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L’indépendance de l’avocat dans ses rapports avec ses clients
Pourquoi l'indépendance ? Pourquoi faut-il que les avocats soient indépendants ? Pourquoi tenons-nous tant à l'indépendance des avocats ?
Selon BENTHAM, la déontologie est « la théorie des devoirs qui incombent à un professionnel". Mais selon une définition plus moderne, que j'emprunte à DUYCKAERTS, c'est « un discours sur les conditions de légitimité de l'intervention d'un professionnel".
Je reformule donc ma question : de quel droit puis-je parler au nom d'un client ? De quel droit prétends-je intervenir en qualité d'avocat ("advocatus" : celui qu'on appelle au secours, celui qu'on envoie parler en notre nom) ? De quel droit prétends-je être en mesure de conseiller un client ?
Je pense que la réponse tient en trois mots : compétence, loyauté, mais aussi, et surtout, indépendance.
Celle-ci a plusieurs aspects, on l'a vu :
- vis-à-vis du politique ;
- vis-à-vis du juge ;
- vis-à-vis de soi-même (et j'imagine que c'est à cela que pensait Monsieur le Professeur ATIAS, ce matin, quand il nous disait que ROBESPIERRE n'était pas indépendant : il ne l’était pas parce qu'il n'était pas indépendant de ses préjugés) ;
- vis-à-vis de ses confrères[1] ;
- et vis-à-vis de ses clients. C'est mon sujet.
Du point de vue de l'Etat, l'indépendance vis-à-vis du client est une condition d'un fonctionnement harmonieux du système judiciaire. A l’appui de cette affirmation, je vous livre un texte ancien :
"Lorsque nous nous occupions de l'organisation de l'Ordre judiciaire et des moyens d'assurer à nos cours la haute considération qui leur est due, cette profession, dont l'exercice influe puissamment sur la distribution de la justice, a fixé nos regards. Nous avons, en conséquence, ordonné par la loi du 22 Ventôse an XII le rétablissement du tableau des avocats, comme un des moyens les plus propres à maintenir la probité, la délicatesse, le désintéressement, le désir, la conciliation, l'amour de la vérité à la justice, un zèle éclairé pour les faibles et les opprimés, base essentielle de leur Etat ».
Il s’agit, bien sûr, de la justification que Napoléon donne de la loi du 22 Ventôse an XII sur les avocats.
C'est un peu la phrase qui est inscrite sur une des poutres de cette salle[2].
Ces propos restent très modernes puisque je les retrouve, quasi mot pour mot, dans la recommandation du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe R(2000)/21 sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat et son exposé de motifs.
A l'évidence, les avocats doivent défendre, non seulement les intérêts de leurs clients, mais encore ceux du système judiciaire dans son ensemble. Dans le code de déontologie du C.C.B.E., il est souligné que "dans une société fondée sur le respect de la justice, l'avocat remplit un rôle éminent. Sa fonction ne se limite pas à l'exécution fidèle d'un mandat dans le cadre de la loi. Dans un Etat de droit, l'avocat est indispensable à la justice et au justiciable dont il a la charge de défendre les droits et libertés : il est aussi bien le conseil que le défenseur de son client"[3].
Et j'emprunte encore une citation à Pierre LAMBERT, qui est un peu notre André DAMIEN à nous, avocats belges : "La vérité est que l'indépendance de l'avocat est d’intérêt social, ... Dans son principe, elle est immuable. Loin de placer le Barreau au-dessus des lois, son indépendance a pour but de lui permettre d'en réclamer l'application. Du point de vue du client, l'indépendance est la condition du conseil éclairé. Sans indépendance, il n'y a pas de conseil avisé"[4].
Un juriste d'entreprise du conseil juridique de TOTAL FINA ELF le confirme : "ce que nous recherchons d'abord, ce sont des avocats indépendants avec une éthique irréprochable et sans lien politique dominant"[5].
Par exemple, une entreprise multinationale comme IN-BEV déclare ne vouloir confier ses intérêts à des avocats que si le chiffre d'affaires qu'elle leur apportera sera inférieur à 20 % du chiffre d'affaires global de leur cabinet. Au-delà, elle craint de ne plus bénéficier des conseils d’un avocat suffisamment indépendant et, dès lors, de conseils suffisamment éclairés.
