Prête-moi ta plume

  • Le dictionnaire de ma vie, par Eric Dupond-Moretti

    Le dictionnaire de ma vie, par Éric Dupond-Moretti, avec Laurence Monsénégo, Kero, 2018, 228 p., 19,40€.

    « Hormis quelques interviews, il ne subsistera rien de mes plaidoirie, de mes trente-trois années de barreau. Là réside la beauté de ce geste éphémère, un brin magique : un homme se lève, en défend un autre puis repart. J’entre dans la vie des gens que je défends, je veux pouvoir en sortir ensuite. Du reste, rares sont les clients avec lesquels j’ai conservé des relations, peut-être y en a-t-il cinq … Je me suis engouffré par effraction, sur une injustice, j’ai fait le job, la personne tente de reprendre le cours ordinaire de sa vie : il est normal que je file ».

    C’est le destin des avocats. Mais celui-ci n’est pas n’importe quel avocat. Il a de la gueule, de l’indignation. Certains lui prêtent du courage. Il le réfute : « J’ai côtoyé une avocate tunisienne qui m’a dit admirer mon courage, ce à quoi j’ai répondu que lorsque je poussais un coup de gueule je ne risquais qu’un papier dans Libération, quand pour elle c’était la prison. Qu’aurais-je fait en 1942 ? Je n’ai naturellement pas de réponse, comme qui que ce soit d’ailleurs. Ma grand-mère paternelle a caché deux enfants juifs dans sa ferme du nord de la France, ça c’est du courage. Dénoncer une injustice, dire d’un juge qu’il se tient mal, d’un flic qu’il fait mal son boulot, ce n’est pas du courage, c’est la moindre des choses … ».

  • Le magasin jaune, par Marc Trévidic + Compte à rebours

    Le magasin jaune, par Marc Trévidic, JC Lattès, 2018, 320 p., 21,70€.

    Compte à rebours, 1. Es-Shadid, par Marc Trévidic, Matz et Giuseppe Liotti, Rue de Sèvres, 60 p., 15€.

     

    « Dans le magasin jaune, les jouets ignorent la peur. Ils ont connu tant d’invasions, tant de guerres, tant d’empire qui se font et se défont, tant de dictatures et de crime…

    Dans le magasin jaune, les jouets savent qu’il faut, à tout instant de la vie, se jouer de la mort ».

    C’est l’histoire d’un magasin de jouets, dans le Paris de l’entre-deux-guerres. Lui, Gustave, est jurassien. Elle, Valentine, est bretonne. Leur fille, que l’on surnomme Quinze, sera parisienne.

    Le père de Gustave a été tué à la guerre, le 10 novembre 1918. Ce n’est pas anodin.

    C’est d’abord l’histoire de la reconstruction, l’essor du magasin jaune, au sein d’un rue populaire de Montmartre, dont le poumon est Le coup du rouquin, l’estaminet du coin, animé par une sorte de colosse philosophe qui se fait appeler Socrate.

    Puis monte la menace, les extrémismes. Un jour de manifestation, un jeune homme ensanglanté se réfugie parmi les jouets, brisant la frontière entre rêve et réalité.

    Et arrive la guerre. 

  • Le déficit des années antérieures (fictions), par Eric Thérer

    Le déficit des années antérieures (fictions), par Eric Therer, Eastern Belgium at night, 2017, 56 p., 7€.

    « Attendu que dans le courant de l’année 1952, il fut procédé à la destruction de maisons bordant la Place Albert Ier et donnant sur le nouveau Boulevard Joseph Thirou dont le tracement avançait à bonne cadence.

    Qu’au début du mois d’avril 1952, un riverain du nom de Francis Kesteloot, propriétaire d’une de ces demeures, refusa qu’il soit procédé à la destruction de son immeuble alors que les immeubles voisins avaient déjà été en tout ou partie détruits.

    Qu’il fit dire au chef de chantier dépêché sur place qu’il n’entendait pas quitter sa maison et que malgré la présence des grues il ne libérerait pas les lieux ».

