Peu avant la séparation, Madame Deflandre, dont le conseil est Maître Van Brabant, avait vidé les 25.000 € d’un compte commun pour se ménager un petit viatique.
De son côté, Monsieur Dewaal avait consulté Maître Deliège qui, avec son confrère, avait préparé les conventions préalables.
Au reçu du projet, Madame Deflandre interpelle, par écrit, à plusieurs reprises, Maître Van Brabant en précisant qu’elle n’est prête à signer la convention que si elle ne doit pas imputer les 25.000 € en question sur le montant qui lui est attribué.
Monsieur Dewaal, au contraire, exige que cette somme soit imputée sur ce qui doit revenir à sa future ex-épouse et Maître Deliège, pour le rassurer, écrit plusieurs lettres à Maître Van Brabant pour le préciser.
La convention finalement signée est manifestement ambigüe. Monsieur Dewaal réclame le remboursement de la moitié des 25.000 €, ce que Madame Deflandre refuse évidemment. Assignation suit.
Mécontente, Madame Deflandre demande à Maître Von Raeren de succéder à Maître Van Brabant.
Cela se termine comme une publicité de l’O.V.B.[1]
Pour éclairer la portée de la convention, Maître Deliège demande à son bâtonnier l’autorisation de produire l’ensemble des correspondances échangées entre les avocats. De son côté, Maître Von Raeren, qui a assigné Maître Van Brabant en garantie, demande à son bâtonnier l’autorisation de produire les correspondances échangées entre sa cliente et son premier conseil.
Bien entendu, les trois avocats relèvent de trois barreaux différents. Bien entendu, au bout d’un an de correspondances, il faut se résoudre à l’évidence : il est totalement impossible de dégager un accord. Le premier bâtonnier est d’avis que rien ne peut être produit, le deuxième que les correspondances échangées entre Madame Deflandre et Maître Van Brabant pourraient seules l’être (sous réserve du droit de plaider qu’elles sont couvertes par le secret professionnel, ce que le juge décidera), le troisième estime que seuls des extraits de la correspondance entre les avocats sont susceptibles de production … Cette dernière opinion étant celle du bâtonnier du siège du tribunal saisi, c’est elle qui s’impose dans le procès que chacun avait voulu éviter.
Pour la petite histoire, sachez que Madame Deflandre a perdu son procès mais qu’elle a introduit un appel dont nous ignorons le résultat. Elle a également introduit un recours à Strasbourg pour contester le droit d’un bâtonnier d’arbitrer l’officialité d’une correspondance. Nous en reparlerons plus loin …
- Un vieux règlement
La question est toujours réglée par le règlement de l’Ordre national des 6 juin 1970, 6 mars 1980, 8 mai 1980 et 22 avril 1988 sur la production de la correspondance échangée entre les avocats. Il s’agit du dernier règlement de l’Ordre national qui soit encore en vigueur. Les deux ordres communautaires se sont, depuis leur création, approprié tous les autres.
Comme le rappelle le bâtonnier Stevens, ce règlement a force de loi[2].
Chacun connaît ce règlement. Rappelons qu’il pose en principe que « la correspondance entre les avocats est confidentielle. Même lorsque les conseils sont d’accord, elle ne peut être produite qu’avec l’autorisation du bâtonnier ».
Le règlement comporte de nombreuses exceptions importantes. Pour l’instant, soulignons simplement que, puisqu’il s’agit d’exceptions, elles sont de stricte interprétation.
Les deux Ordres communautaires n’ont pas ménagé leurs efforts pour trouver, parallèlement et en concertation, de nouvelles règles qui feraient l’unanimité. Il est en effet hautement souhaitable que les mêmes principes soient appliqués en la matière au Nord comme au Sud du pays puisque de nombreux avocats travaillent dans des bureaux comportant des membres des deux Ordres et doivent dès lors, à l’occasion, signer une même lettre dont il serait difficilement admissible qu’elle soit tenue pour officielle d’un côté et pour confidentielle de l’autre.
En 2009, l’assemblée générale de l’O.B.F.G. a, par un vote très serré, rejeté la solution que nous soutenons. Neuf barreaux sur quatorze s’étaient prononcés en sa faveur mais le barreau de Bruxelles français, qui représente plus de 50 % des avocats francophones et germanophones, n’en n’était pas partisan et les règles de majorité applicables au sein de l’assemblée ont fait que sa position a été adoptée.
