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Glasnost : la seconde mort d’Antigone

« Le secret ce n’est jamais beau, c’est ce que l’on cache, que l’on a intérêt à cacher » disait, il y quelques mois, par provocation, au cours d’un symposium consacré au secret professionnel, le Bâtonnier Keïta, d’Aix-en-provence.

Le secret c’est l’hypocrisie, c’est la dissimulation de nos petites turpitudes et de nos grosses fraudes.

Le secret c’est l’arbitraire du pouvoir, les petites magouilles et les grandes arnaques, la corruption, le détournement du bien public, la machine aveugle hors de tout contrôle, le procès de Joseph K.

Le secret c’est Al Quaïda et les mafias : les trafics de drogues, d’armes, d’êtres humains, les enlèvements, l’esclavage, les enfants soldats, les enfants martyrs, les enfants bombes, l’argent sale, le blanchiment, le 11 septembre et le 11 mars.

Notre société globale peut-elle encore s’accommoder du secret ?

Nous voulons la sécurité, la dignité, la fin des attentats et des trafics, la fin de l’arbitraire et du vice. Place, donc, au règne de la transparence, la glasnost de Gorbatchev, le journalisme d’investigation, le droit à l’information, les spywares et les photos satellites de la C.I.A., la transparence chère à la Deutsche Bank.

Nous voulons tout savoir : la motivation des actes administratifs, les honoraires de nos avocats,  la douche de Marie Arena, les comptes en banque des trafiquants et des terroristes (et aussi ceux des PEPs), leurs communications téléphoniques et électroniques, la mort de Lady Di, les dernières frasques de Caroline et le cigare de Clinton. 

Comme l’écrit Jacques Chevallier, aujourd’hui, « à la figure du secret, dévalorisée, discréditée et affectée d’un signe négatif, va venir s’opposer la figure antithétique de la ‘transparence’, conçue comme pure positivité »[1].

« La transparence », ajoute Jean-Denis Bredin, « ne serait-elle pas l’arme nécessaire afin que les pouvoirs publics veillent efficacement sur nous ? Et quand se sont enfuies les traditionnelles illusions, dans un monde plus imprévisible qu’il ne fut jamais, où la plupart des citoyens n’ont plus de convictions religieuses ni de rêves politiques, dans un monde sans immortalité de l’âme, sans lutte finale, sans attente du grand soir, la vérité, habillée du si joli mot de transparence ne risque-t-elle pas de devenir la dernière valeur d’une société qui respecte – à peu près – la liberté et qui s’est détournée des rêves d’égalité et de fraternité ?  Ne serait-elle pas l’ultime vertu, celle qui pourrait substituer toutes les autres, vieillies ou disparues »[2].

 

« Je suis la Vérité et la Vie », a dit Jésus. « Tu ne mentiras point ».

 

Pour Kant aussi, la vérité est un impératif catégorique. Elle doit être dite partout et en tout lieu, sans restriction, ni réserve.

 

Et Robespierre, dans son fameux discours du 8 thermidor : « j’ai promis de laisser un testament redoutable aux oppresseurs du peuple : je leur lègue la vérité terrible et la mort ».

 

Ce discours n’est-il pas celui de tous les utopistes[3], d’Akenaton à Fidel  Castro, en passant, aussi, par Torquemada, Hitler, Staline ou Ben Laden ?

 

Mais la vérité est-elle saisissable ?

 

« Respecter ce que voient et ce que touchent les autres, même si c’est le contraire de ce que vous, vous voyez et touchez », fait dire Pirandello à Laudisi, le bouffon-sage de A chacun sa vérité.

 

« Et rien n’est vrai ! Vraie est la mer, oui, la montagne : vrais le caillou et le brin d’herbe.  Mais l’homme ?  Sans le vouloir, sans le savoir, l’homme reste toujours masqué de ce qu’il croit être de bonne foi : beau, bon, plaisant, généreux, malheureux, etc.  Cela fait bien rire quand on y pense …  Il ne peut s’empêcher de prendre des poses, même devant lui-même d’une certaine manière, et que de choses il imagine, qu’il a besoin de croire vrai, besoin de prendre au sérieux ! » fait-il dire aussi à l’un de ses Six personnages en quête d’auteur.

 

« La vérité … ne se sépare pas de l’intelligibilité », nous enseigne Emmanuel Lévinas. « Connaître ce n’est pas simplement constater, mais toujours comprendre. On dit aussi, connaître c’est justifier, en faisant intervenir, par analogie avec l’ordre moral, la notion de justice »[4].

 

La vérité, et plus encore la transparence, n’est qu’une valeur subordonnée, au service des autres. De même, « le secret professionnel n’est pas une valeur en soi », écrit Pierre Lambert. Il faut y voir « un procédé, une technique, un moyen de protéger certaines valeurs déterminées »[5].

 

Transparence et secret ne cessent de s’affronter aujourd’hui. Un bref inventaire des lignes de fracture nous permettra de nous faire une meilleure idée de l’état des choses.

 

  1. Secret absolu ou secret relatif ?

 

Longtemps les auteurs ont proclamé comme un dogme que le secret professionnel était absolu, ce qui impliquait qu’il ne cède en aucune circonstance, devant aucune autre valeur.

 

Depuis 1987, et l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1987, on admet qu’il cède néanmoins devant l’état de nécessité, c’est-à-dire en présence d’un péril grave, imminent et imparable[6].

 

Il est intéressant de noter que la Cour de cassation, dans cette hypothèse, a préféré acquitter le prévenu en faisant référence à la notion d’état de nécessité, plutôt qu’en acceptant une exception ou une atténuation de la règle du secret professionnel.  Celle-ci reste donc pleinement affirmée et ne cède que devant des circonstances exceptionnelles, constitutives d’état de nécessité.  Comme l’observe exactement Yvon Hannequart, “l’état de nécessité justifie objectivement la transgression d’une obligation, tandis que l’affirmation de la relativité du secret tendrait plutôt à dégager nombres d’hypothèses où il n’existerait aucune obligation de se taire[7].

 

A propos d’une espèce comparable, la Cour suprême du Canada dégagera trois critères permettant de déterminer quand l’intérêt public est à ce point impérieux qu’il s’impose de déroger au secret professionnel : d’abord, il faut qu’une personne ou un groupe de personnes identifiables soit clairement exposées à un danger ; ensuite, il faut que ce danger soit d’une intensité considérable : des blessures graves ou la mort ; enfin, ce danger doit être imminent[8].

 

La théorie de l’état de nécessité vient de recevoir une application législative particulière, dans la matière de la protection de la jeunesse.

 

La loi du 20 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs[9] a inséré dans le code pénal un article 458bis, ainsi rédigé :

 

« Toute personne qui, par état ou par profession, est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance d'une infraction prévue aux articles 372 à 377, 392 à 394, 396 à 405ter, 409, 423, 425 et 426, qui a été commise sur un mineur, peut, sans préjudice des obligations que lui impose l'article 422bis, en informer le procureur du Roi, à condition qu'elle ait examiné la victime ou recueilli les confidences de celle-ci, qu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de l'intéressé et qu'elle ne soit pas en mesure, elle-même ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité »[10].

 

On retrouve dans cet article les trois éléments de la définition de l’état de nécessité : certitude, gravité, imminence.

 

Plusieurs arrêts de la Cour de cassation[11] et, surtout, de la Cour d’arbitrage[12], nous montrent cependant qu’on en est plus loin. De plus en plus de voix s’élèvent, à la suite de Pierre Lambert, pour défendre une conception relative du secret[13].

 

Dans cette conception, les valeurs que défend le secret professionnel sont susceptibles de s’effacer devant toute autre valeur supérieure. Il appartient au législateur, puis au juge, au cas par cas, de soupeser les intérêts en présence, et de décider si le secret doit s’effacer devant des valeurs telles les droits de la défense, la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable, la préservation de la santé physique ou morale des personnes, etc[14].

 

 

C’est après une telle balance de valeurs, que la Cour d’appel de Mons considérera, à juste titre, que l’état de nécessité ne peut être invoqué pour permettre à un légataire universel de se ménager, du vivant de son testateur, une preuve de l’état de santé mentale de celui-ci, en violation du secret médical. Cet intérêt « n’est manifestement pas de nature à devoir l’emporter sur la valeur protégée par l’article 458 du code pénal relativement au secret médical »[15]. De même, le tribunal de première instance d’Anvers considère que la nécessité de protéger la bonne réputation d’un hôpital n’est pas un impératif supérieur qui autorise son directeur à révéler des faits couverts par le secret professionnel dans un communiqué destiné à informer la presse au sujet d’un accident thérapeutique survenu dans ses murs[16].

 

Comme l’observe Maxime Glansdorff, il n’est guère possible d’établir une hiérarchie des valeurs qui s’appliquerait toujours et en tous lieux, voire simplement, dans un Etat donné, en toutes circonstances. Cette hiérarchie « n’est jamais qu’une hypothèse, plus ou moins née de l’imagination ou suggérée par l’expérience personnelle, mais toujours exposée à être infirmée par des expériences nouvelles »[17].

 

Cela n’empêche pas certains de tenter de tracer quelques lignes directrices, susceptibles d’aider les professionnels à soupeser les valeurs en présence. Ainsi, Guy Canivet pose, tout d’abord, qu’une restriction au secret n’est acceptable que pour autant qu’elle soit, à la fois, nécessaire pour la protection d’un intérêt général supérieur et proportionnée à l’objectif poursuivi[18]. Marie-Anne Frison-Roche considère, quant à elle, qu’il faudrait toujours se laisser guider par les critères de l’intérêt de la personne protégée et de l’intérêt des tiers menacés par un danger[19]. On me permettra cependant de penser que ces critères théoriques seront souvent de peu d’aide lorsque l’on est confronté à une question concrète. Le tout est, précisément, de faire la balance entre les intérêts en présence et celle-ci est nécessairement influencée par l’ensemble des circonstances de la cause.

 

Si la théorie du secret relatif semble ainsi s’imposer, il est donc compréhensible que les partisans du secret absolu soient encore nombreux. Ainsi, les ordres d’avocats continuent très largement à défendre la conception absolutiste, mais ils ne sont pas les seuls[20].

 

Et, comme nous allons le voir, la Cour européenne des droits de l’homme a, sur ce point, une jurisprudence contrastée.

 

 

  1. Secret professionnel, droit au respect de sa vie privée et Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

 

Le secret professionnel, droit secondaire, n’est pas, en tant que tel, protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[21]. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de secret professionnel n’est donc pas très abondante.

 

Plusieurs arrêts en matière de protection des correspondances échangées entre un avocat et son client détenu doivent cependant être signalés. On sait que cette correspondance est normalement couverte par le secret professionnel.

 

L’arrêt Erdem, prononcé  en 2001 par la Cour, tempère cette garantie. Un sieur Erdem, de nationalité turque, soupçonné d’appartenance à une organisation terroriste et détenu, avait vu la correspondance qu’il échangeait avec son avocat interceptée et ouverte. Il dénonçait une violation de l’article 8 de la convention, qui garantit le secret de la correspondance. La Cour rappelle tout d’abord que « la confidentialité de la correspondance entre un détenu et son défenseur constitue un droit fondamental pour un individu et touche directement les droits de la défense ». Une dérogation à cette garantie ne peut être autorisée que « dans des cas exceptionnels et doit s’entourer de garanties adéquates et suffisantes ».

