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Vous aimez passer à la télévisions ? Vous allez être servis... - Mot du président - 17/03/2016
Du moins si vous êtes pénalistes…
Pas besoin de vous inscrire à The voice ou à Top chef.
Pas besoin non plus d’accepter une affaire médiatique et de vous précipiter sur le premier journaliste qui passe.
Il vous suffira d’être l’avocat d’un détenu.
La loi du 29 janvier 2016 (M.B. du 19 février 2016) prévoit en effet que les présidents des chambres du conseil et chambres des mises en accusation pourront recourir à la vidéoconférence pour certaines comparutions. Dans cette hypothèse la personne détenue préventivement sera invitée à assister à l’audience via un système de projection vidéo, à partir d’une salle aménagée dans la prison dans laquelle elle est retenue, tandis que les magistrats siègeront au palais de justice.
Dans quelles hypothèses ? Ce n’est pas précisé à ce stade. Nous ne savons pas encore si le recours à cette faculté sera possible pour toutes les audiences (en ce compris, par exemple, la première confirmation du mandat d’arrêt ou le règlement de la procédure). Nous ne savons pas non plus si une ordonnance motivée sera nécessaire ou si cette faculté sera réservée à des hypothèses particulières. Faudra-t-il justifier d’un péril particulier ?
L’accord du détenu sera-t-il requis ? Il ne le semble pas. Nous l’avions pourtant réclamé lors des auditions parlementaires qui ont précédé l’adoption de cette loi.
De quel côté sera l’avocat ? Au Palais, avec les magistrats et, donc, sans contact direct avec son client ? Ou auprès de celui-ci, mais alors sans contact avec les magistrats et au prix d’un déplacement qui ne fera que renchérir son intervention ?
Tous ces détails ne seront connus que lorsque l’arrêté d’application, indispensable à l’entrée en vigueur de la loi, aura été adopté.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette nouvelle faculté porte un nouveau coup à la présomption d’innocence. Comment pourra-t-on prétendre que le juge qui décide de se passer d’une comparution en personne d’un détenu au motif de sa dangerosité (qu’elle soit exprimée de façon expresse ou seulement tacite) garde son impartialité ?
Un coin de plus dans la défense des libertés.
Après Pot-pourri 2[1] et la réduction de la cour d’assises à la portion congrue, la limitation de l’opposition aux cas de force majeure ou aux motifs d’absence « valables », l’obligation de motivation de l’appel, la limitation du pouvoir d’individualisation de la peine dans certaines hypothèses (étrangers en séjour illégal, délinquants sexuels, …), la suppression de la nullité sanctionnant les écoutes téléphoniques ordonnées sans une motivation adéquate, la suppression de plusieurs ouvertures au contrôle de la détention préventive.
Avant une modification de la Constitution pour permettre le doublement et, dans le cas des infractions présumées liées au terrorisme, le triplement du délai de garde à vue ? Avant la suppression de l’interdiction (sauf flagrant délit) des perquisitions entre 22 heures et 5 heures[2] ? Avant la généralisation de la vidéoconférence en matière de protection de la jeunesse[3] ?
Le jour où, pour combattre le terrorisme, nous sacrifierons nos droits et libertés, la terreur et l’obscurantisme auront gagné. C’est le message que les barreaux européens ont voulu exprimer avec force par la Déclaration de Barcelone du 19 février 2016.
AVOCATS.BE avait exprimé des observations très négatives sur le projet de loi qui a abouti à cette consécration de l’usage de la vidéoconférence en matière de détention préventive. Nous poursuivons notre action. Nous envisageons un recours en annulation à la Cour constitutionnelle et une consultation a été sollicitée sur cette possibilité. Et nous continuerons à lobbyer auprès du Ministre de la Justice pour que l’arrêté royal d’application indispensable à l’entrée en vigueur de la loi prenne en compte nos légitimes remarques.
Mais, en attendant, prenons donc les choses en riant : vous allez pouvoir passer à la télévision…