    Ce petit livre aurait aussi pu s’appeler « Nouvelles histoires ordinaires ». Un riverain qui refuse de quitter sa maison expropriée parce qu’il voue un culte morbide à sa femme décédée. La filature et la fouille de la résidence d’un homme au comportement intrigant. La descente sur les lieux d’un accident entre deux automobiles et un cerf de deux policiers incompétents. L’achat par une dame d’une paire de draps de lit qu’elle souhaite offrir à son fils, domicilié en Alabama et dont le beau-frère est membre d’un groupe portant des couvre-chefs.

  • Pourquoi libérer Dutroux ? par Bruno Dayez

    Pourquoi libérer Dutroux ? par Bruno Dayez, Ed. Samsa, 116 p,, 16 €,

    « Si nous continuons avec la même obstination à envoyer des hommes et des femmes en prison en refusant de voir ce qu'il en advient et qu'on les y laisse dépérir lentement mais sûrement, nous faisons preuve d'un aveuglement collectif qui engendre une bonne partie des maux dont nous disons pâtir. Qu'espérons-nous tirer comme véritable avantage du maintien en activité de ces lieux occultes où des milliers de personnes en sont réduites à l'état d'objet, complètement dépourvues de la plus petite possibilité d'agir sur leur propre destin ? La récidive que le public semble appréhender par-dessus tout, c'est le système carcéral qui la provoque en bonne partie. La condition pénitentiaire est à ce point aux antipodes de ce qu'est une existence authentiquement humaine qu'elle compromet durablement l'accession au statut d'homme libre qu'elle est théoriquement chargée de favoriser ».

     

  • La parole est un sport de combat, par Bertrand Périer

    La parole est un sport de combat, par Bertrand Périer, JC Lattès, 2017, 226 p., 18 €.

    « Les premiers rires fusent. Je les espérais. Rien n’est pire que de dire un texte que l’on a cru drôle en l’écrivant, et qui ne suscite pas le moindre rire dans l’assistance. J’ai l’impression confuse que le public me suit, et je me détends. Pour la première fois de ma vie, je me sens bien en parlant, pour la première fois la parole est un plaisir, plus encore : la parole est une fête ».

    Réjouissons-nous. À l’avenir la qualité des discours de nos orateurs de rentrée, présidents de jeunes barreaux, bâtonniers, présidents, … va croître. Par la grâce de ce petit bout d’avocat timoré qui, un jour, a décidé de vaincre sa timidité et de maîtriser la parole en public. Cela l’a d’abord mené à la Conférence du stage du barreau de Paris, aux Conférences Berryer et à toutes ces joutes ludiques que nous apprécions comme un spectacle de Proust (oui, Gaspard, bien sûr, pas Marcel).

    Mais, très vite, Bertrand Périer a voulu faire autre chose de cette adresse qu’il avait durement acquise. C’est ainsi qu’il a immédiatement suivi Stéphane de Freitas lorsque celui-ci a lancé le projet Eloquentia : enseigner l’éloquence aux jeunes des banlieues parisiennes. C’était en 2013. Le succès a fait grandir l’initiative. Au point que c’est aujourd’hui, aussi, un film à succès : À voix haute.

  • Je défendrai la vie autant que vous prêchez la mort, par Samia Maktouf

    Je défendrai la vie autant que vous prêchez la mort, par Samia Maktouf, Michel Lafon, 2017, 272 p., 18,95€.

     

    « En attendant, me voici poussant la porte d’un des plus célèbres cabinets d’avocats parisiens, …

    Je fus engagée. À l’époque, ce n’était pas un miracle. Je ne me souviens pas d’avoir souffert de racisme ou de discrimination à l’embauche en ces années 1990 où je posais définitivement mes valises dans la capitale des lumières. L’époque était plutôt à l’entrée massive des étudiants des pays en voie de développement et de repartir ensuite dans leur pays d’origine, où ils intégraient l’élite. Le marché était ouvert et les mentalités dénuées de préjugés anti-musulman … ».

    C’est ainsi que s’ouvre la carrière de Samia Maktouf, jeune avocate issue de la bourgeoisie de Tunis.

    D’abord des dossiers d’affaires où elle est affrontée à un monde d’hommes blancs, où elle se forge. Puis un cabinet de pratique (quasi-)individuelle où elle se confronte à la vie des gens, « petits » délinquants, « petits » commerçants, « petites » gens, des hommes et des femmes comme vous et moi, quoi …

    Puis viennent les migrants, les SDF, toute la misère du monde. Comme Atlas, comme les jeunes avocats qui pratiquent le pro deo, elle découvre la pauvreté, la difficulté, le décrochage, l’exclusion.