L’O.B.F.G. a cependant adopté quelques réformes importantes mais qui laissent subsister un système complexe et sujet à interprétations diverses.
Ce projet était, naturellement, soumis à la condition suspensive de l’adoption de dispositions identiques par l’O.V.B. Le 21 avril 2010, l’assemblée générale de l’O.V.B., faute également d’un accord suffisant entre ses membres semble-t-il, a préféré ne rien changer au règlement de l’Ordre national.
Pourtant ce règlement empoisonne depuis toujours notre déontologie quotidienne et entraîne d’incessantes discussions ou procès. Dans notre expérience, cela représente au moins vingt pourcents du contentieux déontologique soumis aux bâtonniers.
Nous ne pensons pas, comme certains le soutiennent, que cela résulte d’une simple méconnaissance du règlement mais bien de sa trop grande complexité et, surtout, de son inadéquation à une bonne gestion de nos dossiers[3].
- Une prise de position
Qu’on ne se méprenne pas ! Nous sommes totalement, sans réserve, favorables au maintien pour les avocats du droit de correspondre confidentiellement avec leurs confrères. C’est un véritable privilège de notre profession, contrepartie de notre déontologie et de notre rôle particulier dans la Justice.
Si chacun, notaire, juriste d’entreprise, conseiller fiscal, social ou autre, peut correspondre et surtout négocier de manière officielle, nous seuls pouvons correspondre et négocier confidentiellement.
La négociation confidentielle est bien souvent utile ; elle permet, entre autre, de mieux faire comprendre son point de vue, de tâter le terrain, de ne pas créer un fâcheux précédent, une apparence faible ou trompeuse, etc.
Mais il est tout aussi utile et important, dans certains cas, de pouvoir formuler officiellement une offre, faire connaître que l’on prêt à accepter une concession, mettre en demeure, acter des faits ou circonstances, …
Ce sont ces dernières possibilités qui sont restreintes ou limitées par le règlement actuel. Dès lors, notre souhait est d’élargir nos moyens d’action tout en conservant le bénéfice de la confidentialité.
C’est manifestement ce même objectif qui vient de pousser les bâtonniers de Bruxelles à adopter le protocole évoqué au début de cet article et sur lequel nous allons revenir.
- Une distinction indispensable : confidentialité des correspondances et secret professionnel
Certains craignent une modification de notre actuel règlement car ils y voient une atteinte au secret professionnel de l’avocat dont l’importance fondamentale n’est, bien sûr, pas discutable.
Certes, la confidentialité du courrier par lequel un client se confie à son avocat est liée directement au secret professionnel et donc quasi absolue[4]. Mais on connaît le paradoxe d’Yseult : si le secret professionnel nous interdit de divulguer les confidences du client, nous ne pouvons assurer sa défense qu’en révélant certains de ces secrets.
Le secret professionnel trouve son fondement dans l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (protection de la vie privée). Si rien n’empêche un client d’autoriser son avocat à révéler au juge certains de ses secrets, ou certaines de ses confidences – et même à l’exiger -, pourquoi le même client ne peut-il, de la même façon, autoriser son avocat, ou exiger de lui, qu’il écrive officiellement à un confrère ces mêmes secrets ou confidences ? Ce n’est pas aux Ordres à décider pour eux.
Il est d’ailleurs constant qu’aucune juridiction européenne n’a contesté l’application du règlement de la C.C.B.E. qui fait de la confidentialité des correspondances échangées entre avocats l’exception, ni les pratiques particulièrement restrictives de certains pays, qui vont jusqu’à exclure cette confidentialité ou, a fortiori, la solution adoptée par les barreaux français et luxembourgeois dont nous nous inspirons très largement.
La confidentialité des lettres entre avocats a des liens étroits avec le secret professionnel[5] mais elle n’en est nullement une conséquence inéluctable. Nous pensons cependant que la possibilité de lettres confidentielle entre confrères est un moyen particulièrement utile pour défendre le secret professionnel et qu’il faut donc lutter pour que ce privilège soit maintenu contre l’attitude de certains pays et certaines tendances des juridictions européennes (comme nous le verrons plus loin). Mais cela nous paraît imposer un règlement clair, non équivoque et ne limitant pas le droit d’officialiser ce qui semble devoir l’être.
- Une solution belge qui n’a rien d’universel
Il n’est pas inutile de souligner que les solutions adoptées, rien qu’en Europe, sont particulièrement diversifiées.
