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La discipline des avocats et des magistrats : une juridiction disciplinaire spécifique ?

En réaction à l’article publié le 26 août 2009 dans La Libre Belgique par Yves Oschinsky et Jean-Pierre Buyle, bâtonnier et dauphin de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, en appelant à la défense des vraies valeurs de la démocratie, reproduit sur ce site, un lecteur nous interpelle. Il affirme que « la plupart » des avocats et « certains » juges bafouent leur déontologie, sans que la Justice les sanctionne. Il dénonce ce qu’il appelle le manque d’indépendance et la complaisance envers leurs confrères de certains bâtonniers et juges.

Parallèlement, le Ministre de la Justice, Monsieur Stefaan De Clerck propose de créer, au sein des tribunaux d’instance, des chambres disciplinaires qui connaîtraient des poursuites dirigées contre tous les acteurs de la vie judiciaire, en ce compris les juges et les avocats. Qu’en penser ?

  1. La discipline des avocats

La grande majorité des avocats respectent la déontologie

J’ai été, pendant deux ans, le bâtonnier des 881 avocats du barreau de Liège. J’ai reçu, à ce titre, de nombreuses lettres dénonçant des incidents entre avocats ou entre des avocats et leurs clients. Il est vrai que beaucoup dénonçaient la lenteur des procédures ou le coût élevé de la Justice. Seule une minorité concernait des manquements aux règles déontologiques. Je pense pouvoir affirmer que ces règles sont respectées strictement par la grande majorité des avocats.

Les bâtonniers poursuivent les infractions déontologiques.

Au cours de ce mandat, j’ai été amené à ouvrir 55 procédures disciplinaires contre des avocats liégeois. Ce n’est pas peu et témoigne certainement de la réalité de la surveillance que les bâtonniers exercent sur les avocats. Outre les affaires ouvertes pendant les derniers mois, pour lesquelles l’instruction n’est pas clôturée, 24 ont débouché sur un non lieu à poursuivre, soit parce que les charges n’étaient pas fondées, soit parce que l’instruction ne révélait qu’une infraction mineure, ne justifiant qu’une réprimande solennelle. 14 ont fait l’objet d’un renvoi devant le Conseil de discipline qui, à ce jour, a déjà prononcé 6 radiations et 3 suspensions (plus un acquittement, les quatre autres affaires n’étant pas encore définitivement jugées).

Depuis la réforme de 2007, les juridictions disciplinaires des avocats fonctionnent bien et sainement

La réforme de 2007 a confié la fonction disciplinaire à des Conseils de discipline organisés au niveau des Cours d’appel (avec un Conseil d’appel par Région). La volonté était, d’une part, de professionnaliser la justice disciplinaire, d’autre part, d’éviter que les avocats soient jugés par des confrères proches, qui les connaîtraient trop étroitement. Les résultats que je viens de citer montrent qu’aujourd’hui la justice disciplinaire est rendue de façon efficace.

Il paraît difficile d’admettre que la discipline des avocats soit confiée à des magistrats, même s’il s’agissait de magistrats spécialisés. Pourquoi un avocat se voit-il reconnaître la faculté extraordinaire de parler au non d’un justiciable alors que ses intérêts les plus essentiels sont en jeu ? Parce qu’il connaît le droit, bien sûr, mais surtout parce qu’il respecte une déontologie et parce qu’il est indépendant. L’indépendance est indispensable à cette représentation. Si un avocat avait à répondre devant des magistrats de ses fautes déontologiques, cette indépendance serait en danger. Il faudrait craindre que certains avocats n’osent pas défendre entièrement leurs clients parce qu’ils redouteraient que certaines critiques puissent les amener à être jugés par ceux qu’ils ont critiqué ou leur collègues. Seuls les avocats eux-mêmes peuvent donc exercer cette fonction disciplinaire.

  1. La discipline des magistrats

Georges de Leval et Jérôme Sohier ont bien décrit, dans deux interventions précédentes, les mécanismes mis en place pour contrôler les magistrats : procédures disciplinaires, procédures d’ordre (suspension préventive), contrôle externe du Conseil Supérieur de la Justice.

Il est vrai que, ces derniers temps, certains ont critiqués le fait que les magistrats appelés à connaître des plaintes disciplinaires contre des magistrats étaient parfois trop proches de ceux qu’ils avaient à juger.

La proposition consistant à créer des chambres disciplinaires spécifiques, chargées de ces poursuites permettraient peut-être d’aboutir au résultat qui vient d’être atteint, pour les avocats, par la réforme de 2007. Elle mérite en tout cas d’être étudiée sérieusement.

 

 

 

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