 

La Cour considère cependant qu’il n’y a pas en l’espèce, violation de la convention. Elle relève tout d’abord qu’un certain nombre de garanties entourent l’exception au principe de l’inviolabilité des correspondances. D’une part, les lettres interceptées sont remises à un magistrat indépendant, tenu au secret professionnel, qui ne peut avoir aucun rôle dans l’instruction elle-même et qui a pour seule mission d’examiner si les correspondances contiennent des éléments qui démontrent que le détenu tente de poursuivre son activité ou d’assurer la pérennité de son organisation. D’autre part, la Cour relève que le contrôle est limité puisque seules les correspondances sont ouvertes, le détenu conservant la possibilité de s’entretenir librement avec son avocat.

 

La Cour rappelle ensuite « qu’une certaine forme de conciliation entre les impératifs de la défense de la société démocratique et ceux de la sauvegarde des droits individuels est inhérente au système de la convention ». Elle conclut, au contraire des cas dont elle avait précédemment eu à connaître, que l’ingérence dénoncée n’était pas « disproportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis »[22]. C’est donc exprimer une conception relative, mais très stricte, du secret.

 

En matière de respect de la vie privée, la Cour adopte également une position très nuancée. Deux espèces célèbres et toute récentes illustrent bien ces nuances.

 

Il faut, tout d’abord, citer le tout récent arrêt Plon, du 18 mai 2004. Cet arrêt met fin à l’affaire Gubler, ce médecin français qui, alors qu’il avait soigné François Mitterand, avait, peu après sa mort, publié un ouvrage intitulé Le grand secret, dans lequel il révélait plusieurs informations relatives à la santé de son illustre client, évidemment couvertes par le secret médical. Le tribunal de grande instance de Paris, d’abord en référé, puis au fond, avait interdit la publication de cet ouvrage et ordonné son retrait de la vente. Analysant le litige en termes de conflit entre deux valeurs contradictoires, la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée, la Cour valide d’abord la décision de référé, qui pouvait passer pour « nécessaire dans une situation démocratique », vu la proximité du décès et l’intensité de l’atteinte portée au souvenir du défunt et le chagrin de ses proches. Mais, envisageant ensuite la décision de fond, prise plus de neuf mois après le décès, la Cour considère que, tenant compte de ce délai et du fait que, même interdit, l’ouvrage avait eu une large diffusion (40.000 exemplaires vendus le jour de la sortie, avant l’ordonnance de référé, plus une diffusion illicite sur internet), la mesure n’apparaît plus proportionnée aux objectifs poursuivis. Il est vrai que la Cour énonce « Il ne s’agit certes pas pour la Cour de considérer que les exigences du débat historique peuvent délier un médecin du secret médical, qui, en droit français, est général et absolu… Mais, à partir du moment où celui-ci a été enfreint, …, le passage du temps doit nécessairement être pris en compte pour apprécier la compatibilité avec la liberté d’expression… A ce moment là, les informations qu’il (le livre) contient avaient donc, de fait, perdu l’essentiel de leur confidentialité ».

 

C’est un peu dire qu’il suffit de trahir le secret vite et fort pour qu’il doive céder. C’est néanmoins le réaffirmer clairement car si, pour la Cour, un secret révélé, à un point tel qu’il soit désormais connu de tous, n’est plus un secret, cela n’empêche évidemment que le violateur soit sévèrement sanctionné.

 

L’arrêt de Hanovre, prononcé ce 24 juin 2004, est plus net encore. Constatant que la princesse Caroline de Monaco, épouse de Hanovre, n’exerce aucune fonction officielle au sein ou pour compte de l’Etat monégasque ou de l’une de ses institutions, la Cour considère « qu’il convient d’opérer une distinction fondamentale entre un reportage relatant des faits – même controversés – susceptibles de contribuer à un débat dans une société démocratique, se rapportant à des personnes politiques, dans l’exercice de leurs fonctions officielles par exemple, et un reportage sur les détails de la vie privée d’une personne qui, de surcroît, comme en l’espèce, ne remplit pas de telles fonctions. Si dans le premier cas, la presse joue son rôle essentiel de « chien de garde » dans une démocratie en contribuant à « communiquer des idées et des informations sur des questions d’intérêt public », il en va autrement dans le second cas »[23].

 

La balance des intérêts entre droit à l’information et respect de la vie privée, entre transparence et secret, entre vérité et intimité, ne penche donc pas nécessairement en faveur des premiers[24].

 

 

  1. Perquisitions dans les cabinets d’avocat

 

 

Revenons au droit national et au secret professionnel de façon plus stricte pour examiner les règles applicables en matière de perquisitions dans les cabinets d’avocat.

 

Le cabinet de l’avocat n’est pas inviolable.

 

Dans les différents barreaux, des procédures ont été adoptées, de commun accord entre les autorités ordinales et les autorités judiciaires, pour aboutir à une conciliation entre les exigences du secret professionnel et les exigences de la recherche de la vérité. Le juge d’instruction qui souhaite perquisitionner au cabinet d’un avocat est accompagné du bâtonnier ou de son délégué.  L’avocat qui recevrait une visite hors de ces conditions a le droit et le devoir de rappeler la règle et d’appeler sur le champ le bâtonnier.

 

Dans la plupart des barreaux belges, et, en tout cas, dans le ressort de la cour d’appel de Liège, il était admis jusqu’il y a peu que le délégué du bâtonnier examine préalablement les pièces dont le juge d’instruction se proposait de prendre connaissance, retire du dossier les pièces qui contiennent ou font référence aux confidences reçues par l’avocat (correspondances confidentielles...) et remette les autres au juge d’instruction[25].

 

Ailleurs, les pratiques ne sont pas toujours aussi favorables.  Il est fréquent que le Juge d’instruction souhaite visionner les pièces en même temps que le délégué du bâtonnier et discute avec lui la question de savoir si les pièces sont couvertes par le secret professionnel[26]. Matériellement, il est d’ailleurs de plus en plus difficile de faire autrement, lorsqu’il s’agit, par exemple, d’examiner les documents stockés dans un mémoire informatique protégée par un code secret.

 

Un arrêt récent de la Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Liège vient, cependant, de tempérer sérieusement cette solution classique. La Cour y affirme que « La présence d’un représentant qualifié de la profession exercée par la personne chez qui a lieu la visite domiciliaire peut certes paraître souhaitable mais ne relève que d’un usage non expressément consacré par la loi et dont la méconnaissance ne constitue, en soi, ni irrégularité, ni cause de nullité. Le juge d’instruction est la seule autorité compétente pour apprécier les éléments utiles à la manifestation de la vérité et identifier les pièces qui, le cas échéant, se rapportent au secret professionnel ». Dans le commentaire qu’il consacre à cette décision, S. D’Orazio fait cependant observer que cette position semble contraire aux enseignements des arrêts Niemietz[27] et Erdem[28] de la Cour européenne des droits de l'homme, qui affirment que la nécessité de protection du secret professionnel impose que ce ne puisse être le juge saisi des poursuites qui apprécie lui-même, dès lors après en avoir pris connaissance, si les pièces qu’il se propose de saisir sont couvertes par le secret[29]. Elle me paraît d’ailleurs difficilement conciliable avec les principes, pourtant déjà moins favorables à la protection du secret, qui viennent d’être mis en œuvre en matière d’écoutes téléphoniques[30]/[31].

 

On se réjouira donc de constater que la chambre du conseil du tribunal correctionnel de Bruxelles se soit clairement démarquée de cette position par une ordonnance du 10 juin 2004. Se voyant dénoncer par le conseil d’un des prévenus que le dossier qui allait lui être soumis contenait des correspondances échangées entre le prévenu et son avocat, couvertes par le secret professionnel, la chambre du conseil décide de surseoir à statuer sur le règlement de la procédure aussi longtemps que les pièces couvertes par le secret professionnel figure dans le dossier. La chambre du conseil consacre l’usage ci-avant rappelé en précisant « qu’il est évidemment préférable qu’elle n’ait pas à statuer sur des pièces qu’un tri effectué par le magistrat instructeur en présence d’un représentant de Monsieur le bâtonnier pourrait soustraire au débat judiciaire »[32].

 

Dans tous les cas, il appartient, d’abord à la chambre des mises en accusation, juge naturel de l’instruction, puis, le cas échéant, au juge du fond d’apprécier si, après une perquisition au cabinet d’un avocat, même exécutée en présence du bâtonnier ou de son délégué, ne figureraient pas néanmoins parmi les éléments de l’instruction des documents couverts par le secret professionnel.  Dans l’affirmative, il les rejettera des débats[33].  La Cour d’appel de Bruxelles vient ainsi de rappeler que « c’est au magistrat instructeur qu’il appartient seul de décider, sous le contrôle de la chambre des mises en accusation, et, le cas échéant, des juridictions de jugement, quelles sont les pièces qui sont couvertes par le secret professionnel et qui ne peuvent, dès lors, être maintenues saisies comme pièces à conviction. La seule circonstance que le délégué du bâtonnier a estimé que des documents n’étaient pas revêtus de la confidentialité s’attachant au secret professionnel de l’avocat n’autorise pas le magistrat instructeur à considérer cette question comme étant définitivement réglée »[34].

 

Le propriétaire de la correspondance saisie irrégulièrement pourrait aussi introduire la contestation par le biais du référé pénal organisé par l’article 61quater du code d’instruction criminelle, y introduit par la loi du 12 mars 1998 (dite « loi Franchimont »)[35].

 

 

  1. Transparence administrative et secret professionnel

 

Un autre domaine où secret professionnel et transparence s’affrontent est, bien sûr, celui de la transparence administrative.

 

On sait qu’en vertu des divers décrets et lois sur l’accès à l’information en matière administrative[36], les citoyens ont maintenant le droit de prendre connaissance et copie des actes et documents administratifs. Peuvent-ils, par ce biais, obtenir communication des consultations que les avocats de l’administration lui ont adressées ? De même, l’administration peut-elle verser pareilles consultations dans les dossiers administratifs qu’elle communique sans requérir au préalable l’accord de l’avocat qui les lui a délivrées ?

 

A ma connaissance, cette question n’est pas encore définitivement tranchée. Mon opinion est que les consultations adressées par ses avocats à l’administration sont couvertes par le secret professionnel, ce qui les fait, de droit, échapper à l’obligation de transparence. Tout comme la production de ces documents ne pourrait être requise en justice, sur le pied des articles 872 ou 877 du code judiciaire, elle ne peut l’être sur la base des lois applicables en matière d’accès à l’information en matière administrative. Le secret professionnel est d’ordre public. Il est considéré comme un principe général de droit. A défaut d’une dérogation expresse contenue dans un texte de nature légale, il ne peut s’effacer. Il me semble difficile d’admettre que les différents textes qui ont consacré la transparence administrative y aient implicitement dérogé (et si certains voulaient leur donner cette portée, il me semble qu’il serait indispensable d’interroger la Cour d’arbitrage quant à la conformité aux articles 10 et 11 de la Constitution de pareille interprétation)[37].