Ainsi, l’article 5.3. du Code de déontologie du conseil des barreaux européens (C.C.B.E.) a adopté une position inverse à la nôtre : tout courrier est officiel sauf si le caractère confidentiel est clairement demandé avant l’envoi de la première communication. Le réceptionnaire peut refuser. Ce système est le plus simple mais il n’a pas notre préférence car il nous semble donner trop peu d’importance à la confidentialité.
On notera cependant que cette solution prévaut dans le cadre d’un échange de correspondance entre avocats ressortissants de l’Union européenne. On notera également qu’en Belgique ce même système est appliqué aux correspondances échangées avec les avocats mandataires de justice, curateurs de faillites et autres[6].
Par ailleurs, certains Etats, principalement d’Europe de l’Est, ignorent même le principe de la confidentialité des correspondances entre avocats. Certaines traditions la rejettent même au nom de l’intérêt supérieur du client[7].
Enfin, d’autres pays, la France et le Luxembourg notamment, ont adopté le système dont nous nous inspirons largement. Signalons que les bâtonniers de ces pays que nous avons interrogés ont souligné la réduction considérable de leur contentieux déontologique en la matière.
- Des inconvénients et des hypocrisies
Les deux premiers articles du règlement de l’Ordre national sont ainsi rédigés :
« Article 1
La correspondance entre les avocats est confidentielle. Même lorsque les conseils sont
d’accord, elle ne peut être produite qu’avec l’autorisation du bâtonnier.
Cette disposition vise aussi bien la production judiciaire qu’extra-judiciaire.
Article 2
Perd son caractère confidentiel et peut être, dès lors, produite sans autorisation du
bâtonnier :
1°. toute communication qui constitue un acte de la procédure ou en tient lieu ;
2°. (règlement du 8 mars 1980) toute communication qui, qualifiée expressément non
confidentielle, manifeste un engagement unilatéral et sans réserve ;
3°. Toute communication faite sans réserve et à titre non confidentiel, à la demande
d’une partie, pour être portée à la connaissance d’une autre, à condition que le
destinataire de la lettre l’accepte expressément comme non confidentielle ;
3° bis. (règlement du 22 avril 1988) toute communication écrite, qualifiée non
confidentielle, contenant exclusivement une articulation de faits précis ou la réponse à
cette articulation, et qui remplace soit un exploit d’huissier, soit une communication de
partie à partie ;
4°. toute communication, fût-elle faite à titre confidentiel au nom d’une partie, lorsqu’elle
contient des propositions précises acceptées sans réserve au nom de l’autre partie.
Les dispositions du présent article ne sont applicables qu’aux communications ne
concernant aucun objet autre que ceux énumérés aux 1°, 2°, 3° , 3° bis et 4° ci-dessus.
Il est recommandé :
a) de s’assurer par un écrit de l’accord des clients sur le contenu des
communications ci-dessus visées ;
b) de libeller avec concision les communications auxquelles s’attache un caractère
officiel, de rappeler ce caractère et de consigner dans une lettre distincte toutes autres
communications qui conservent un caractère confidentiel ».
Ils nous inspirent les remarques et critiques que voici.
1°) L’article premier, qui pose le principe du caractère confidentiel des lettres entre avocats permet malgré tout la production d’un courrier confidentiel avec l’autorisation du bâtonnier. Cette restriction instaure une large insécurité juridique et d’aucuns se sont demandé, à raison, d’où un bâtonnier tirait le droit de transformer un document confidentiel en un document officiel.
Le bâtonnier Stevens soulignait déjà la question dans son ouvrage cité plus haut. Le nouveau projet de l’O.B.F.G. a supprimé cette faculté. Il semble que le droit naturel du bâtonnier à faire respecter l’application loyale d’un règlement est largement suffisant.
2°) Qu’est une communication qui « tient lieu d’un acte de procédure » (art. 2, § 1) ?
La communication de conclusions, bien sûr. Pas une mise en demeure. Mais une lettre par laquelle un avocat demande à l’autre de produire une pièce qui justifierait une assertion contenue dans ses conclusions [8] ?
3°) Qu’est un « engagement unilatéral et sans réserve » (art. 2, §2) ?
Est-ce un engagement inconditionnel ? Ce fut souvent l’interprétation donnée mais elle limitait fort la portée et l’utilité de l’exception. Le nouveau projet de 2009 de l’O.B.F.G. a dès lors admis l’engagement « assorti de conditions » mais autorise le destinataire « à refuser le caractère non confidentiel » « dès sa communication la plus prochaine et sans retard injustifié » : une nouvelle limitation capitale et une source certaine de contestations.