Philippe NOUEL employait, en 1994, les termes suivants à propos de la distinction entre le judiciaire et le juridique, faisant la passerelle entre les deux : "Il est impossible de distinguer entre ces activités de conseil et de plaidoirie, où s'arrête l'une et où commence l'autre. De plus en plus souvent, elles seront intimement liées et le conseil sera très souvent lié à un litige. L'indépendance doit être absolue et le client devrait être assuré que l'avocat ne suivra que la voie de sa conscience. Il n'est de bon conseil qu'indépendant"[6].
C'est la noblesse de notre profession. Maître GOUT ajoute : "Défendre, ce n'est pas approuver ou absoudre. C'est simplement tenter de faire comprendre, si tant est qu'il y ait quelque chose à comprendre. C'est aussi contribuer, avec d'autres, à ce que toute la lumière soit faite pour que la justice puisse être rendue. Il n'y a d'avocats que d'avocats libres"[7].
Le danger, hier, c'était le politique.
Quelques mois avant la citation que je vous ai livrée au début de cette intervention, NAPOLEON avait écrit à CAMBACERES :"Je reçois un décret sur les avocats. Il n'y a rien qui donne aux grands juges les moyens de les contenir, même juste de prendre des mesures contre ce tas de bavards artisans de révolution qui sont inspirés presque tous de par le crime et la corruption. Tant que j'aurai l'épée au côté, je ne signerai jamais un décret aussi absurde. Je veux qu'on puisse couper la langue à un avocat qui s'en servirait contre le gouvernement".
Maître ADAMCZYCK, je vous assure que ces paroles sont bien de NAPOLEON et non d’un des frères KACHINSKY !
(applaudissements)
Mais restons vigilants, Monsieur le Professeur ATIAS nous l'a dit, l'indépendance est un des dépôts dont nous devrons rendre compte à ceux qui viendront après nous.
Cependant, aujourd’hui, le danger est plus économique que politique. Aujourd'hui, effectivement, nous sommes confrontés à des situations qui sont souvent porteuses de dangers pour l’indépendance.
J'emprunte à un de mes amis, Pierre PICHAULT, parce qu'il faut aller vite et parce qu’il a bien posé ce constat, la description de ce péril : "En premier lieu, le fait est que peu d'avocats peuvent aujourd'hui négliger la rentabilité de leur travail. Privés de la fortune et tenus de gérer leur cabinet, ils doivent bailler des investissements de plus en plus lourds. Leur autonomie tarifaire s'affaiblit sous la double pression de l’exigence de transparence des clients et d’une vive mise en concurrence. L'auto pointage créé par le logiciel de traitement du temps achève la mise en place d’une taylorisation apparemment peu libératrice. La hausse des effectifs, la compétition accrue avec d'autres professions qui élargissent leurs offres de services menacent la position individuelle de chacun. Dans ce contexte, l'avocat s'intéresse davantage de son intérêt individuel qu'il ressent comme fragilisé. Sans doute la résistance s'en trouve-t-elle affaiblie"[8].
On risque donc la régression de l'éthique sous la pression d’un omniprésent marché. Si certains clients, comme je le disais tout à l'heure, recherchent l'avocat indépendant, il en est d'autres qui sont plus tentés par la servilité et l'instrumentalisation. C'est ce qui m'amène à exprimer - mais je serai contredit dans un instant - une méfiance pour l'avocat d'entreprise. L'avocat d'entreprise, c'est bien dans une entreprise qui accepte une certaine idée de l'éthique, mais nous savons que ce n'est pas le lot de toutes. Et souvenons-nous que lorsqu'on réglemente, ce n'est pas seulement pour les bons, c'est aussi, et d’abord, pour les mauvais.
La fragilisation des conditions de vie de certains avocats rend donc le danger plus grand. L'avocat peut être davantage incité à passer la frontière entre l'artifice et la manœuvre, entre la stratégie et la déloyauté.
Au départ de ces quelques idées générales, je voulais déboucher sur quelques applications pratiques. J'aurais pu aussi vous parler de la prohibition de la défense des conflits d'intérêts ou de la défense des intérêts d'un membre de sa famille, ou encore du pacte de quota litis, interdit pour des raisons qui touchent à l'indépendance, alors que l'on admet le palmarium d'autre part. Le temps me manque. Il n'est pas possible de tout dire.