 

Il faut cependant signaler que, sur ce point, en France, la polémique fait actuellement rage. Plusieurs Commissions d’accès aux documents administratifs, tribunaux administratifs et, même, la Cour administrative de Paris, ont décidé que les principes de transparence administrative imposaient que, ou les consultations adressées par les avocats aux administrations soient purement et simplement soumise à publicité, ou, en tout cas, soumise au juge administratif, qui jugera si elles sont, ou non couvertes par le secret. La question est actuellement soumise au Conseil d’Etat, le Conseil national des barreaux s’étant porté partie intervenante à la procédure[38]. A suivre, avec la plus grande attention…

 

 

  1. Secret professionnel et aide juridique

 

Il va de soi que toutes les données relatives à la situation de fortune d’un client et à ses revenus sont couvertes par le secret professionnel[39].

 

Ce principe évident entre en conflit flagrant avec une série d’autres impératifs.

 

Examinons, tout d’abord, le conflit suscité par les nouvelles règles applicables en matière d’aide juridique.

 

L’avocat qui apprend, dans le cours de l’instruction d’un litige, que son client a des revenus qui ne lui permettent pas, ou qui ne lui permettent plus, de prétendre au bénéfice de l’aide juridique peut-il néanmoins adresser au bureau d’aide juridique une demande de paiement des indemnités qui lui sont dues pour son intervention en faveur de ce client ?

 

La réponse négative s’impose à l’évidence. L’avocat ne peut se rendre complice d’une fraude de son client au préjudice de l’Etat.

 

Mais comment pourra-t-il alors justifier sa position vis-à-vis du bureau d’aide juridique ? On ne peut concevoir que son obligation au secret lui impose de continuer à assurer la défense de son client[40], tandis que son obligation de loyauté lui interdirait de réclamer de quelconques honoraires (ou, ce qui revient au même, lui imposerait d’intervenir gratuitement au profit de ce client pour lequel il n’aura pas nécessairement une sympathie particulière, vu les circonstances…).

 

Une solution serait que l’avocat propose tout d’abord à son client de signaler les circonstances qui justifient le retrait du bénéfice de l’aide et que, à défaut d’acceptation, il se déporte en signalant simplement que les conditions d’octroi de l’aide ne sont pas, ou plus, remplies, sans autre explication.

 

Il ne faut cependant pas se cacher que cette solution, qui concilie, à première vue, les différents devoirs qui s’imposent à l’avocat, est susceptible de poser pas mal de difficultés.

 

Comment le B.A.J. pourra-t-il justifier un retrait de l’aide, alors que les preuves nécessaires ne lui auront, forcément, pas été communiqués (et sinon, devra-t-il désigner un autre avocat, en lui conseillant simplement de prêter une particulière attention au respect des conditions de l’aide. Et quid alors, si ce nouvel avocat doit à nouveau se déporter ?) ?

 

Le « règlement sur l’obligation d’information et le secret professionnel en matière juridique »[41] de l’O.B.F.G. ne résout pas complètement cette difficulté. Il impose à l’avocat confronté à cette situation, si son client refuse de renoncer à l’aide juridique, de déposer une requête en indiquant que le client ne remplit plus les conditions prévues par la loi pour bénéficier de l’aide. Il précise que l’avocat, à aucun stade de la procédure ne pourra trahir les confidences reçues. Mais que se passera-t-il lorsque le client viendra contester le retrait, au besoin en introduisant un recours devant le tribunal du travail ? Et, au-delà, faut-il se féliciter que l’avocat se contente ainsi de renvoyer la balle à son successeur, en conseillant, certes implicitement mais, aussi, on ne peut plus clairement, à son client d’être plus prudent avec ce successeur…

 

En pratique, ces dispositions ne semblent guère, jusqu’ici en tout cas, avoir suscité beaucoup de difficultés. Lorsqu’un avocat demande à être déchargé, l’auditorat entame une enquête. Ou bien il découvre des éléments qui permettent d’exclure le demandeur du bénéfice de l’aide juridique ; ou il n’en découvre pas, et le tribunal accueille le recours, renvoyant ainsi la balle au B.A.J., avec cette conséquence que l’intervention subséquente de l’avocat désigné est légitimée…, même s’il sait qu’elle repose sur des déclarations frauduleuses.

 

Il est donc difficile de trouver cette solution satisfaisante. Même si le risque de voir un avocat contraint de choisir entre une intervention gratuite au profit d’un client, dont il connaît la malhonnêteté, et l’association à une fraude est réduit, il n’en reste pas moins que, dans certaines hypothèses, des avocats seront confrontés à ce dilemme.

 

Et, pour arriver à ce résultat, nous avons nous-mêmes obligé les avocats à dénoncer leurs clients à l’auditorat du travail, certes sans lui donner de précision, mais néanmoins en l’invitant à entamer une enquête.

 

A l’heure où nous nous élevons contre les obligations que nous imposent les dispositions préventives de blanchiment de capitaux, cela ne me paraît ni acceptable, ni nécessairement adroit.

 

Ne devrions nous pas, plutôt, défendre un système où ce serait le barreau, et lui seul, qui serait juge de ces questions, et plaider, le cas échéant devant la Cour d’arbitrage, que tout autre système apporte aux règles applicables en matière de secret professionnel des dérogations qui sont incompatibles avec le principe d’égalité et de non discrimination ?

 

 

  1. Secret professionnel et assurance protection juridique

 

 

Dans une récente étude, Luc DE CAEVEL et Paul DEPUYDT examinent l’incidence du secret professionnel sur les relations entre l’avocat, ses clients et les compagnies d’assurances[42].

 

Lorsque l’avocat intervient dans le cadre d’une assurance protection juridique, la procédure d’objectivité prévue par l’article 93 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre implique que l’avocat adresse à la compagnie une consultation sur les chances qu’une action judiciaire présenterait[43]. Cet avis est évidemment couvert par le secret professionnel et la partie adverse ne pourrait en exiger la production.

 

Les compagnies d’assurance protection juridique souhaitent fréquemment être tenues informées de l’évolution de la procédure. Le Conseil de l’ordre français de Bruxelles estime que l’avocat peut « informer l’assureur en protection juridique de l’évolution du procès, en veillant à ne rien divulguer qui serait couvert par le secret professionnel ou la confidence »[44].  Il reste donc prudent, en présence d’une information qui présente manifestement une nature confidentielle de s’assurer de l’accord du client avant de la communiquer à l’assureur.

 

La situation se complique quelque peu lorsque l’avocat intervient à la fois dans le cadre d’une assurance protection juridique et d’une assurance responsabilité civile, assumant la défense des intérêts communs de l’assuré et de l’assureur.

 

Le principe de base est simple. L’avocat ne peut assumer ce cumul que s’il n’y a pas de contrariété d’intérêts entre assureur et assuré. Si pareille contrariété apparaît en cours de litige, il doit alors se déporter de la défense des intérêts tant de l’un que de l’autre.

 

Qu’advient-il si, en cours de litige, l’assuré révèle à l’avocat une éventuelle cause de refus de couverture ou de déchéance ?

 

La question est particulièrement délicate. On imagine mal que l’avocat cèle cette circonstance à son client assureur et poursuive son intervention comme si de rien n’était. Son devoir de loyauté s’y oppose. Peut-il pour autant trahir son client assuré en révélant ce que celui-ci ne lui a confié que sous le sceau de la confidence ?

                   

Paul DEPUYDT avait d’abord préconisé une communication confidentielle de l’avocat à l’assureur, celui-ci ne pouvant se prévaloir de l’information pour refuser la couverture et devant l’établir par une autre voie[45]. Dans son dernier article, il suggère que l’avocat ouvre à son client assuré l’alternative : ou il communique l’information à l’assureur, d’une façon neutre, sans attirer son attention sur les conséquences qu’elle pourrait entraîner ; ou il se déporte, sans explication. Je pense que cette seconde façon d’envisager la difficulté est plus conforme au devoir de loyauté qui s’impose à l’avocat.

 

Reste l’hypothèse où l’avocat entre en relation avec son propre assureur responsabilité professionnelle.

 

Un premier principe est certain. Pour les besoins de sa défense, l’avocat peut révéler à son assureur des éléments de nature confidentielle[46].

 

Mais, en sens inverse, l’assureur peut-il exiger de son assuré avocat une communication complète du dossier et décliner sa couverture si celui-ci, prétendant se réfugier derrière le secret professionnel (peut-être pour des motifs tout à fait nobles, mais aussi peut-être parce qu’il souhaiterait ainsi cacher à l’assureur un élément qui amènerait celui-ci à refuser une indemnisation alors que, pour des raisons « commerciales », l’avocat la souhaiterait), refusait cette communication ?

 

Le secret professionnel ne peut être le paravent de fraudes. Luc DE CAEVEL et Paul DEPUYDT estiment donc qu’il faut, dans ce genre d’hypothèses, donner raison à l’assureur. Il ne me semble pourtant pas qu’il serait illogique, dans de pareilles circonstances, que l’avocat puisse s’adresser à son bâtonnier pour que celui-ci vérifie si le secret professionnel est utilisé à bon escient, c’est-à-dire dans l’unique but de protéger les intérêts légitimes du client.

 

 

  1. Secret professionnel et répétibilité

 

 

Dans un tout récent commentaire, j’ai eu l’occasion de montrer que le nouveau principe de la répétibilité des frais de défense nécessaires à la récupération du préjudice né d’une faute contractuelle ou extracontractuelle, assis par la Cour de cassation, dans son arrêt du 2 septembre 2004[47], sur le principe du droit de la victime à la réparation du préjudice causé par cette faute, entrait frontalement en conflit avec les règles qui gouvernent le secret professionnel de l’avocat[48].

 

En effet, si l’on considère que l’indemnité pour frais de défense doit couvrir exactement la totalité des honoraires réellement et justement payé par la victime à son avocat, on aboutit nécessairement à une vérification du caractère proportionné de l’état d’honoraires, ce qui implique, a minima, la production d’un état détaillé (et non d’une simple facture rédigée en deux lignes du type « Doit pour défense dans le cadre du litige X/Y »), révélant l’ensemble des prestations accomplies par l’avocat, et, très probablement, dans de nombreuses hypothèse en tout cas, de l’ensemble du dossier, comme c’est d’ailleurs systématiquement le cas lorsque l’on se trouve dans le cadre d’une contestation d’honoraires (où le problème du secret professionnel ne se pose guère puisque le conflit y oppose, précisément, l’avocat à son client).

 

Ceci signifierait donc qu’il faudrait communiquer à l’adversaire, les consultations préalables adressées par l’avocat à son client, où l’on trouvera la trace des doutes qui ont été exprimés quant à la possibilité de défendre tel ou tel chef de demande, quant à l’opportunité de mettre telle partie à la cause, quant à la stratégie à suivre, bref autant d’éléments qui pourront être utilisés par l’adversaire soit dans la suite de la procédure (puisque la répétibilité sera sollicitée dans les premières conclusions déposées et que, même si on ne demande à ce moment qu’un montant provisionnel, il faudra quand même bien le chiffrer entièrement avant la fin de la première instance), soit dans le cadre de l’exercice d’une voie de recours, ordinaire ou extraordinaire, soit dans le cadre d’un autre litige, lié au même contentieux, soit, même, dans le but de nuire à l’adversaire.