4°) Qu’est une « articulation de faits précis » ou une « communication de partie à partie » (art. 2, §3bis) ?
Par exemple, une lettre par laquelle une partie annonce à l’autre qu’elle se plie à son injonction, tout en en contestant la pertinence et en se réservant la possibilité de lui réclamer des dommages et intérêts, en est-elle une [9] ?
Ce ne sont là que quelques exemples et les questions pourraient être multipliées quasiment à l’infini tant la diversité du réel est étonnante. Les réponses données par les différents bâtonniers sont elles aussi extrêmement variées. Souvent, pour tenter de protéger à la fois la confidentialité et les droits des parties, les bâtonniers ont recours à l’autorisation de produire des extraits des correspondances confidentielles, voire à des protocoles dans lesquels ils résument eux-mêmes ce qui leur paraît devoir être dit. L’arbitraire n’est pas loin et la sécurité juridique de plus en plus lointaine.
Nous terminerons ce chapitre par deux exemples où les solutions adoptées sont plus surprenantes encore.
5°) un contentieux particulièrement important est né de ce que l’on a appelé la « première lettre », c’est-à-dire la lettre envoyée par un avocat à son adversaire qui n’a pas encore d’avocat. Souvent cette lettre contient un exposé unilatéral des faits, une mise en demeure, des accusations, etc. Cette lettre adressée à un tiers est évidemment officielle.
Il est le plus souvent impératif d’y répondre. C’est la première chose que demande le destinataire de la lettre à l’avocat qu’il vient consulter.
La réponse de l’avocat peut-elle rentrer dans l’une des exceptions prévues par le règlement de l’Ordre national ? Assurément non, ni de près ni de loin et les exceptions sont, de plus, de stricte interprétation.
Les déontologues sont d’avis partagés. Le bâtonnier Stevens souligne, dans une analyse très détaillée de l’ensemble du règlement[10], que cette réponse ne peut être officielle que si elle respecte une des exceptions prévues par le règlement ce qui, en pratique, est très rarement possible. Par contre Maître Pierre Lambert, qui ne parle de la confidentialité qu’assez brièvement, dans les relations avec les confrères, après l’égalité et la solidarité, rappelle que la première exception réglementaire est relative à tout acte de procédure ou en tenant lieu et qu’ « il en est de même, par identité des motifs, de la réponse donnée par un avocat à la lettre –nécessairement officielle – adressée à un de ses clients avant qu’il soit consulté par un confrère ». Refuser le caractère officiel de ce courrier serait, dit-il, « peu compatible avec la courtoisie et fausserait la règle de l’égalité de la contradiction ». Cette argumentation laisse quelque peu rêveur[11].
Dans la pratique, les bâtonniers de l’Ordre de Bruxelles français admettent le caractère officiel de cette réponse mais pas ceux de Bruxelles néerlandais. Beaucoup de bâtonniers francophones suivent la position de Bruxelles français[12].
Les bâtonniers flamands suivent en général l’avis de leur Président, le bâtonnier Jo Stevens.
Mais un fait est plus puissant qu’un Lord Maire. Pour ceux qui voulaient respecter le règlement, il fallait une solution. Si l’avocat ne pouvait pas écrire officiellement, le client, lui, le pouvait ! Le conseil généralement donné et mis en œuvre est donc de dicter la lettre au client qui répondra lui-même …
Si l’on veut bien y réfléchir calmement, l’hypocrisie de ce moyen n’échappera pas. Sans compter les risques de dérapage d’un client qui arrangerait la lettre à sa sauce, que va penser le client – ou le magistrat – de cette mise en scène ? D’autant qu’elle ne règle pas définitivement la question : si la réponse contient, elle aussi, des accusations contestables ou des mises en demeure par exemple, quel sera le caractère de la réponse à la réponse ?
Ajoutons que l’image que nous répandons en devant faire usage de ce subterfuge est déplorable. D’une part, nous devons avouer au client que nous ne pouvons pas lui accorder le service qu’il souhaite très légitimement. D’autre part, nous donnons l’impression d’être des tricheurs, ou au moins des arrangeurs qui, contraints par des règles déontologiques trop restrictives, usons de ficelles pour les contourner…
Le dernier projet de l’OB.F.G. a admis le caractère officiel de cette première réponse. C’est assurément un point positif mais insuffisant.