Je voudrais, dès lors, vous parler un peu de la juste cause, des conflits d'intérêts, et puis, peut-être, tracer une ou deux pistes pour les travaux de nos conseils de l’Ordre, rechercher ce qu'ils pourraient entreprendre pour défendre l'indépendance des avocats.
- La juste cause
Il est loin le temps où l'avocat était maître de la procédure, n'acceptant que les « bons procès », ceux que l’on croit véritablement pouvoir gagner. Aujourd'hui, je pense qu'un mauvais procès peut être une juste cause.
Nous sommes tous des Julien PIERRE (l'avocat liégeois de Marc DUTROUX) ou des Jacques VERGES, si vous préférez. J'admets sans difficulté, et j'imagine que vous aussi, qu'un avocat accepte d'introduire un procès qu'il sait avoir très peu, voire pas du tout, de chances de gagner, seulement pour gagner du temps, par exemple parce qu'il est l'avocat d'une entreprise qui détient une importante créance contre l'Etat dont on sait qu'elle ne pourra être réglée avant six ou huit mois et qu'il faut gagner ces six ou huit mois-là. Oui d'accord. Mais si c'est pour permettre à une entreprise mafieuse de poursuivre son activité, ce n'est sans doute plus la même chose.
J'admets qu'on puisse introduire un procès qui n'a pratiquement aucune chance d'être accueilli s'il s'agit de faire entendre un cri. Ainsi, pour un réfugié économique qui, selon la jurisprudence du Conseil des étrangers, n'aura pratiquement aucune chance d'être accueilli, mais qui veut faire entendre sa révolte. Oui, mais si c'est pour un révisionniste ou un négationniste ?
J'admets qu'on accepte un procès par stratégie parce qu'il s'agit d'étouffer un paparazzi qui est en train d'harceler votre client. Oui, mais si c'est pour arrêter un journaliste d'investigation ?
J'admets qu'on introduise un procès pour se constituer une sorte de monnaie d'échange dans une négociation, exercer une pression fiscale sur une entreprise polluante par exemple. Oui, mais si c’est pour si c’est pour étouffer le petit propriétaire qui s’oppose à cette même entreprise, par exemple en le menaçant de dénoncer les petites irrégularités qui affectent les annexes de sa maison ?
Ne suis-je pas près, alors, de verser dans le chantage ?
Qui est juge ? Qui est juge de la justesse de la cause ?
Certains voudraient que ce soit le juge et non plus l’avocat.
En Belgique, plusieurs arrêts du Conseil d'Etat réclament la possibilité pour la juridiction administrative suprême d'infliger aux avocats eux-mêmes des amendes pour procédure abusive.
J'en appelle, cependant, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Un arrêt SCHÖPFER, du 20 mai 1998, prononcé un peu dans des circonstances similaires à l'arrêt BASTILLE, dont nous parlait ce matin Maître LAURICH, énonce : "Le statut spécifique des avocats les place dans une situation centrale dans l'administration de la justice, comme intermédiaires entre le justiciable et les tribunaux, ce qui explique les normes de conduite imposées aux membres du Barreau. L'action des tribunaux, qui sont garants de la justice et dont la mission est fondamentale, a besoin de la confiance du public. Eu égard au rôle des avocats dans ce domaine, on peut attendre d'eux qu'ils contribuent au bon fonctionnement de la justice et ainsi à la confiance du public en celle-ci."
C'est un arrêt par lequel la Cour avait admis que l’on puisse sanctionner un avocat qui avait publiquement injurié des magistrats. Certains ont cru pouvoir y trouver le fondement de cette possibilité pour les magistrats de contrôler la justesse des causes acceptées par les avocats.
Mais la Cour européenne des Droits de l'Homme a bien fixé les limites de sa jurisprudence, par ses arrêts KYPRIANOU (contre CHYPRE) du 27 janvier 2004, AMIHALACHIOAIE (contre Moldavie) du 20 avril 2004 et, déjà, par un arrêt NIKULA (contre Finlande) du 21 mars 2002 : « ce n'est qu'exceptionnellement qu'une limite touchant à la liberté d'expression (des avocats), même au moyen d'une sanction pénale légère, peut passer pour nécessaire dans une société démocratique ».