  • Tyrannie, par Richard Malka

    Tyrannie, par Richard Malka, Grasset, 2018, 392 p., 25,10€.

    « Dès son entretien d’embauche, le maître perçut une évidence : son élève s’illustrerait bien plus que lui-même. Il vit en lui la machine de guerre parfaite. Le jeune avocat savait qu’il possédait une finesse intellectuelle et une soif de revanche dans laquelle il puiserait à l’infini, détermination et panache. Mais ces qualités, d’autres en disposaient et certains, davantage que lui. Ce dont son instable mentor eut l’intuition et que Raphaël ignorait lui-même, c’était une capacité instinctive, quasi-télépathique, à cerner ses interlocuteurs. Il savait ce qu’ils pensaient, ce qu’ils aimaient et détestaient, ce qu’ils attendaient et comment les faire sourire. Il s’y adaptait sans même s’en apercevoir … ».

    Ce jeune avocat brillantissime, presqu’aussi doué que le mentaliste des séries télévisées, va pourtant se faire rouler deux fois. Nul n’est parfait. Mais il vous faudra lire ce roman haletant pour savoir pourquoi et comment.

    https://gallery.mailchimp.com/d552fd66716b81b8fb8f922cc/files/2c46240c-b...ête_moi_ta_plume.pdf 

  • L'empire des choses : liberté, complexité, responsabilité, par Xavier Dieux

    L’empire des choses – Liberté, complexité, responsabilité, par Xavier Dieux, Académie royale de Belgique, 2016, 104 p., 7 €.

    « Sommes-nous en train d’assister, à notre corps défendant, à l’avènement sournois d’une ‘société sans auteur’, expression désignant sous la forme d’une métaphore une société caractérisée par un développement sans précédent des technosciences et, corrélativement, par sa complexité ou, pour le dire immédiatement dans la perspective des questions qui ne seront ici traitées que d’un point de vue juridique, une société fonctionnant comme un ‘système’, de plus en plus autonome – une société qui paraît ainsi échapper à la maîtrise des hommes et qui pose, comme telle, la question d’un effacement de la liberté, de la volonté et de la liberté individuelle » ?

    Ainsi est défini, par la première phrase de son premier chapitre (intitulé « Anthropocène et sociétalisme », c’est un programme), le projet de ce petit opuscule : scruter le développement des technosciences, intelligence artificielle, et autres internet of things, pour examiner leurs conséquences éventuelles sur l’organisation de notre société et, au-delà, notre humanité.

    Mais d’abord du point de vue juridique. Comment ces développements vont-ils marquer notre discipline et la modifier, fondamentalement, ou pas ?

  • Grandes plaidoiries et grands procès. L’art de l’éloquence depuis le XVe siècle

    Grandes plaidoiries et grands procès. L’art de l’éloquence depuis le XVe siècle, Nicolas Corato (sous la direction de), Prisma-Heredium, 3e édition, 2016, 540 pages, 39,90 euros.

    « Le juge est une sentinelle qui ne doit pas laisser passer la frontière ».

    Cette phrase, extraite d’un réquisitoire d’Ernest Pinard, prend une singulière résonnance aujourd’hui alors que des ministres n’hésitent pas à appeler des juges à refuser l’accès à notre territoire aux réfugiés qui tentent d’échapper à la guerre, aux persécutions et à la misère.

    C’est pourtant dans un tout autre contexte qu’elle a été prononcée. Le procureur Ernest Pinard requérait la condamnation de Charles Baudelaire (et de ses éditeurs) pour outrage public aux bonnes mœurs. Le procès des Fleurs du mal. Maître Chaix d’Est-Ange est à la défense mais il ne pourra éviter que Baudelaire soit condamné à une amende de 300 francs et que quelques-uns de ses poèmes (dont le somptueux Les bijoux) soient interdits de publication. Cette interdiction ne sera levée qu’en 1949, après la cassation de l’arrêt, quatre-vingts ans plus tard.

    Pinard avait le nez fin puisqu’il poursuivit aussi Flaubert pour Madame Bovary. Mais, dans ce cas, la somptueuse plaidoirie de Maître Marie-Antoine-Jules Senard lui fit échec.

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