6°) La mise en demeure.
Dans le cours d’un dossier, il est souvent essentiel d’adresser à l’adversaire une mise en demeure officielle de faire telle chose ou de s’abstenir de telle autre.
Ce n’est ni un acte de procédure ni une articulation de faits précis. Cela ne peut donc se faire par lettre d’avocat.
Ici aussi, devant la nécessité pratique, des bâtonniers ont admis que l’avocat pouvait faire écrire son client à sa place. D’autres soutiennent qu’en l’espèce l’avocat peut écrire directement au client de son adversaire sous la seule réserve qu’il doit communiquer copie à ce dernier. Ici, c’est plutôt la confraternité qui en prend un coup.
Nous avons l’air de quoi ? Pourquoi donc ne pourrais-je pas écrire moi-même ce que je fais écrire à mon client ?
- Un récent protocole
On sait que certains clients importants ont demandé et obtenu qu’un avocat du bureau auquel il s’adressait généralement soit « détaché en entreprise », c’est-à-dire qu’il exerce son activité pendant une durée déterminée au sein de l’entreprise en restant indépendant mais dans des « conditions impliquant une certaine forme d’intégration au sein de celle-ci ». C’est pour nous une bonne chose.
Ces mêmes clients ont sans doute constaté, comme nous, qu’il était souvent important que leur « avocat détaché » puisse écrire officiellement à des tiers ou à leurs conseils (pour un des motifs évoqués ci-avant), ce que pouvait faire sans difficulté leur juriste d’entreprise interne.
C’est un souci légitime.
Les deux Ordres de Bruxelles, principalement concernés par la question, ont dès lors signé, le 27 septembre 2010, un protocole d’accord avec l’Institut des juristes d’entreprises. Il n’a pas d’autre objet que de régler la confidentialité de la correspondance (art. 3.3). Il en résulte simplement que l’avocat détaché (qui reste donc pleinement indépendant) peut écrire sur le papier à lettres de l’entreprise, mais sous sa signature d’avocat, des lettres officielles destinées à tout tiers (bien entendu à des particuliers, cela ne nécessitait pas de règlement, mais également aux avocats de ces particuliers). Par contre, les mêmes courriers adressés à un destinataire au sein de l’entreprise ou à leur propre cabinet de détachement, sont confidentiels. Suivant les nécessités, le client s’adressera donc à son « avocat détaché » ou à son conseil habituel.
Nous laisserons à d’autres le soin d’examiner si deux barreaux peuvent signer un protocole qui contredit manifestement un règlement en vigueur.
Sur le fond, nous comprenons et nous partageons les souhaits de ces clients mais nous pensons que tous les avocats et pas seulement quelques happy few doivent profiter du système. Il suffit pour cela de changer notre règlement …
- Une solution
Nous aurions dû commencer par là mais nous avons craint que notre position soit à nouveau mal comprise ou mal abordée. Il ne s’agit donc nullement de supprimer ou de restreindre notre « privilège » de correspondre et de négocier confidentiellement. Il est encore moins question de limiter notre secret professionnel.
Ce que nous voulons, c’est maintenir parallèlement pour nous, comme pour tout autre négociateur, le droit d’écrire officiellement ce que nous jugeons bon pour la défense de nos clients. Comme nous le faisons en plaidoiries. En d’autres termes, il faut nous réserver les deux possibilités : négocier confidentiellement et argumenter officiellement.
L’essentiel du nouveau règlement pourrait tenir en deux brefs articles :
- Tous échanges entre avocats, verbaux ou écrits, quel qu’en soit le support (papier, télécopie, voie électronique, …), sont par nature confidentiels. Ils ne peuvent faire l’objet d’une production judiciaire ou extra judiciaire, même de leur commun accord.
- Est, par exception, officiel, tout échange écrit qui porte explicitement la mention « officiel », pour autant qu’il ne fasse référence à aucun écrit, propos ou éléments antérieurs confidentiels.
L’essentiel est ainsi dit mais il sera sans doute opportun de rappeler le rôle du bâtonnier quant à l’application loyale du règlement, l’opportunité de communications concises, la rapidité pour d’éventuelles objections, etc.
Il sera utile, sans doute, de préciser si, lorsque le destinataire estime qu’une lettre officielle contient des références à des éléments antérieurs confidentiels, la lettre est d’office rejetée ou si le bâtonnier peut autoriser une production partielle.