Le juge de la juste cause, c'est l'avocat[9]. Cela ne ressortit qu’à sa conscience, sous le contrôle marginal de son ordre.
Monsieur le Président, l'avocat d’aujourd'hui continue à n'accepter que des causes justes, même si elles sont parfois mal fondées. Et, Maître BUCHMAN, l'honnêteté n'est pas qu’une vertu américaine.
(rires et applaudissement)
La Bâtonnière Dominique de la GARANDERIE disait : "si un avocat instrumente la justice au mépris du droit afin de faciliter le crime, il trahit son serment et n'a plus sa place. Il sera exclu"[10].
Et le Bâtonnier BRUNOIS ajoutait : "il n'est de défense que probe"[11].
Ils ont tout à fait raison.
- Je passe à la matière des conflits d'intérêts.
C'est vrai que les difficultés sont croissantes à mesure que croît la taille des cabinets. La spécialisation induit aussi chez des clients la tentation de saupoudrer leurs affaires entre différents cabinets. C'est parfois sans malice, parce que les clients recherchent simplement des spécialistes, mais c'est parfois aussi tactique, parce qu’ils cherchent sournoisement à écarter des adversaires potentiels en spéculant sur leur obligation de se déporter en cas de conflit d’intérêts.
Le développement du conseil renforce la difficulté et la mobilité des avocats aussi. Je ne sais pas si vous avez le même phénomène dans tous vos barreaux, mais à Bruxelles, les avocats changent quasi tous les deux ans de cabinet et cela provoque un certain nombre de difficultés. Alors, cela induit-il un plus grand laxisme ou faut-il imposer à tout nouvel associé d'un avocat de se déporter des causes dans lesquelles intervenait non seulement cet avocat - et dans ce cas, ce sont les deux qui se déportent - mais aussi ses anciens associés ? Cela devient compliqué.
Certains avancent la théorie de la muraille de Chine (voire du cône du silence) suivant laquelle ce nouvel avocat serait, au sein de son nouveau cabinet, emprisonné par le secret qu'il a emporté avec lui du cabinet précédent.
Mais on sait que Justice must not only be done, it must also be seen to be done. La justice ne doit pas seulement être rendue, il faut aussi qu'on le voie. L'indépendance ne doit pas seulement exister. Il faut aussi que cela se voie.
Il est d’ailleurs difficile de catégoriser le conflit d'intérêts parce que la déontologie est, d'abord, une affaire de sensibilité.
Cependant, on peut sans doute dégager trois critères. Je crois que les trois guides pour régler les conflits d'intérêts sont : l'indépendance, le secret et la loyauté.
Sur les deux premiers, il n'y a pas de transaction possible. On ne peut pas accepter une cause lorsqu'on n'est pas indépendant, ou lorsque le secret est en péril.
En revanche, la loyauté, qui nous interdirait de plaider contre un ancien client, ou bien contre tel cabinet, tel ministère, alors que nous-mêmes, ou un de nos associés, sommes le conseil d'un autre ministère du même Etat (chez nous, ou de la même région ou de la même communauté) peut sans doute s’accommoder de nuances. On peut, me semble-t-il, jouer avec plus de sensibilité face à ce type d’hypothèses, en distinguant au cas par cas[12].
Voilà ce que je voulais vous dire du conflit d'intérêts.
Je termine en livrant quelques pistes. La première mission de nos Ordres me semble être, aujourd’hui, de défendre notre indépendance.
Nous avons beaucoup parlé en Belgique, mais je crois que ce n'est pas spécifique à la Belgique - je pense aussi à l'Italie - de la question des barèmes d’honoraires. Deux arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, l'arrêt ARDUINO du 19 février 2002, puis l'arrêt CIPOLLA du 5 décembre 2006, viennent d’en sonner le glas. La messe me semble dite : sauf circonstances exceptionnelles, que je ne vois réunies ni en Belgique, ni en France, les barèmes sont morts.
Pour qu'un barème puisse être admis, il faudrait d'une part qu'il soit promulgué par l'Etat, et d'autre part, qu'il soit reconnu par le juge comme étant nécessaire à la protection des consommateurs et à la bonne administration de la justice. Je ne nous donne pas beaucoup d'espoir de réussir cette démonstration.