 

On me rétorquera que, si la victime craint que certains éléments contenus dans certaines parties du dossier lui portent préjudice (par exemple, son avocat a examiné l’opportunité d’exercer aussi un recours contre un autre responsable potentiel, mais, après examen approfondi, il lui a semblé que cette mise à la cause devait être déconseillée, soit parce que la solvabilité de ce tiers était insuffisante, soit parce que cela renchérirait la procédure, soit pour des raisons tactiques, et l’on ne souhaite pas communiquer ces éléments à la partie adverse, qui pourrait en tirer argument pour essayer de diminuer sa propre responsabilité), il lui suffit de ne pas solliciter la répétibilité de ces prestations-là, se dispensant ainsi de produire les pièces qui y ont trait.

 

Mais ce serait oublier que, tout d’abord, il n’est pas si simple d’ainsi fractionner un dossier, les recherches, études et consultations d’un avocat, ainsi que les correspondances qu’il échange avec son client, portant toujours, presque nécessairement, sur différents points qui sont étroitement entremêlés.

 

Et puis, plus fondamentalement, poser en règle qu’il faut choisir, même partiellement, entre répétibilité et secret, n’est-ce pas nier les principes que l’on vient de consacrer ? Comme le relève très justement la Cour d’appel de Liège dans son arrêt du 14 décembre 2004[49], le droit de « recourir à un avocat pour soutenir un procès en justice et à s’assurer de la sorte le nécessaire concours d’un professionnel, qui engage d’ailleurs sa responsabilité en la matière » est un droit fondamental.

 

Il est lié au droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

Imposer, même partiellement, à un justiciable de choisir entre répétibilité et secret professionnel, c’est donc nier son droit à un procès équitable, méconnaître le principe de l’égalité des armes, l’accès à la justice.

 

 

 

  1. Secret professionnel et blanchiment[50]

 

 

La lutte contre le blanchiment des capitaux provenant des trafics de drogue, d’armes ou de personnes, enjeu important s’il en est, avait conduit le Conseil des Communautés européennes a adopter, en 1991, une première directive (91/308/CEE) imposant aux Etats membres d’insérer dans leurs arsenaux législatifs diverses obligations de dénonciation à charge des organismes bancaires.

 

Il est apparu que ces dispositions étaient insuffisantes. Les trafiquants ont rapidement évité l’écueil en s’adressant à d’autres professionnels, notamment dans le domaine du droit et de la finance.

 

Une nouvelle directive a dès lors été mise en chantier, cette fois par le Parlement et le Conseil, en vue de renforcer le dispositif mis en place en 1991.

 

Les barreaux se sont fortement émus de l’entreprise. Ils craignaient que, par ce biais, une nouvelle brèche soit ouverte.

 

Le Conseil de l’ordre du barreau de Paris a, par une motion du 3 avril 2001, rappelé que la lutte contre le blanchiment de l’argent, enjeu majeur de la démocratie, ne pouvait toutefois entraîner de restriction au secret professionnel. Opportunément, le Conseil de l’ordre rappelait, dans la même motion, que les avocats se sont dotés d’obligations réglementaires et déontologiques qui permettent de s’assurer qu’ils ne peuvent en rien participer à ce type d’opérations délictueuses. Ce rappel semblait particulièrement adéquat. Le secret professionnel n’est défendable que s’il est replacé dans le contexte d’un exercice de notre profession, soucieux du respect des principes de loyauté, de dignité et de probité[51].

 

C’est finalement en date du 4 décembre 2001 que la nouvelle directive a été adoptée. Elle est plus équilibrée que l’on aurait pu le craindre, mais, comme on va le voir, elle pose néanmoins de sérieuses difficultés en matière de secret professionnel et, plus généralement, d’indépendance de l’avocat[52].

 

Après avoir rappelé l’importance des enjeux, qui justifient que « les notaires et les membres des professions juridiques indépendantes » soient soumis aux dispositions de la directive « lorsqu’ils participent à des transactions de nature financière ou pour le compte de sociétés » (considérant 16), les autorités européennes concèdent que « dans les cas où des membres indépendant de professions consistant à fournir des conseils juridiques, qui sont légalement reconnues et contrôlées, par exemple des avocats, évaluent la situation juridique d’un client ou le représentent dans une procédure judiciaire, il ne serait pas approprié que la directive leur impose l’obligation de communiquer d’éventuels soupçons en matière de blanchiment de capitaux » (considérant 17).

 

L’article 6.3 de la directive modifiée prévoit dès lors que, si les Etats membres, dans le cadre de l’exécution de leur obligation de transposition, doivent prendre les dispositions nécessaires pour assurer la dénonciation effective de tout transfert de capitaux suspect, ils peuvent dispenser les avocats (et autres professions actives dans le domaine du droit) de cette obligation de délation « pour ce qui concerne les informations reçues d’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients, lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure ».

 

L’exemption est donc très large. Elle couvre tant le domaine de la défense que celui de la consultation. Seuls les domaines annexes (exercice de mandats de gestion, par exemple, mais aussi participation à la rédaction de convention d’achat et de vente de bien immeubles ou d’entreprises commerciales), qui ne peuvent être considérés comme faisant partie de l’essence de la profession tombent dans le champ d’application de la directive.

 

Cette directive a été transposée en droit belge par la loi du 12 janvier 2004, modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux. Le système mis en place par le législateur belge[53] peut être synthétisé comme suit :

 

  • Les avocats ne sont concernés que lorsqu’ils agissent au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans une transaction financière ou immobilière (art. 2ter, 2°), ce qui ne leur est de toute façon pas autorisé en Belgique, ou lorsqu’ils assistent leurs clients dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant l’achat ou la vente de biens immeubles ou d’entreprises commerciales (a), la gestion de fonds, de titres ou d’autres actifs appartenant à des clients (b), l’ouverture ou la gestion de comptes bancaires ou d’épargne ou de portefeuille (c), l’organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés (d), la constitution, la gestion ou la direction de fiducies, de sociétés ou de structures similaires (e)(article 2ter, 1°). En revanche, ils ne sont pas concernés lorsque les informations ont été reçues lors de l’évaluation de la situation juridique du client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation dans le cadre d’une procédure judiciaire[54], y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure (art. 2bis, §1er, 5).
  • Dans ce cadre, lorsqu’ils nouent des relations d’affaires avec celui qui deviendra un client habituel, ou lorsqu’un client souhaite réaliser avec leur concours une opération dont le montant excède 10.000 euros, ou une opération dont on peut soupçonner qu’elle comporte un blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme, ou un transfert de fonds visé à l’article 139bis de la loi du 6 avril 1995, ils auront l’obligation d’identifier leur client au moyen d’un document probant dont ils prennent une copie.
  • Toujours dans ce cadre, ils ont une obligation de vigilance, qui les contraint à s’assurer, par un examen attentif des opérations effectuées, que celles-ci sont cohérentes avec la connaissance qu’ils ont de leur client, de ses activités commerciales, de son profil et de l’origine des fonds.
  • Ils doivent conserver les données d’identification et les bordereaux relatant les opérations pendant au moins cinq ans après la fin des relations professionnelles avec ce client.
  • Ils doivent former leur personnel pour les sensibiliser à ces obligations.
  • Lorsque, dans ce cadre, ils constatent des faits qu’ils savent ou soupçonnent d’être liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme, ils ont l’obligation d’en informer immédiatement le bâtonnier de l'Ordre, lequel, après avoir vérifié que les conditions du secret professionnel sont respectées, transmettra, le cas échéant, les informations à la cellule de traitement des informations financières (CeTIF).
  • Ils pourront alors être requis de fournir des informations supplémentaires.
  • Il leur est interdit d’avertir leur client ou tout tiers du fait qu’ils ont livré ainsi des informations, ce qui semble impliquer qu’ils se déportent de la défense, sans en préciser le motif. Cette obligation n’empêche cependant pas l’avocat de prévenir ses clients, avant d’avoir recueilli les informations qui devraient être dénoncées, ce que seraient ses obligations si de pareilles informations venaient à lui être confiées[55].

 

Même si le champ d’application de l’exception au secret professionnel est assez limité, puisqu’il ne concerne ni l’exercice de la défense en justice, ni le domaine de la consultation, on ne peut que souligner son importance. Cette nouvelle loi est la première qui introduise une dérogation au droit au silence dont bénéficie l’avocat dans toutes les autres circonstances, même lorsqu’il est autorisé à parler.

 

Nos Ordres n’ont pas manqué de faire observer que cette obligation de  dénonciation, outre qu’elle s’inscrivait en rupture totale avec les traditions, était incompatible avec l’indépendance que tous les régimes démocratiques ont toujours reconnue à notre profession.

 

Aussi ne peut-on manquer de suivre avec une particulière attention l’évolution des recours actuellement entrepris contre ces nouvelles dispositions.

 

Tant l’O.B.F.G. que l’O.V.B. ont introduit des recours en annulation contre la loi. Ils y sollicitent, notamment, qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice des Communautés européennes afin que celle-ci se prononce sur la compatibilité du nouveau régime avec les garanties que constituent l’indépendance de l’avocat – entendue comme le droit et le devoir de défendre un client dans l’intérêt exclusif de celui-ci et en dehors de toute influence des pouvoirs publics – le secret professionnel, qui en est le corollaire[56].

 

De son côté, le barreau français, appuyé par des barreaux belge, espagnol et italien et la C.C.B.E., a introduit auprès du Parlement européen une pétition qui a été déclarée recevable par la Commission des pétitions en date du 30 septembre dernier, et qui est actuellement à l’examen.

 

Mais, en revanche, la Commission a introduit un troisième projet de  directive qui renforcerait encore les obligations pesant sur les avocats dans le cadre de la lutte contre le blanchiment.

 

 

  1.  En guise de conclusion

 

 

Le secret doit-il céder devant :

 

  • les nécessités de la protection de la vie, lorsque celle-ci est confrontée à un péril grave, imminent et imparable ;
  • les nécessités de la répression de la grande criminalité organisée et du terrorisme international ;
  • les nécessités de la bonne organisation du bureau d’aide juridique, ou du fonctionnement équitable d’une institution comme celle du règlement collectif de dettes[57] ;
  • le bon fonctionnement de l’assurance protection juridique ou de l’assurance responsabilité professionnelle ;
  • l’intérêt d’accorder à la victime d’un dommage la plus adéquate réparation du dommage qu’elle a subi, en ce compris ses frais de défense
  • le contrôle le plus complet du bon fonctionnement de l’administration ;
  • la liberté d’informer, dans tous ses aspects, des plus nobles aux plus vils ;
  • les nécessités de la répression des infractions en général ?

 

Nous revoici à la question de départ : y a-t-il encore une place, dans le village global, sous le règne de la pensée unique, pour le secret ?

 

Trois modèles s’affrontent : ou le secret doit toujours prendre le pas sur la transparence ; ou, à l’inverse, la transparence doit toujours prévaloir ; ou secret et transparence s’opposent sans cesse, l’un ne prenant la prééminence sur l’autre qu’en fonction du choix de valeur que l’on effectue, au cas par cas.

 

Le premier de ces modèles a largement prévalu pendant la seconde moitié du XIXè et la première partie du XXè siècle, dans nos sociétés républicaines occidentales.