Enfin, nous suggérerions volontiers d’attirer l’attention des confrères sur les particularités des correspondances internationales et sur l’opportunité d’obtenir l’accord d’un confrère étranger sur une correspondance confidentielle avant toute chose.
Cette proposition s’inspire des règles de la C.C.B.E. et de notre règlement vis-à-vis des curateurs. Toutefois, nous avons préféré inverser la solution en acceptant le principe du courrier confidentiel afin qu’en cas de doute, le courrier reste confidentiel.
Cette solution est particulièrement proche de celle récemment adoptée par les barreaux français et luxembourgeois dont des représentants nous ont fait connaître leur satisfaction.
Nous pourrions donc écrire officiellement tout ce qui nous paraîtrait utile pour la défense des intérêts de nos clients. Le destinataire pourrait ne pas répondre, le faire officiellement ou confidentiellement, à son choix, mais ce que nous avons décidé de clamer ne pourra plus être caché au juge. Nous continuerions, comme aujourd’hui, à pouvoir négocier entre nous confidentiellement.
- Des motivations
Une proposition similaire avait été proposée en 2009 à l’OB.F.G. Comme dit ci-dessus, elle a été rejetée à une courte majorité, comprenant le barreau de Bruxelles Français. Le récent protocole évoqué ci-dessus laisse croire qu’un changement est possible tant au Nord qu’au Sud du pays. Il y a beaucoup de raisons pour ne pas manquer cette nouvelle occasion.
1.- Parce qu’elle est plus claire et plus simple, sans exceptions multiples et imprécises. Il restera sans doute un contentieux en cas d’allusion à des éléments confidentiels mais cela devrait être assez limité.
2.- Parce qu’elle est plus facile à manier : combien d’entre nous hésitent régulièrement sur le sens précis de telle ou telle autre exception (le petit jeu évoqué ci-dessus en est l’éclatante démonstration). Lorsque de nombreux juristes hésitent sur une interprétation, n’est-ce pas la preuve que la loi est mal faite ?
3.-Parce qu’elle est plus sécurisante et préservera dès lors la responsabilité des avocats et ainsi la sécurité de leurs clients : nous ne croyons pas, contrairement à une objection souvent émise, que ce nouveau règlement entrainerait une profusion de lettres officielles nécessairement plus dangereuses pour la responsabilité d’un avocat.
Tout d’abord, l’argument est mauvais. Nous agissons au mieux de l’intérêt de nos clients et pas de la manière qui couvre le mieux notre éventuelle responsabilité.
D’autre part, quand nous voulons actuellement dire quelque chose officiellement, nous recourons à une « fausse » articulation de faits, nous faisons écrire le client, nous écrivons au client de l’autre ou nous nous envoyons un huissier. C’est la source de bien des litiges.
La simplification restreint les actions en responsabilité. Eviter des attitudes ambigües, critiquables, voire hypocrites, en d’autres mots jouer franc-jeu, ne risque sûrement pas d’augmenter les critiques à notre égard.
4.- Plus fondamentalement, parce qu’elle sert le rôle moderne de l’avocat.
L’avocat du XXIe siècle ne peut plus se contenter de rester dans sa tour d’ivoire. Il doit être présent à côté de son client partout où celui-ci a besoin de lui. En ce compris dans les négociations. D’abord dans les négociations.
Comme nous venons de le voir, nos règles nous interdisent souvent de faire la démarche officielle pour laquelle notre client vient précisément nous consulter.
Et pourquoi diable les avocats s’interdiraient-ils d’intervenir dans une négociation dans laquelle les parties souhaitent négocier officiellement ? Les juristes d’entreprises, les comptables ou même les administrateurs le font, en connaissent l’intérêt, et dès lors s’abstiennent de nous consulter.
Répétons-le, notre projet maintient entièrement le privilège de la confidentialité tout en permettant aux avocats de choisir, s’ils le souhaitent, la voie de l’officialité.
Le protocole des deux barreaux bruxellois montre que ce souhait légitime est clairement exprimé par nos clients.
Nous sommes les seuls à pouvoir jouer sur les deux tableaux, profitons-en.
5.- Surtout peut-être parce qu’il faut défendre la confidence.
Paradoxalement pour certains, nous pensons que notre projet défendra mieux le principe de confidentialité dont nous sommes, rappelons-le encore, les seuls bénéficiaires.