Pourtant, il est absolument nécessaire de pouvoir informer le public sur les tarifs que les avocats pratiquent.
C'est une question de légitime confiance, mais aussi une question d'indépendance parce que le lien avec la situation économique est évident. Nous devons éviter la concurrence sauvage. CHABAL, le bon sauvage, c'est bien sur les terrains de rugby, mais pas à la barre !
(rires et applaudissements)
Les Ordres doivent encourager la transparence des tarifs. Cela peut se réaliser par différents moyens. La Cour elle-même nous l’indique expressément. L’information sur nos tarifs peut être assurée par la publication de sondages, d’études statistiques ou de recueils de jurisprudence en matière d'honoraires. C’est, me semble-t-il, un chantier auquel nous devons nous attacher de manière prioritaire.
Cela m'amène à ma dernière réflexion : la contractualisation. En Belgique, la pratique de contrats d'honoraires, de conditions générales d'intervention des avocats, n'est pas très répandue encore. Nous savons pourtant, depuis l'arrêt WOUTERS de la Cour de Justice du 19 février 2002, que les avocats sont, au sens du droit européen, des entreprises et que nos Ordres sont des associations d'entreprises. Alors pourquoi accepterions-nous toutes les servitudes des entreprises et ne profiterions-nous pas des avantages dont elles peuvent profiter ?
Nous savons aussi que différentes directives européennes nous imposent, lorsque nous offrons nos services à distance, de donner une information à nos clients sur nos tarifs et sur nos conditions d'intervention. Il appartient aux Ordres, dans le respect des législations qui prohibent les clauses abusives, d'encourager leurs membres à rédiger des conditions générales d'intervention, comprenant des tarifs.
En Belgique, l'O.B.F.G. (l'Ordre des Barreaux Francophones et Germanophone) est en train d’y travailler. Ce qui sortira de ses travaux ne sera probablement pas un règlement, ni même une recommandation, mais sans doute une information sur les clauses qu'un avocat peut insérer dans les conventions qu'il conclut avec ses clients.
Je pense, au-delà des tarifs d’honoraires, à deux types de clause qui sont en relation directe avec la problématique de l'indépendance :
- d’une part, les clauses limitatives de responsabilité ; nous admettons, en Belgique, qu'un avocat puisse limiter sa responsabilité au montant de la couverture d'assurance qu'il a souscrite (les assurances étant d'ailleurs collectivement souscrites par le Barreau), en mentionnant, bien sûr (je le précise parce que j’ai, malheureusement, vu des avocats qui ne prenaient pas cette précaution élémentaire), quel est le montant de cette couverture.
- d’autre part, vis-à-vis des clients institutionnels, des clauses de dédit.
Je ne sais pas si l'article 1794 du code civil existe toujours chez vous. Il énonce que, dans les contrats de louage d’ouvrage ou d’industrie, la résiliation unilatérale est toujours possible, à condition que le maître d’ouvrage (ici, le client) dédommage l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise.
On n'applique jamais cette règle aux avocats. On considère généralement que la confiance qui doit unir l'avocat et son client implique que l'article 1794 ne puisse s'appliquer dans ce cas.
Je n’en suis pas persuadé.
Lorsque vous êtes contacté par un gros client qui veut vous confier un contentieux qui implique que vous renforciez votre documentation, que vous engagiez une secrétaire ou deux collaborateurs supplémentaires, peut-on admettre qu'il vous quitte sans préavis, en vous causant un préjudice considérable, parce que vous n'avez pas la possibilité de congédier sur l’heure votre collaborateur et votre secrétaire ? Je pense qu'on peut admettre dans ce cas-là une clause de dédit qui n'aurait pas pour objet de vous indemniser du bénéfice que vous avez perdu, mais qui bien de la perte que vous allez subir.
Voilà la réflexion que je voulais vous livrer.
Nos Ordres ont donc du pain sur la planche.
Je termine avec une dernière citation, empruntée à Remo DANOVI, ancien président de l’Ordre national des avocats italiens : "C'est dans l'indépendance que s'exprime la liberté, en paroles et en actions. Et cette très grande liberté est la caractéristique la plus positive que la profession acquiert dans l'opinion publique (« un ordre libre sans être inutile qui se consacre au public sans en être l’esclave »)"[13].