 

Le second est celui des états totalitaires. Le secret n’y a pas de place[58]. Le bien commun y prime toujours sur l’intérêt de l’individu. Rien ne peut y échapper au pouvoir. Comme l’écrit le bâtonnier Christian Raoult, "bien plus que les divergences sur l'ordre social ou économique, c'est le secret professionnel et le respect de l'individu qu'il implique, qui marquent la véritable fracture entre les états démocratiques et les états de type marxiste ou totalitaire»[59].

 

Méfions-nous, dit aussi Emmanuel Lévinas, des réductions de toute l’expérience humaine à une « totalité ou la conscience embrasse le monde, ne laisse rien hors d’elle, et devient ainsi pensée absolue ». Vision globalisante, vertu globalisante…. Il n’y a pas loin du rêve de la totalité ou totalitarisme.  « Ma critique de la totalité est venue après une expérience politique que nous n’avons pas encore oubliée ». Or, le secret dérange la totalité.  « Il s’agit de rendre justice à ce secret et pour chacun sa vie…  Secret qui dans son avènement éthique est incessible… et qui est principe d’individualité absolue ».  « Dans les pensées de la totalité, le secret est inadmissible », nous dit-il encore[60].

 

Et Chaïm Perelman précise que ce qui caractérise chaque société n’est pas tant les valeurs qu’elle défend, qui sont communes à la plupart des sociétés, mais la façon dont elle les hiérarchise[61]. Chaque société prétend défendre la liberté individuelle, la vie privée, la sécurité, la justice, l’égalité. Le tout est de voir comment elle organise cette défense, quelles valeurs elle subordonne aux autres.

 

Reste le modèle médian, où secret et transparence ne sont que des moyens au service des autres valeurs. C’est le règne du secret relatif et, aussi, de la complexité, puisqu’il faut à chaque conflit, soupeser les valeurs en présence pour déterminer celle qui doit prévaloir.

 

Il vient d’être démontré que ce modèle est aujourd’hui le nôtre.

 

Il ne fait guère de doute que l’intervention, sans cesse plus prégnante, de l’Etat dans l’économie et l’organisation de la société, ne fait que rendre cette complexité plus grande. Il est difficile d’admettre que le secret permette le détournement d’institutions conçues pour venir en aide à ceux qui sont en difficultés : le droit d’asile, les subventions, l’aide juridique, le règlement collectif de dettes, l’excusabilité, …

 

Il ne fait guère de doute que la mondialisation accentue ce déséquilibre. Elle induit un besoin d’efficacité à la mesure du territoire qui doit être couvert. Elle s’accompagne d’un développement sans précédent des technologies de l’information, qui font de la curiosité une fin en soi.

 

Pourtant, nous devons défendre le secret.

 

Le secret, c’est la flamme intérieure d’Antigone, le journal d’Anne Franck, ce qui fait survivre Diego ou, aujourd’hui, je l’espère, Ingrid Betancourt, « libre dans sa tête », ce petit mot griffonné sur un bout de papier caché dans un wagon de la mort par un juif belge déporté à Auschwitz, « maman, je ne sais pas où l’on m’emmène mais je reviendrai », et que sa mère, à qui cette bouteille à la mer était finalement parvenue, garda contre son sein pendant des années, jusqu’au retour inespéré de son auteur.

 

Le secret, c’est la liberté de pensée, chère à Florent Pagny, mais aussi, plus simplement, le droit de ne pas exposer sa souffrance, de garder pour soi ses peines et ses joies, de protéger les siens des attaques du monde, de rêver à l’abri du regard de Big brother : le mystère, la réserve, la discrétion, la pudeur, le silence.

 

Comme l’écrit Serge Tisseron, « le droit au secret de chacun, adulte ou enfant, est essentiel. Il permet de protéger son identité profonde des intrusions de l’environnement. Il est la première condition à la possibilité de penser soi-même et pour soi-même »[62].

 

Si, comme le montre Pirandello, chacun a sa vision du monde, des autres, de lui, de ce qu’il a vécu, vu ou ressenti, si, comme le démontre Lévinas, la vérité est inséparable d’une démarche d’interprétation et de justification, n’est-il pas impératif que tous, lorsque qu’ils sont confrontés à la vérité judiciaire, c’est-à-dire à la Justice, à ses règles objectives de plus en plus insaisissables, puissent se confier sans détour ni artifice à celui qui pourra les éclairer sur la façon dont sa vérité risque d’être perçue. Ad vocatus : celui que l’on appelle au secours.

 

La nécessaire protection du secret vient de cette inéluctable confrontation entre la subjectivité de chaque individu et l’objectivité du droit. Il faut que le justiciable puisse s’adresser à un médiateur, au sens technique du terme, qui l’aidera à faire comprendre sa réalité, qui lui exposera, avec ses connaissances et son expérience, comment les autres pourraient percevoir sa réalité, qui lui permettra de traduire son vécu et ses perceptions en des termes qui les rendront intelligibles par les autres, par le juge. Il est indispensable que, dans ce conciliabule préalable, le justiciable puisse s’exprimer sans la moindre retenue, tant toute réticence serait préjudiciable à ce travail de perception et de traduction, indispensable à l’accomplissement de l’œuvre de justice[63].

 

Comme l’écrit parfaitement Pierre Lambert, « personne ne songe à contester que l’accomplissement de la mission de l’avocat n’est possible que si son client peut s’exprimer en toute liberté avec lui. Le secret professionnel de l’avocat et ses corollaires trouvent leur fondement dans cette nécessaire liberté des échanges entre lui et son client. Sans cette confiance totale…, leurs communications seront mêlées de réticences et de mensonges et la défense ne sera plus entière »[64].

 

Tout récemment encore, Guy Canivet, premier président de la cour de cassation de France, affirmait encore que « le secret est bien souvent une condition de la parole, un préalable indispensable pour qu’en des circonstances particulières, la communication se fasse en toute sécurité ou confiance entre un individu et un professionnel »[65]. « Ne nous trompons pas : le véritable enjeu du secret, c’est le droit au Droit », disait le bâtonnier Dominique de la Garanderie[66].

 

Nous, avocats, savons que la transparence, c’est l’immédiateté et, donc, la simplification et la déformation, tandis que la justice a besoin de temps pour saisir le réel dans sa complexité et ses nuances[67]. Il faut n’avoir jamais eu un client devant soi pour imaginer qu’une justice qui se passerait du conciliabule secret entre l’avocat et son client pourrait être une bonne justice. Qui, parmi nous, n’a pas éprouvé cent fois le désarroi d’un justiciable – qu’il soit « mineur étranger non accompagné », selon l’appellation convenue, PDG d’une grande entreprise ou ministre - incapable d’exprimer sa vérité, la motivation de tel acte ou la pulsion qui l’a amené à accomplir tel fait, sans que son avocat, patiemment, reconstruise avec lui tous les antécédents et tous les mécanismes qui l’ont conduit à faire ce qu’il a fait, comme il l’a fait.

 

La justice de la transparence est une mauvaise justice, tout autant que la justice de l’immédiateté – snelrecht, flagrants délits ou référés d’extrême urgence -, parce qu’elle gomme une partie de la réalité, parce qu’elle ne prend pas le temps de saisir la complexité du réel, de soupeser la vérité de chacun.

 

Comme le dit Jean Lacouture, « du fait de sa complexité, de sa mobilité, de sa cruauté, la vérité n’est pas propre à l’instantanéité, rarement à la totalité »[68].

 

Nier le secret, c’est nier la dignité de l’individu, sa diversité, sa différence, son droit d’être lui, d’exister en tant que personne.

 

« Tout vie cesse là où commence la transparence », déclara Jean Guillebaud, dans un numéro spécial du Nouvel Observateur consacré à « La pudeur »[69].

 

« La transparence est sans surprise, l’autre valeur de référence du monde, tel que les experts le façonnent C’était naguère un des mots-clés du langage totalitaire imposé aujourd’hui comme un devoir, elle a beau conduire à inverser la charge de la preuve en obligeant chacun à rendre à tout instant des comptes.

 

Elle a beau respecter de moins en moins la vie privée et violer jusqu’à la mémoire et jusqu’au secret des familles, elle a beau donner des prétextes dans la presse à un vague d’inquisitions digne des procès staliniens, il n’est pas un discours politique qui soit jugé digne de choix, s’il ne présente la transparence comme une obligation », regrette l’historien Alain-Gérard Slama[70].

 

Loin de moi l’idée que la transparence devrait être bannie ou qu’il faudrait condamner les efforts de tous ceux qui oeuvrent, parfois au péril de leur vie, pour que crimes et exactions soient découverts, dévoilés et, dans la mesure du possible, réprimés. Comme l’écrit Philippe Val, dans un des derniers éditoriaux de Charlie-Hebdo[71], « Sans Florence Aubenas et tous ceux qui pensent que la vérité mérite une enquête, … Dreyfus serait mort sur l’île du diable, les bagnards continueraient de casser des cailloux à Cayenne, Pinochet aurait le prix Nobel de l’économie, Nixon aurait fini son mandat dans le respect général, …, Kadhafi serait un leader altermondialiste et Fidel Castro un défenseur de la liberté d’expression, le génocide du Rwanda serait un retour de week-end un peu plus meurtrier que les autres, … les vessies seraient des lanternes, les torchons seraient des serviettes, les détenteurs du pouvoir seraient des dieux infaillibles et les autres, des bêtes. Sans Florence et ses compagnons, on serait condamnés à faire la moyenne entre les mensonges des uns et les mensonges des autres pour essayer de se faire une idée de la vérité ».

 

Le travail de ceux qui cherchent la vérité doit être respecté et protégé. Mais il faut, aussi, lui fixer des limites, car certains ont parfois tendance, pour reprendre une autre expression de Jean Lacouture, à confondre « bas-les-masques » et « bas-les-slips »[72]. Et ces limites, elles passent, notamment, par un secret professionnel fort. Parce que, si l’opacité ne peut être admise lorsqu’elle sert de paravent à l’arbitraire, qu’il s’agisse de celui de certaines décisions de l’administration ou, par exemple, de la fixation de nos honoraires, elle a, en revanche, droit à toute notre considération lorsqu’il s’agit de protéger les droits de la défense ou cette part d’intimité sans laquelle nous ne pouvons exister.

 

Si trop de secret paralyse, trop de clarté étouffe.

 

Résistons donc à Big brother. Résistons au tout transparent, ou tout immédiat, au tout unique. Les avocats ne peuvent accepter la société panoptique, que dénonçait déjà Michel Foucault.

 

Nier le secret professionnel, le réduire à la portion congrue, en faire une peau de chagrin, c’est aussi nier le travail de l’avocat, faire fi de son indépendance et, en les ravalant au rang de valeurs de second ordre, renoncer aux valeurs républicaines qui sont le fondement de nos sociétés démocratiques.

 

Non qu’il faille rejeter la transparence mais la garder à sa place : une valeur parmi d’autres, au service des autres, et non une vertu suprême qui tendrait à se substituer au Dieu auquel nous croyons de moins en moins, déguisant à peine le fait que, vertu subordonnée, elle est toujours au service du pouvoir et des dominants, au service de Créon, contre Antigone.