D’une part, la règle actuelle est trop difficile, trop équivoque. Trop d’avocats la comprennent mal. Ils pensent, à tort, qu’une lettre est officielle (qu’elle suffit à mettre en demeure, à interrompre une prescription, à protester une facture, à garantir des droits, …) alors que finalement elle sera reconnue confidentielle. Le client perd sa confiance en l’avocat et risque de contester la règle et de demander qu’elle soit écartée.
Un premier recours a déjà été introduit à Strasbourg contestant aux bâtonniers le pouvoir d’arbitrer l’officialité d’une correspondance ou d’un de ses extraits[13]. Il a été déclaré irrecevable, la Commission estimant que les voies de recours internes n’étaient pas épuisées puisque la partie qui avait introduit le recours conservait la possibilité de contester la décision du bâtonnier dans le cadre de la procédure d’appel. Mais la Cour n’a pas eu à se prononcer au fond. Ce n’est sans doute qu’un début.
Nous avons vu que la possibilité de négocier confidentiellement est réservée aux seuls avocats mais tout privilège est mal vu et celui-ci sera d’autant plus facilement critiquable que certaines législations européennes le refusent déjà en invoquant le principal supérieur du droit de chacun d’invoquer tous les moyens de preuve utiles.
D’autre part, la Commission de l’Union européenne vient, à son tour, d’avoir à connaître de ces questions. L’espèce est la suivante.
Un avocat européen, intervenant pour une entreprise adresse une lettre (document 1) à un avocat intervenant pour un de ses concurrents. Il développe ses arguments, demande un règlement transactionnel et menace d’une plainte à la Commission.
L’avocat belge transmet cette lettre à son client par un mail (document 2), sans souligner que cette communication est couverte par le secret professionnel ou par la confidentialité des correspondances.
La Commission, dans le cadre de l’enquête, saisit les documents 1 et 2 mais, comme l’entreprise perquisitionnée invoque le secret, la Commission les place sous enveloppe fermée, selon la procédure habituelle.
La Commission dit avoir reçu le document 1 de l’entreprise plaignante et souhaite vérifier qu’il s’agit bien du même.
Dans le cours de la procédure, l’entreprise faisant l’objet de la procédure ne prétend plus à la confidentialité du document 2 (bizarre : il s’agit pourtant d’une lettre adressée par un avocat à son client, manifestement couverte par le secret professionnel …).
A l’appui de la confidentialité du document 1, elle invoque le règlement de l’Ordre national (bizarre : s’agissant d’une correspondance échangée entre deux avocats européens, ce règlement ne s’applique pas mais bien le code C.C.B.E. : or, il n’est pas précisé si le document 1 porte la mention « confidentiel »).
La Commission prétend que (1) une partie ne peut prétendre éviter la production d’une correspondance au motif du secret professionnel alors qu’elle n’émane pas de son avocat mais de l’avocat d’une autre partie (bizarre : la Commission n’évoque pas le fait qu’elle ait été communiquée en annexe à une lettre couverte par le secret, il est vrai, semble-t-il, sans que le secret soit évoqué par l’avocat qui l’a transmise).
La Commission poursuit en estimant qu’il n’appartient pas à une loi nationale mais à la Cour de justice de l’Union européenne de déterminer si une disposition permet de soustraire un document à une saisie pratiquée par la Commission dans le cadre d’une procédure « concurrence ».
Elle estime qu’il n’y a pas de principe de droit communautaire (bizarre : à nouveau le Code C.C.B.E. n’est pas cité) qui permette d’empêcher la Commission de prendre copie d’une correspondance échangée entre avocats indépendants quand elle est trouvé en mains d’un de leurs clients. En effet, les règles édictées par les barreaux créent l’obligation pour les clients. Seuls les avocats doivent en répondre, devant leurs autorités disciplinaires.
D’ailleurs, dit la Commission, il faut mettre en balance les ratio legis des différentes dispositions applicables. La confidentialité des correspondances participe à une saine organisation de la justice mais ne peut faire obstacle à des règles organisant des poursuites d’intérêt public, ce qui touche à l’ordre public[14].
Cette espèce paraît trop particulière pour que la décision commentée puisse être considérée comme une décision de principe. Mais elle montre en tout cas que le principe de la confidentialité des correspondances n’a pas bonne presse, ni auprès de certains de nos confrères (qui ne prennent aucune précaution pour communiquer une lettre soi-disant confidentielle à leur client), ni surtout auprès de la Commission[15].