C'est encore un défi pour nous.
[1] Je n’ai pas abordé ce thème lors de mon exposé oral. On pourrait signaler, à ce sujet, que si certains usages, voire certaines règles professionnelles, nous engagent à nous montrer confraternels, notamment en ne tendant pas à nos confrères des « pièges de procédure » ( c’est une question de loyauté : on n’admettrait pas, par exemple, qu’un avocat qui, au moment où il reçoit un client qui lui apporte une citation, s’aperçoit qu’elle est entachée de nullité et que l’on est à six mois de la prescription, décide volontairement de faire défaut, en spéculant sur le fait qu’une mesure avant-dire droit devra inévitablement être ordonnée, puis signale ensuite son intervention à son confrère, en lui indiquant qu’il n’est pas nécessaire de signifier puisqu’il participera volontairement à l’exécution de cette mesure, de façon à se permettre de former opposition ensuite, au moment où la prescription est acquise), elles ne peuvent jamais nous conduire à privilégier les intérêts de nos confrères (même s’ils sont aussi, parfois, nos amis) à ceux de nos clients. Il n’appartient pas, ainsi, à un avocat d’attirer l’attention d’un de ses confrères sur le fait qu’il commet une erreur de procédure ou qu’il est sur le point de laisser passer un délai de rigueur, ce qui pourrait engager sa responsabilité professionnelle (et, incidemment, exercer une influence sur le montant des primes d’assurances collectives que paie le barreau), au mépris des intérêts de son client.
[2] « Faire éclater la justice pour que le puissant cesse de faire du tort au faible ». Cette phrase est extraite du code d’Hammourabi, recueil de sentences prononcées par le Roi de Babylone Hammourabi. Ce code fut reproduit sur au moins une, et sans doute plusieurs, stèles, disséminées dans le pays pour affirmer la puissance et la sagesse du Roi. Il date du milieu du XVIIIe siècle avant notre ère. Ce code fut longtemps considéré comme le plus ancien texte de nature législative connu. On a, depuis, retrouvé des textes plus anciens, dont le Code d’Ur-Nammu, Roi d’Ur de 2112 à 2094 avant notre ère.
[3] Préambule, 1.1, La mission de l’avocat.
[4] P. LAMBERT, Règles et usages de la profession d’avocat du barreau de Bruxelles, Larcier, 1994, p. 478.
[5] Ph. MARCHANDISE, « Qu’attend une entreprise de son avocat ? », in L’avocat et son nouvel environnement concurrentiel, Actes du congrès de la C.B.F.G. des 23 et 24 mars 2001, Ed. Jeune barreau de Liège, 2001, p. 327.
[6] Ph. NOUEL, Une profession indépendante et organisée, plaquette programme, 1994, p. 18.
[7] M. GOUT, « Nous sommes tous des Julien Pierre », Bull. Barreau Paris, 1997/9, p. 64.
[8] P. PICHAULT, « Prévenir, détecter et résoudre les conflits d’intérêts », in Déontologie, évolutions récentes et applications pratiques, actes des journées de déontologie organisées par les barreaux de Bruxelles-néerlandais, Liège et Verviers les 27 avril et 9 mai 2007, Ed. du Jeune barreau de Liège, 2007, p. 118.
[9] J’ai développé plus abondamment ces idées dans une contribution intitulée « Demain, les chiens », in Liber amicorum Paul Martens, Larcier, 2007, p. 41.
[10] D. de la GARANDERIE, discours prononcé lors de la séance de rentrée du barreau de Paris, mai 2000, Gaz. Pal., 5 mai 2000, pp. 20 et 23.
[11] A. BRUNOIS, La liberté judiciaire, honneur des hommes, Versailles, 1978, p. 187.
[12] Pour plus de détails, voyez P. PICHAULT, « Prévenir, détecter et résoudre les conflits d’intérêts », in Déontologie, évolutions récentes et applications pratiques, op. cit., p. 118.
[13] R. DANOVI, L’avocat et le reflet de son image, Bruylant, 1998, p. 74.
in L’indépendance de l’avocat, actes des rencontres de déontologie du barreau de Lyon, 2007, pp. 35-40