 

 

 

 

 

                                       Patrick HENRY

                                       Avocat au barreau de Liège

                                       Maître de conférences à l’Université de Liège

                                       Le 31 mars 2005



[1] J. CHEVALLIER, « Le mythe de la transparence administrative » in Information et transparence administratives, Paris, P.U.F., 1988, p. 239, cité par M. van de KERCHOVE, « Fondements axiologiques du secret professionnel et de ses limites », in Le secret professionnel, Namur, La Charte, 2002, p. 1

[2] J.-D. BREDIN, « Transparence et secret : les attentes de la personne humaine », Gaz. Pal., 22 octobre 2003, p. 27.

[3] Jésus, lui-même, ne dit-il pas : « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa famille. Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. Qui ne prend pas sa croix et ne viens pas à ma suite n’est pas digne de moi. Qui aura trouvé sa vie la perdra et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera » (Matthieu, X, 37-39).

[4] E. LEVINAS, Totalité et infini, La Haye, Martinus Nijhoff, p. 54.

[5] P. LAMBERT, Le secret professionnel, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 29.

[6] Cass. 13 mai 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1165 et obs. Y. HANNEQUART, R.C.J.B., 1989, p. 588 et obs. A. DE NAUW ; voyez également Corr. Charleroi, 25 mars 1997, J.L.M.B., 1997, p. 1167, Mons (ch. mises acc.), 22 novembre 1996, R.D.P., 1997, p. 575 et Cass., 4 décembre 1996, J.L.M.B., 1997, p. 487 : il s'agissait d'un médecin qui s'était vu confier le cas d'un maniaque sexuel, animé par des pulsions irrépressibles à l'égard un enfant d'une douzaine d'années ; le malade avait refusé de poursuivre le traitement, avait quitté l'établissement où il séjournait et était rentré dans son milieu; après plusieurs tentatives amiables, le médecin l'avait finalement dénoncé aux autorités. A. DAMIEN cite également le cas d'un avocat qui, se rendant compte à la réception d'un jugement retirant à son client le droit de garde sur son fils, que ce client risquait fort d'attenter aux jours de son enfant, décida d'alerter les forces de l'ordre, lesquelles purent, grâce à une intervention rapide, sauver l'enfant qui venait d'absorber un liquide empoisonné (Le secret nécessaire, p. 123).  Pour un commentaire récent de ces principes, voyez D. KIGANAHE, « La protection pénale du secret professionnel, in Le secret professionnel, Namur, AJN et La Charte,  p. 56.

[7]  op. cit., p. 1170 ; voyez également les commentaires d'A. DAMIEN à propos de la même décision, op. cit., p. 121.

[8] Affaire James Jones vs John Smith and Southam Inc., 25 mars 1998, commentée par S. ROUSSEl et P. LANDRY, « La divulgation du secret professionnel », J.T., 1999, p. 696. La motion votée par la C.B.F.G. le 24 mars 2001 insiste également sur ces critères pour définir le champ de l’état de nécessité qui justifierait une violation du secret professionnel (voyez ci-après, note 20).

[9] Moniteur belge du 17 mars 2001.

[10] La France a introduit une disposition comparable dans son droit positif. La loi du 2 janvier 2004 relative à la protection de l’enfance modifie l’article 226-14 du code pénal et emporte plusieurs exceptions au secret médical. Contrairement au texte belge, le texte français ne semble pas ériger l’imminence et la gravité du péril en conditions de l'exception. Il repose sur des éléments objectifs : maltraitance, sévices ou privations, dangerosité. Voyez, pour un premier commentaire,  L. DELPRAT, « La loi du 2 janvier 2004 relative à la protection de l’enfance et le secret médical », Gaz. Pal., 3 mars 2004, p. 11. Le texte antérieur, qui datait du 22 juillet 1992, emportait déjà des dérogations similaires.

[11] Cass. 19 janvier 2001, J.T., 2002, p. 9 ; Cass., 7 mars 2002, R.G.D.C., 2002, p. 54.

[12] La conception relative du secret a été clairement affirmée par la Cour d’arbitrage, à deux reprises, au cours des dernières années, d’abord par son arrêt du 3 mai 2000 (J.L.M.B., 2000, p. 868, à propos de la loi sur le règlement collectif de dettes, qui interdisait aux avocats de se retrancher derrière le secret professionnel pour refuser de répondre aux demandes du tribunal ou du médiateur de dettes au sujet des informations qu’ils détenaient quant à l’état de fortune de leurs clients), ensuite par son arrêt du 24 mars 2004 (J.L.M.B., 2004, p. 1080, à propos de la loi sur les faillites qui imposait aux curateurs de déposer au dossier une déclaration relatives aux conflits d’intérêts).

[13] Voyez P. LAMBERT, Le secret professionnel, p. 27. Voyez aussi, par exemple, P. VAN NESTE, « Kan het beroepsgeheim absoluut genoemd worden ? », R.W., 1977-1978, 1281 ; L. DE CAEVEL et P. DEPUYDT, « Le secret professionnel de l’avocat à l’égard de l’assureur », Rev. Dr. ULB, 2000,  p. 41 ; P. LAMBERT, « Le secret professionnel de l’avocat et les conflits de valeur », J.T., 2001, p. 620 ; G.A. DAL, « Le secret professionnel de l’avocat en Belgique », in Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen, p. 9. Voyez également Anvers, 18 septembre 2000, Rev. Dr. Santé, 2000-2001, p. 290, qui se fonde explicitement sur le conflit entre secret professionnel et le principe des droits de la défense pour exiger la production de protocoles de prises de sang, qu’un centre de transfusion sanguine refusait de produire, alors que sa responsabilité était mise en cause pour faute commise au moment de cette prise de sang. La Cour note que le patient avait renoncé expressément au secret professionnel et qu’en prétendant taire les noms des personnes qui ont pris part à la prise de sang, le centre de transfusion détourne le secret de la nécessité sociale en laquelle il trouve son fondement.

[14] Au Canada, il est constant que le secret professionnel de l’avocat n’est pas absolu et qu’il peut céder devant d’autres impératifs. Un arrêt récent de la Cour suprême du Canada nous en donne une bonne illustration. Il est admis au Canada que le droit au secret professionnel peut s’effacer devant le droit de l’accusé à une défense pleine et entière. En l’occurrence, un prévenu sollicitait la production des correspondances échangées entre un de ses accusateurs et l’avocat de ce dernier. Selon lui, la chronologie particulière des révélations de cet accusateur, qui avait d’abord consulté un avocat, avant de déposer plainte, puis d’engager une procédure civile, jointe à des variations dans ses dépositions, affectait la crédibilité des accusations et il était important de prendre connaissance des premiers échanges entre l’accusateur et son conseil.

La Cour rejette la requête. Elle rappelle qu’en principe, le secret ne doit céder que s’il y a un « risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée ». Dans une première étape, il appartient donc au juge de déterminer si c’est bien l’innocence du prévenu qui est en jeu, à l’exclusion de considérations relatives à l’application de circonstances atténuantes ou à l’appréciation de l’ampleur des faits et si les éléments dont on demande la production sont susceptibles d’éclairer le tribunal sur ce point. Dans une seconde étape, le juge examine les pièces du dossier et n’ordonne la production de pièces que si, et dans la mesure où, elles sont de nature à exercer une influence sur la déclaration de culpabilité. Dans le cas qui lui était soumis, la Cour considère que les pièces dont la production était souhaitée ne pouvaient susciter de doute quant à la culpabilité même (arrêt Mc Clure, 2001 CSC 14, commenté par L. BEAUDOIN, Journal du barreau du Québec, 15 avril 2001, p. 7).

[15] Mons, 9 avril 2001, J.T., 2002, p. 409.

[16] Civ. Anvers, 7 avril 2000, Rev. Dr. Santé, 2004-2005, p. 126. Voyez aussi les autres décisions prononcées dans la même affaire qui, sur ce point, confirment le jugement : Anvers, 14 juin 2001, Cass., 2 octobre 2002, Gand, 28 novembre 2003, civ. Anvers, 22 octobre 2004, Rev. Dr. Santé, 2004-2005, p. 128, 131, 133, 136, et obs. T. BALTHAZAR, « Het gedeeld beroepsgeheim is geen uitgesmeerd beroepsgeheim ».

[17] M. GLANSDORFF, Les déterminants de la théorie générale de la valeur, cité par P. LAMBERT, Le secret professionnel, p. 3O ; voyez aussi, M. van de KERCHOVE, op. cit., p. 12.

[18] G. CANIVET, « Réflexions sur le secret professionnel », Gaz. Pal., 19 février 2005, p. 64-65.

[19] M.A FRISON-ROCHE, « Critères des intérêts et secret professionnel », Gaz. Pal., 19 février 2005, p. 78-81.

[20] Témoignent de cet attachement des avocats à la théorie du secret absolu les motions récemment votées lors du Congrès du 24 mars 2001 de la Conférence des barreaux francophones et germanophone (« Sans préjudice des droits propres du justiciable, l’avocat est tenu de manière absolue au secret professionnel. Il ne peut y être porté atteinte qu’en cas de circonstances exceptionnellement graves, en présence desquelles aucune autre solution ne semble envisageable, comme par exemple la mise en cause immédiate et directe de la sécurité publique ou le danger imminent de mort ou de blessures graves… ») et par le Syndicat des avocats de France (« Le secret professionnel de l’avocat comme celui du médecin ou du ministre d’un culte a un caractère absolu. Son détenteur ne peut en être relevé, même par l’auteur de la révélation… », La lettre du Syndicat des avocats de France, mars 2000, p. 21). En faveur du caractère absolu du secret, voyez encore deux décisions récentes émanant de juges de fond : Corr. Bruxelles, 20 février 1998, J.T., 1998, p. 361, Jour. Proc., 6 mars 1998, p. 11, A.J.T., 1998-1999, p. 65 ; Trav. Nivelles, 25 novembre 1998, J.T.T., 1999, p. 204. Le tout récent Règlement intérieur unifié (R.I.U.) des barreaux de France, comme avant lui le Règlement intérieur harmonisé (R.I.H.) et le Règlement intérieur du barreau de Paris, affirme aussi que « Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps » (article 2.1).

[21] La place réservée au secret professionnel varie de façon notable suivant les systèmes juridiques. C’est que le secret professionnel ne constitue pas un droit, mais une technique, un procédé, un moyen pour assurer la protection des droits des citoyens. Il est dès lors logique que la place qui lui est réservée dépende d’un complexe d’autres normes qui définissent les règles de procédure dans un système juridique. C’est d’ailleurs cette diversité qui explique que la protection du secret professionnel ne soit pas expressément inscrite dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Voyez, sur cette question, P. LAMBERT, « La protection des confidences du client à son avocat, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme », Liber amicorum Jozef Van Den Heuvel, p. 75.  Pour un regard sur la situation dans les systèmes anglais et américain, voyez G.A. DAL, « Les fondements déontologiques du secret professionnel », in Le secret professionnel, AJN et la Charte, 2002, p. 102 ; Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen, actes du colloque organisé à Anvers les 17 et 18 octobre 2002, Larcier, 2003.

