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Le conflit entre le secret professionnel et les droits de la défense
Cour d’appel de Bruxelles (chambres des mises en accusation)
26 janvier 2011
Secret professionnel – Avocat – Statut – Droits de la défense – Matières pénales - Correspondances échangées entre un avocat et son client.
Observations
Le secret professionnel de l’avocat, règle d’ordre public, couvre les correspondances échangées entre un avocat et son client. Toutefois, cette règle ne s’oppose pas nécessairement à ce que le client, qu’il soit prévenu ou partie civile, produise pour assurer sa défense en justice le courrier échangé avec son conseil, pour autant que cette production soit indispensable au respect de ses droits de défense.
Il ne peut cependant en aller ainsi lorsque les correspondances produites contiennent des propositions confidentielles en vue du règlement amiable du litige, dès lors que le client a été clairement averti du caractère confidentiel des négociations et avait mandaté son conseil pour qu’il y participe.
Le conflit entre le secret professionnel et les droits de la défense
En règle, toutes les confidences contenues dans les correspondances échangées entre un client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel[1]. Il en est également ainsi des notes prises par l’avocat et son client au cours des entretiens qu’ils ont eus ensemble[2]. Ce caractère perdure d’ailleurs après le décès du client.
S’en déduisent, tout d’abord, une série de devoirs pour l’avocat. Il lui appartient de sécuriser les échanges qu’il a avec son client. Cela appelle des précautions en matière de stockage des dossiers (on ne peut admettre, par exemple, que des classeurs ou des armoires contenant des dossiers soient rangés dans des endroits accessibles aux clients, comme la salle d’attente), en matière d’archivage (même remarque, mutatis mutandis) ou de destruction des archives, de formation des secrétaires (qui doivent être averties qu’elles participent au secret pour toutes les informations confidentielles qu’elles apprennent par leur fonction) et, bien sûr, de sécurisation des correspondances électroniques et des données électroniques (ce qui explique les obligations mises à charge des avocats par le règlement de l’O.B.F.G. du 19 mai 2008 relatif à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, notamment en matière de sécurisation des correspondances électroniques).
Mais ces règles ont aussi pour fin une protection des intérêts des clients et, d’ailleurs, de l’avocat lui-même.
Un célèbre arrêt de la Cour de cassation appelle, à cet égard, une attention particulière. Le Cour y avait décidé que "Le secret professionnel qui lie l'avocat a pour objet les confidences et les secrets de son client. L'article 458 du code pénal ne s'oppose pas à ce que le client, protégé par ledit article, produise, pour assurer sa défense en justice, le courrier échangé avec son conseil"[3].
Telle que la Cour l'exprime, cette affirmation paraît, en effet, beaucoup trop tranchée. Si l'on peut admettre que le secret professionnel ne puisse servir de paravent à des fraudes et, notamment, qu'il ne puisse être invoqué par un avocat pour se soustraire à des poursuites exercées contre lui, on ne peut poser en principe que le client serait toujours libre de produire n'importe quel fragment de la correspondance qu'il a échangée avec son avocat pour tenter de se disculper d'une accusation portée contre lui et, éventuellement, de reporter l'accusation sur son conseil.
Celui-ci, comme le faisait d'ailleurs observer Roger RASIR dans le commentaire qu'il consacrait à cet arrêt, pourrait alors, pour répondre à ces accusations, produire l'ensemble de la correspondance. Que resterait-il du secret ?
C’est à raison que la Cour de cassation de France, dans un arrêt du 6 avril 2004[4], décide dès lors que « l’obligation au secret professionnel, établie pour assurer la confiance nécessaire à l’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s’impose à l’avocat, hormis les cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de son état et, sous cette réserve, elle est générale et absolue, de sorte que l’avocat ne peut en être délié par son client ».
Jean Cruyplants et Marc Wagemans expriment une opinion plus nuancée. S’ils considèrent, comme Roger Rasir, que l’on ne peut autoriser le client à choisir, au gré de ses intérêts, de produire ou de ne pas produire les correspondances que son avocat lui a adressées, ils admettent qu’à titre exceptionnel, le client puisse opter pour cette production, lorsqu’elle seule serait de nature à le disculper[5]. Tout est donc question d’espèce et de proportionnalité[6]. Cette solution, quoique délicate à l’usage, est séduisante.
Elle est également défendue par Yvon Hannequart dans un commentaire qu’il consacre à deux arrêts de la Cour suprême du Canada[7]. Selon cet enseignement le secret professionnel ne devrait céder que pour autant que (1) les renseignements que l’accusé cherche à obtenir par le secret protégé ne puissent être obtenus par d’autres moyens licites et que (2) cet accusé soit incapable de susciter de quelque autre façon un doute raisonnable quant à sa culpabilité. SI tel est le cas, (3) la divulgation ne pourra porter que sur les éléments du dossier nécessaire pour susciter ce doute raisonnable et, (4) avant d’être versés au débats, les éléments recueillis devront être soumis à l’accusé qui est libre de décider s’il souhaite, en définitive, en faire usage.
Le caractère absolu du secret professionnel est, en effet, devenu difficile à défendre après les arrêts récemment prononcés par notre Cour constitutionnelle. « S’il est vrai », énonce-t-elle dans son arrêt du 3 mai 2000[8], « que la règle du secret professionnel doit céder, lorsqu’une nécessité l’impose ou lorsqu’une valeur jugée supérieure entre en conflit avec elle », il ne peut en aller ainsi que dans des hypothèses extrêmes. L’obligation au secret ne cède pas devant n’importe quel autre intérêt. Il n’en est pas ainsi, par exemple, pour assurer la loyauté des déclarations effectuées par les requérants en règlement collectif de dettes[9], pour permettre la protection de la bonne réputation d’un hôpital[10], pour permettre à un légataire de se ménager la preuve de la bonne santé de son testateur[11], pour assurer le respect des règles qui tendent à éviter les conflits d’intérêts en matière de faillite[12] ou, même, pour lutter contre le financement du terrorisme ou le blanchiment de fonds[13].