On peut également se référer à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 septembre 2010[16] qui a refusé le bénéfice de la confidentialité à un « avocat détaché en entreprise » en invoquant l’absence d’indépendance suffisante de l’avocat en question. Assurément un cas d’espèce également dont on ne peut tirer un principe (même en ce qui concerne le règlement de Bruxelles) mais qui annonce peut-être, sans doute, d’autres décisions.
Reconnaître le droit de chacun de dire, ou de faire dire officiellement par son avocat, ce qu’il estime utile pour la défense de ses droits, n’affectera pas la confidentialité mais évitera au contraire bien des critiques et des attaques.
- Une conclusion.
Elle tiendra en un mot. Changez !
[1] Avec les bâtonniers dans le rôle des clowns.
[2] Regels en gebruiken van de advocatuur te Antwerpen, 2e édition, n° 828.
[3] Lorsque le plus jeune d’entre nous était bâtonnier et que l’assemblée générale de l’O.B.F.G. discutait de l’opportunité de modifier le règlement dont nous parlons, il avait proposé à l’ensemble des participants à l’assemblée, de se livrer à un petit jeu en leur proposant cinq casus tirés du contentieux qu’il avait eu à traiter. La surprenante diversité des interprétations des bâtonniers en exercice est exposée dans un article intitulé « Etre avocat au XXIe siècle (sur quelques règlements de déontologie des avocats) » (P. Henry, Rev. Fac. Droit Liège, 2009, pp. 51-68).
[4] Voyez encore, Bruxelles (ch. mises acc.), 26 janvier 2011, J.L.M.B., 2011, p. 428 et obs. P. HENRY « Le conflit entre le secret professionnel et les droits de la défense », avec les références citées.
[5] Voyez Jo Stevens, op. cit., n° 828. On lira également au numéro suivant une intéressante analyse sur la compatibilité de l’article 6 C.E.D.H et de la confidentialité qui, d’après certains, empêcherait une partie de disposer des moyens de preuve qu’elle souhaite faire valoir dans un procès.
[6] Parallèlement à ce que nous avons dit à propos du contentieux déontologique suscité par le règlement de l’Ordre national, nous pouvons souligner qu’en deux fois deux années de bâtonnat, nous n’avons connu aucune contestation sur ce plan entre avocats et curateurs.
[7] L’un d’entre nous se souvient amèrement d’avoir un jour reçu un client apportant une citation devant une juridiction allemande, reprochant la violation d’une clause de non-concurrence et invoquant explicitement comme seul moyen de preuve une lettre qu’il avait écrite à son confrère allemand et commençant comme suit : « Je vous écris confidentiellement. Si vous ne pouvez accepter le caractère confidentiel de ma correspondance, merci de me renvoyer la lettre ». Le non-respect de la confidentialité ou de la loyauté des débats a été rejeté par les juridictions allemandes d’instance et d’appel.
[8] Cette question faisait l’objet du troisième casus évoqué dans l’article de P. HENRY cité en note de bas de page n° 4 (treize bâtonniers avaient répondu par l’affirmative et sept -dont celui qui avait finalement eu à trancher le cas concret dont l’exercice était tiré- par la négative …).
[9] Cette hypothèse faisait l’objet du deuxième casus proposé aux bâtonniers. Quatre solutions étaient possibles. Dix ont choisi la même mais les trois autres ont recueillis respectivement, 6, 3 et 1 suffrage (ibidem).
[10] op.cit., n° 837.
[11] P. LAMBERT, Règles et usages de la profession d’avocat du barreau de Bruxelles, 2ème édition, p. 521.
[12] Cette hypothèse faisait l’objet du quatrième casus proposés aux bâtonniers. Une majorité (12) a admis la production alors qu’elle est clairement contraire à la lettre du règlement.
[13] A propos de l’espèce qui est contée en introduction à cet article.
[15] Pour une analyse plus complète de cette décision, voyez M. TRONCOSO FERRER et P. HENRY, « Le secret professionnel face aux autorités de la concurrence (à propos de la décision Perindopril (Servier) de la Commission européenne », in La Tribune, mars 2011, pp. 28-30.
[16] AKZO NOBEL CHEMICALS LIMITED/Commission (C-550/07P), J.L.M.B., 2010, p. 1400.
http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_56...
avec Michel Mersch, in Liber amicorum Jo Stevens, Die Keure, 2011, pp. 337-352