[22] arrêt Erdem du 5 juillet 2001. En revanche, la Cour a, à plusieurs reprises, condamné des Etats qui interceptaient les correspondances échangées entre détenus et avocats sans démontrer que ces restrictions à la liberté de s’entretenir librement avec son conseil étaient justifiées par la nécessité de la répression des infractions, proportionnées au but poursuivi et assorties de garanties procédurales strictes, passant nécessairement par l’intervention d’un magistrat : voyez, notamment, arrêts Golder / Royaume-Uni du 21 février 1975, Klass et autres / R.F.A. du 6 septembre 1978, Campbell et Fell / Royaume-Uni du  28 juin 1984, Schoenenberger et Durmaz / Suisse du 20 juin 1988, Fox, Campbell et Hartley / Royaume-Uni du 30 août 1990, S. / Suisse du 28 novembre 1991, Campbell / Royaume-Uni du 25 mars 1992, A.B. / Pays-Bas du 29 janvier 2002.

 

[23] C.E.D.H., 24 juin 2004, Jour. Proc., 2004, n° 495, p. 21 et obs. F. JONGEN.

[24] Voyez aussi, dans le même sens, Paris, 10 juin 2004, Gaz. Pal., 10 décembre 2004, p. 18 : un journaliste et le journal auquel il appartient sont condamnés pour avoir publié, sans son consentement, des informations relatives à l’appartenance d’une personne à la franc-maçonnerie. La Cour énonce que « les personnes qui jouent un rôle dans la vie publique ont droit à la protection de la vie privée, sauf dans les cas où celle-ci peut avoir des incidences sur la vie publique ».

[25] Voyez circulaire du parquet général C.6/87D767 Cir.-L.G. du 5 mai 1987, reproduite dans Cahiers de déontologie, Barreau de Liège, n°5, mai 2001.

[26] Tel est le cas, notamment, au barreau de Bruxelles. Voyez, sur ce point, S. D’ORAZIO, « Cabinet d’avocat… « Asyle sacré » ou banque d’information », Jour. Proc., 2004, n° 479, p. 22.

La situation est, généralement moins favorable dans les autres états européens : voyez P. VANDERVEEREN, « Le secret professionnel : réflexions et comparaison », La lettre des avocats du barreau de Bruxelles, 1998, p. 44 et 45. La Cour européenne des droits de l'homme ne sanctionne les perquisitions dans les cabinets d'avocat que si elles empiètent "sur le secret professionnel à un degré disproportionné" (16 décembre 1992, Rev. Trim. Dr. Hom., 1993, p. 467 et obs. P. LAMBERT et F. RIGAUX ; voyez aussi ci-avant, section 2). En France, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits de la victime vient de modifier les principes en cette matière. Elle institue un nouveau magistrat, le juge des libertés et de la détention, communément appelé « juge du secret », qui, parmi ses compétences, a celle de déterminer si un document est ou non couvert par le secret professionnel et s’il peut, dès lors, être versé au dossier répressif. Le droit allemand connaît une institution similaire.

[27] 16 décembre 1992, J.T., 1994, p. 66 ; R.T.D.H., 1993, p. 467.

[28]  5 juillet 2001.

[29] Liège (ch. mis. acc.), 26 février 2004, Jour. Proc., 2004, n° 479, p. 19 et obs. S. D’ORAZIO, « Cabinet d’avocat … « Asyle sacré » ou banque d’information ». Dans le même sens, P. LAMBERT, « Le secret professionnel de l’avocat et les conflits de valeur », J.T., 2001, p. 61.

[30] Cet arrêt vient d’être confirmé par la Cour de cassation (9 juin 2004, R.G. 04/424), mais il est difficile d’y voir un arrêt de principe, dans la mesure où la Cour note que le requérant « n’allègue pas que les perquisitions auraient eu lieu (à son cabinet) et à son domicile privé en dehors de la présence d’un juge d’instruction et d’un représentant du bâtonnier, mais invoque leur irrégularité à raison du fait que certaines pièces saisies étaient couvertes par le secret professionnel », ce dont il n’y a pas à juger pour l’instant, l’appréciation du juge d’instruction étant provisoire et susceptible de contrôle par les juridictions d’instruction et de jugement.

[31] Qu’il s’agisse de pratiquer des écoutes téléphoniques, des écoutes directes, des observations avec moyens techniques, des contrôles visuels discret ou des infiltrations, les garanties prévues sont, à chaque fois, identiques : seul un juge d’instruction a le pouvoir d’ordonner pareille mesure ; l’avocat (ou le médecin) est lui-même soupçonné d’avoir commis une infraction prévue à l’article 90ter du code d’instruction criminelle ou une infraction commise dans le cadre d’une organisation criminelle visée à l’article 324bis du code pénal ou des faits précis permettent de présumer que des tiers soupçonnés d’une de ces infractions utilisent la résidence ou le cabinet d’un avocat(ou d’un médecin) pour les commettre ; le bâtonnier (ou le représentant de l’ordre provincial des médecins) doit être préalablement averti (voyez, pour plus de détails, A. JACOBS, « Les méthodes particulières de recherche – Aperçu de la loi du 6 janvier 2003 », in Actualités de droit pénal et de procédure pénale, Formation permanente CUP, vol. 67, décembre 2003, p. 85).

[32] Corr. Bruxelles (ch. cons.), 10 juin 2004, Jour. Proc., 2004, n°489, p. 28 et obs. J.M. DERMAGNE.

 

[33] Bruxelles, 21 juin 1978, J.T., 1979, p. 29 ; pour un autre cas d'application, voyez Corr. Bruxelles, 20 février 1998, Jour. Proc., 1998, n°344, p.11 avec les obs. de P. LAMBERT et Y. HANNEQUART.

[34] Bruxelles, 25 juin 2001, J.T., 2001, p. 735.

[35] Voyez A. SADZOT, « Les droits des citoyens, des victimes et des inculpés », La loi du 12 mars 1998 réformant la procédure pénale, Liège, CUP-ULg, 1998, p. 306.

[36] Voyez article 32 de la Constitution, loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration fédérale, décret du 22 décembre 1994 de la Communauté française, décret du 30 mars 1995 de la Région wallonne, décret du 16 octobre 1995 de la Communauté germanophone, …. Tous ces décrets et lois instituent une Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) chargées de statuer sur les recours introduits par les citoyens contre les refus de communication de documents administratifs qui leur seraient opposés par les administrations concernées. Les décisions de ces CADA sont susceptibles de recours au Conseil d’Etat. Voyez pour plus de détails, P. LEWALLE, Contentieux administratif, Liège, 2002, Première partie, Chapitre 2, Section I, § 4, « La transparence administrative ».

 

[37] En ce sens, Conseil de l’ordre français des avocats de Bruxelles, Lettre du Bâtonnier, 22 février 2000, p. 253. Un ancien arrêt du Conseil d’Etat, antérieur au mouvement de la transparence administrative, décide également que le secret professionnel fait obstacle à ce qu’une consultation adressée à une administration par son avocat soit versée au dossier administratif (arrêt n° 8.645 du 8 juin 1961, Delhauteur, J.T., 1962, p. 171, avec avis conforme de Ch. HUBERLAND). Voyez, pour plus de détails sur cette question, P. HENRY, « Les consultations des avocats sont-elles, par nature, confidentielles ? », J.L.M.B., 2002, p. 115.

[38] Voyez, sur ce point, M. BENICHOU, « Quel secret pour les acteurs judiciaires ? », Gaz. Pal., 18 février 2005, p. 68.

[39] En ce sens, Cour suprême du Canada, Descoteaux/Mierzwinski, cité dans Le journal du barreau du Québec, 15 janvier 2004, vol. 36, n°1, p. 9.

[40] Jo STEVENS considère, quant à lui, que le dilemme ici dénoncé n’en serait pas un. Selon lui, « il est inexact ou, à tout le moins, incomplet de dire qu’en vertu du secret professionnel auquel il est tenu, l’avocat ne peut, à un quelconque stade de la procédure, faire état des confidences reçues de son client. C’est oublier le caractère paradoxal du secret. Il y a dans toute affaire, des confidences que l’avocat, pour la défense de la cause du client et en exécution de la mission qu’il a accepté, doit rendre publiques au tribunal, aux autorités, aux condrères. Le client le sait et, s’il l’ignore, son avocat doit le mettre au courant. Dans le cadre de l’aide judiciaire, l’avocat a l’obligation légale de s’intéresser à la situation financière de son client, et d’en faire part aux autorités. Il ne s’agit donc pas de données couvertes par son secret professionnel, et il doit avertir son client de cet état de choses » (J. STEVENS, « Réglementation d’un autre ordre : le point de vue de l’O.V.B. », in Déontologie : évolutions récentes et application pratiques, après-midi d’étude du 16 mai 2003, p. 57).

Je ne puis partager cette opinion, en tout cas totalement. Si l’on peut éventuellement admettre que l’avocat désigné qui rencontre son client pour la première fois et, sur à la question qu’il pose – en précisant que la réponse ne sera pas couverte par le secret - relativement aux conditions d’octroi de l’aide, reçoit une information qui montre que ces conditions ne sont pas réunies, puisse communiquer ce renseignement au B.A.J., il n’en va pas de même si le renseignement est, ultérieurement, communiqué sous le sceau de la confidence dans le cadre de l’élaboration de la défense. Révéler l’information serait alors trahir la confidence reçue et présumer, de façon générale, que, par le simple fait qu’il a sollicité l’aide juridique le client a, par avance, accepté cette levée du secret professionnel ne me semble pas acceptable. C’est d’ailleurs, mutatis mutandis, en se fondant sur ce raisonnement que la Cour d’arbitrage a sanctionné l’article 1675/8, alinéa 2, du code judiciaire qui consacrait la même exception en matière de règlement collectif de dettes (Cour d’arbitrage, 3 mai 2000, J.L.M.B., 2000, p. 868 ; R.G.D.C., 2002, p. 452 et obs. A. THILLY, « Une victoire pour le secret professionnel ? » ; voyez aussi les commentaires que G.A. DAL consacre à cet arrêt : G.A. DAL, « Le secret professionnel de l’avocat en Belgique », in Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen, p. 6).

[41] La Tribune, n°12, septembre 2003, p. 14.

[42] L. DE CAEVEL et P. DEPUYDT, « Le secret professionnel de l’avocat à l’égard de l’assureur », Rev. Dr. ULB, 2000, p. 53 et suivantes.

[43] Soit l’avis est positif et l’assureur est alors tenu de prendre en charge les honoraires de l’avocat ; soit il est négatif et l’assureur ne sera tenu que si l’assuré, passant outre, décide néanmoins d’entreprendre l’action et aboutit à un résultat favorable.

[44] M. WAGEMANS, Recueil de règles professionnelles – Barreau de Bruxelles, 1999, p. 346.

[45] P. DEPUYDT, « Erelonen en deontologische aspecten », in Verzekeringen en gerechtelijke procedures, 1996, p. 171.

 

[46] Voyez la résolution du conseil de l’ordre des avocats de Bruxelles du 25 avril 1972 : « Ne viole pas le secret professionnel, l’avocat qui fournit des renseignements à l’assureur de sa responsabilité professionnelle, pour autant qu’il ne révèle que ce qui est strictement nécessaire à la défense de ses intérêts. En cas de doute, le bâtonnier sera consulté ».