Les critères d’intérêt primordial, d’absolue nécessité et de proportionnalité définis par la Cour suprême du Canada trouvent là tout leur sens. Il me semble, pour cette raison, qu’en admettant que le secret pourrait recevoir exception dans tout litige où une partie doit « soutenir ou combattre librement une demande devant une juridiction », la Cour d’appel de Bruxelles s’exprime de façon trop imprécise. S’il fallait prendre cette phrase à la lettre, tout intérêt, même mineur, pourrait justifier une exception au secret.
Le secret professionnel est une garantie trop importante pour que nous le bradions. Comme le disait, Dominique de la Garanderie, bâtonnier de Paris, « le secret, c’est le droit au droit ». Ne l’oublions pas.
Patrick Henry
[1] Voyez, sur ce point, Cass., 9 mai 2007, J.T., 2007, p. 526.
[2] Bruxelles, 25 juin 2001, J.T., 2001, p. 735.
[3] Cass. 12 novembre 1997, J.L.M.B., 1998, p. 5 et obs. critiques de R. RASIR « Une défaite pour le secret professionnel »; R.W., 1998-1999, 817 et obs. A. VANDEPLAS, « Over het beroepsgeheim van de advocaat » ; voyez aussi les commentaires d'Y. HANNEQUART, dans le Jour. Proc., 1998, n° 344, p. 15 et 16. Adde Gand, 16 décembre 1998, R.D.J.P., 1999, p. 270 : « Sans préjudice des règles déontologiques régissant les rapports entre avocats, l’article 458 du code pénal n’empêche pas le client – personne protégée par le secret professionnel contenu dans cette disposition légale – de rendre publique la correspondance échangée avec son propre avocat lorsqu’il l’estime être dans son intérêt » ; civ. Charleroi, 19 juin 2001, J.L.M.B., 2002, p. 111 et obs. P. HENRY, « Les consultations des avocats sont-elles, par nature, confidentielles ? », confirmé par Mons, 16 février 2004, J.T., 2005, p. 582. Le tribunal de première instance de Bruxelles précise que l’on ne pourrait admettre la production par un client d’une lettre qui lui a été adressée par son avocat que pour autant que cette production soit indispensable pour contrecarrer une demande de la partie adverse : civ. Bruxelles, 9 janvier 2002, J.T., 2002, p. 692.
[4] Cass. fr., 6 avril 2004, Gaz. Pal., 30 mai 2004, p. 6.
[5] J. CRUYPLANTS et M. WAGEMANS, « Secret professionnel et protection renforcée des échanges avocat-client », J.T., 2005, p. 578.
[6] C’est la solution adoptée par les juridictions canadiennes. Voyez l’arrêt Mc Clure, 2001 CSC 14, commenté par L. BEAUDOIN, Journal du barreau du Québec, 15 avril 2001, p. 7.
[7] Cour suprême du Canada, 28 mars 2002, Brown, et 2 mars 2001, Mc Clure. Voyez à ce sujet, Y. HANNEQUART, « Lettre à Jacques Henry », in J.L.M.B., 2007, p. 572.
[8] Cour d’arbitrage, 3 mai 2000, J.L.M.B., 2000, p. 868 ; R.G.D.C., 2002, p. 452 et obs. A. THILLY, « Une victoire pour le secret professionnel ? » ; voyez aussi les commentaires que G.A. DAL consacre à cet arrêt : G.A. DAL, « Le secret professionnel de l’avocat en Belgique », in Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen, p. 6.
[9] Voyez l’arrêt précité du 3 mai 2000, mais aussi, dans la même matière, C.A., 14 juin 2006 et 28 juillet 2006, J.L.M.B., 2006, p. 1128 et obs. J. WILDEMEERSCH, et p. 1291. Le premier de ces arrêts est celui par lequel, pour la première fois, la Cour a fait usage de la possibilité de suspendre une loi « similaire » à une loi déjà annulée, sans qu’il soit besoin que le requérant invoque un préjudice grave et difficilement réparable.
[10] Civ. Anvers, 7 avril 2000, Rev. Dr. Santé, 2004-2005, p. 126. Voyez aussi les autres décisions prononcées dans la même affaire qui, sur ce point, confirment le jugement : Anvers, 14 juin 2001, Cass., 2 octobre 2002, Gand, 28 novembre 2003, civ. Anvers, 22 octobre 2004, Rev. Dr. Santé, 2004-2005, p. 128, 131, 133, 136, et obs. T. BALTHAZAR, « Het gedeeld beroepsgeheim is geen uitgesmeerd beroepsgeheim ».
[11] Mons, 9 avril 2001, J.T., 2002, p. 409.
[12] C.A., 24 mars 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1080. L’arrêt valide le principe de la déclaration de contrariété d’intérêts et ne porte donc que sur la question de sa publicité. Il porte donc une exception au secret professionnel, en ce que la déclaration est portée à la connaissance du président du tribunal. Cette exception est expressément justifiée par la théorie du secret relatif. La théorie du conflit des valeurs justifie qu’il soit fait exception au secret pour permettre au président de s’assurer de l’impartialité du curateur, mais non pour permettre aux tiers de le vérifier eux-mêmes.
[13] Cour constitutionnelle, 23 janvier 2008, J.L.M.B., 2008, p. 180 et obs. F. ABU DALU, « A qui perd gagne ».
obs. sous Bruxelles (ch. Mises acc.), 26 janvier 2011, J.L.M.B., 2011, p