[47] Cass. 2 septembre 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1329, et obs. D. PHILIPPE et M. GOUDEN, « Les honoraires d’avocat et les frais d’expert constituent un élément du dommage » ; R.N.B., 2004, p. 471 et obs. D. STERCKX, « Des frais et honoraires d’avocat et de conseil technique comme élément du dommage » ; J.T., 2004, p. 684, et obs. B. DE CONINCK, « Répétibilité et responsabilité civile : un arrêt de principe » ; R.G.A.R., 2005, 13946, avec les conclusions de l’avocat général A. HENKES ; R.W., 2004-2005, p. 535, avec les conclusions de l’avocat général A. HENKES ; voyez aussi les commentaires de J. ENGLEBERT, « Répétibilité des honoraires d’avocat – Non, la Cour de cassation n’a pas (encore) admis le principe ! », Jour. Juriste, n° 35, 19 octobre 2004, p. 4, et ceux de F. GLANSDORFF, « La prise en charge des honoraires d’avocat : un important arrêt de la Cour de cassation », Jour. Proc., 2004, n° 486, p. 4. Pour une analyse des principales questions, théoriques et pratiques, soulevées par cet arrêt, voyez V. CALLEWAERT et B. DE CONINCK, « La répétibilité des honoraires d’avocat après l’arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004 : responsabilité et assurances », R.G.A.R., 2005, 13944 ; G. CLOSSET-MARCHAL et J. Fr. van DROOGHENBROECK, « La répétibilité des honoraires d’avocat à l’aune du droit judiciaire », R.G.A.R., 2005, 13945 ; C. PARMENTIER, « Le caractère nécessaire de l’intervention de l’avocat, condition de la répétibilité des frais de défense », J.L.M.B., 2005, p. 678.

[48] « Répétibilité et secret professionnel : le nœud gordien », J.L.M.B., 2005, p. 702.

[49] Liège, 14 décembre 2004 (deux arrêts), J.L.M.B., 2005, pp. 687 et 689, et obs. D. DESSARD et J. TRICOT, « Répétibilité : appréciation ex aequo et bono : un moindre mal ? ».

[50] Pour de plus amples développements sur cette question, voyez A. MASSET, « Devoir de conseil de l’avocat et blanchiment », in Déontologie. Les honoraires, le devoir de conseil, Ed. du Jeune barreau de Liège, 2005, non encore publié au moment où ce rapport est achevé.

[51] Lettre du bâtonnier, Paris, 10 avril 2001, p. 99. C’est aussi sur ces principes et idées qu’insistait F. GLANSDORFF dans une communication (« Les avocats ne sont ni délateurs, ni complices », Le Soir, 7 juin 2001, et La tribune, 2001/2, p. 14 ; voyez également T. AFSCHRIFT, « Des avocats vont-ils dénoncer leurs clients ? », Jour. Proc., 2002, n° 429, p. 8).

[52] Aussi le débat reste-t-il ouvert. D’une part, la Commission vient de déposer le texte d’un nouveau projet de directive qui va à la fois plus et moins loin que la première. D’autre part, prenant appui sur des prises de position du C.C.B.E. et sur un arrêt de la Cour suprême du Canada (Lavallée, Rackel & Heintz / Canada, 12 septembre 2002, RCS 209.2002 CSC 61) qui déclare des dispositions similaires inconstitutionnelles car elles sont en contradiction avec la nécessaire indépendance que les avocats doivent conserver vis-à-vis du pouvoir exécutif, différents barreaux ont saisi le Parlement européen d’une pétition, qui vient d’être déclarée recevable par le Parlement européen, ce 30 septembre 2004 (voyez, pour un dernier état de la question, E. DE LAMAZE, « Le droit au secret et à l’indépendance des avocats », Gaz. Pal., 8 octobre 2004, p. 2 ; M. BENICHOU, « Quel secret pour les acteurs judiciaires ? », Gaz. Pal., 18 février 2005, p. 68-69).

[53] Il faut être attentif au fait que la directive laisse aux Etats membres une certaine liberté dans la mise œuvre des principes qu’elle trace. Les avocats qui collaborent ou sont associés avec d’autres professionnels, pratiquant dans d’autres Etats de l’Union, seront donc attentifs au fait que les réglementations nationales varient et qu’elles ne sont pas toutes aussi favorables que la nôtre.

 

[54] Ce mot doit être entendu au sens large, comme couvrant les procédures judiciaires sensu stricto, mais aussi les procédures fiscales, administratives, arbitrales, etc.

[55] Est-il besoin de préciser que, comme l’écrit Cl. DUCOULOUX-FAVARD (« Les règles sur le blanchiment prennent forme en jurisprudence », Gaz. Pal., 10 mars 2004, p. 6), la déclaration de soupçon ne constitue pas une excuse absolutoire en cas de concertation frauduleuse entre l’avocat et son client. Il ne faut donc pas trop tarder avant d’adresser sa déclaration de soupçon…

 

[56] L’O.B.F.G. et l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles ont introduit un recours en annulation contre les articles 4, 27, 30 et 31 de la loi. Il est actuellement pendant au rôle de la Cour d’arbitrage sous le n° 3064. L’O.V.B. a fait de même à l’égard des articles 4, 5, 7, 25, 27, 30 et 31 (n° 3065).

 

[57] Voyez, à cet égard, l’arrêt de la Cour d’arbitrage du 3 mai 2000 (J.L.M.B., 2000, p. 868), déjà cité note 12. Au moment où ce rapport est finalisé, j’apprends qu’un projet de loi discuté à la chambre réintroduit la disposition annulée, sous une forme édulcorée. Le texte initial de l’article 1675/8 du code judiciaire prévoyait que le médiateur de dettes pouvait solliciter du juge que celui-ci ordonne à tout tiers de « fournir tous renseignements utiles sur des opérations accomplies par le débiteur et sur la composition et la localisation du patrimoine de celui-ci », en précisant que « le tiers soumis au secret professionnel ou au devoir de réserve ne peut se prévaloir de celui-ci ». La Cour d’arbitrage a, sur recours des Ordres de Bruxelles français et de Liège, annulé cette disposition, en ce qu’elle concerne les avocats, en se fondant sur la motivation suivante : « Si cette exception est justifiée par une renonciation implicite à laquelle procéderait le requérant en introduisant sa demande, il faut constater que cette renonciation, présumée, anticipée, et accomplie sans que celui qui la fait ne puisse évaluer sur quel objet précis elle portera et si elle n’est pas, éventuellement, contraire à ses intérêts, ne peut justifier, au même titre que la théorie de l’état de nécessité ou du conflit de valeurs, une atteinte de cette ampleur à la garantie que représente le secret professionnel ». Le nouveau projet prévoit que, face à pareil demande du médiateur, il appartient au juge de décider ou non de l’opportunité de lever le secret professionnel, après avoir reçu les observations des tiers sollicités, par écrit ou en chambre du conseil. Cette garantie me paraît tout à fait insuffisante. Tout d’abord, elle ne rencontre pas l’objection de la Cour d’arbitrage. Le contrôle du juge sur l’opportunité de la levée du secret professionnel est ainsi amener à suppléer l’absence de renonciation du débiteur au bénéfice du secret. Ensuite, elle ignore le droit au silence qui a toujours été reconnu à l’avocat et auquel la seule exception à ce jour est précisément la loi sur la prévention du blanchiment, que je viens d’examiner, et qui, pour cette raison, fait l’objet de nombreux recours. Enfin, il faut être conscient que si cette exception est introduite dans notre droit en matière de règlement collectif de dettes, on ne voit vraiment pas la raison pour laquelle elle ne le serait pas aussi en matière d’excusabilité, d’aide juridique, de sécurité sociale, de subventions publiques... Exit le secret professionnel ?

[58] Le secret dont je parle ici est le secret professionnel ou le secret de la vie privée, soit celui que l’individu souhaite opposer au pouvoir, et non, bien sûr, celui dont s’entoure le pouvoir. Sur l’inversion des rapports entre secret et transparence dans les pays démocratiques et totalitaires, voyez les conclusions de Guy Haarscher.

[59] C. RAOULT, « Le secret professionnel… encore ! », Gaz. Pal., 28 février 2003, p. 9.

[60] Dans Totalité et infini, cité par J.D. BREDIN, op. cit.

[61] C. PERELMAN, « L’usage et l’abus de notions confuses », in Etudes de logique juridique, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 3, cité par P. LAMBERT, « La protection des confidences du client à l’avocat… », op. cit., p. 77. Voyez aussi J. VERHAEGEN, « Notions floues et droit pénal », J.T., 1981, p. 389.

[62] S. TISSERON, Nos secrets de famille, Paris, Arthaud, 2004, cité par J. LACOUTURE, Eloge du secret, Bruxelles, Labor, 2005, p. 10.

[63] C’est sur la base de ce type de considérations que la Cour européenne des droits de l’homme assied le secret professionnel. Voyez son arrêt Niemetz, 16 décembre 1992, § 37. Voyez aussi l’arrêt Wouters, du 19 février 2002.

[64] P. LAMBERT, « La protection des confidences du client à son avocat, au regard de la Convention européennes des droits de l’homme », in Liber amicorum Jozef Van Den Heuvel, p. 82. Voyez déjà, V. REMACLE, De l’obligation au secret professionnel, Lyon, 1900.

[65] G. CANIVET, « Réflexions sur le secret professionnel », Gaz. Pal., 18 février 2005, p. 57.

[66] Discours prononcé lors de la séance solennelle de rentrée de la Conférence du stage et du barreau de Paris, le 19 novembre 1999. V. REMACLE (De l’obligation au secret professionnel, Lyon, 1900, cité par P. LAMBERT, ibidem, p. 82) écrivait déjà que sans la confiance totale que le client peut, en raison de l’existence de l’obligation au secret, accorder à son avocat, les communications entre eux seraient mêlées de réticences et de mensonges. Il n’y aurait alors plus qu’un simulacre de défense, préparant un simulacre de Justice. C’est ainsi, encore, que David T. MORGAN rappelle que toute atteinte au secret professionnel risque surtout de détourner les justiciables des cabinets d’avocats et d’ainsi porter atteinte à des droits fondamentaux, tels l’accès à la justice ou les droits de la défense. Toute érosion du secret professionnel risque de réduire le rôle de l’avocat à celui d’un simple informateur de la police… (D. T. MORGAN, « The threat to the professionnal secrecy of lawyers in Europe », in Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen, p. 172.

[67] Sur ce thème, voyez, par exemple, les réflexions de Christian Panier, in C. PANIER et J.J. JESPERS, Justice, médias, pouvoir : un triangle infernal, Bruxelles, Labor, 2004, sp. pp. 123 et 132.

[68] J. LACOUTURE, Eloge du secret, op. cit., p. 124.

[69] également cité par Jean LACOUTURE, op. cit., p. 67.

[70] Cité par B. BEIGNIER, « Quel secret pour les acteurs judiciaires ? Propos introductifs », Gaz. Pal., 18 février 2005, p. 56.

[71] 2 février 2005.

[72] C’est aussi ce qu’explique, avec beaucoup de clairvoyance, Guy Haarscher dans ses conclusions, en distinguant la « bonne transparence » (celle du « bas-les-masques »), qui donne la faculté de penser, parce qu’elle affranchit l’individu en lui permettant d’exprimer son esprit critique, de la « mauvaise transparence » (celle du « bas-les-slips »), qui ne fait qu’avilir l’individu en lui jetant en pâture des images qui ne flattent que sa curiosité malsaine.

 

in L’avocat et la transparence, Bruylant, 2006, pp. 9-44

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