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La rentrée de Barcelone : sagrada familia !

La Sagrada Familia me fascine. Cathédrale inachevée tendant ses flèches improbables vers le ciel dans un délire onirique, elle s’élève comme un défi à la norme, au bon sens et à la raison : reconnaissance par les hommes de la toute-puissance de Dieu ou contestation des règles immuables qu’il nous aurait fixées ? Sera-t-elle un jour terminée ? Ce n’est pas sûr mais, aujourd’hui, c’est quand même peut-être. Elle monte en tout cas, et chaque année un peu plus.

Barcelone, c’est aussi plus de 25.000 avocats, dont deux bonnes centaines fêtent, en cet an de grâce 2016, leurs vingt-cinq années de barreau, et une bonne trentaine leur jubilé professionnel. Si on y ajoute les avocats qui, pour une raison ou une autre, reçoivent des médailles qui soulignent tel ou tel mérite, cela représente un fameux défilé et, donc, une longue cérémonie agrémentée de quelques discours de circonstances, un tantinet fastidieux il faut bien l’admettre. Seules les passes d’armes (olé !) entre les ministres de la justice égaient un peu les invités qui n’ont pas de jubilaire ou de lauréat à photographier. Les ministres ? Bien sûr : un catalan et un fédéral qui, forcément, ne parlent pas la même langue…

Barcelone, c’est aussi un Mémorial, co-organisé par le barreau local et la Fédération des barreaux européens. Il porte le nom de mon père. Papa était l’ami d’Antonio Plasencia, qui est à l’origine de Trobades da Barcelona. Ceux-ci clôturent, depuis, 1984, les cérémonies de la rentrée. En souvenir de son ami tragiquement disparu, Antonio a donné son nom à ce rendez-vous annuel des bâtonniers du monde.

Le thème du jour épousait l’actualité : Asyle et sécurité dans l’U.E.

Ceux qui fuient la guerre et la mort (NB : en Syrie, la moitié de la population du pays) font ce que nous ferions tous. Les avocats doivent assurer leur protection. « C’est le sens de notre métier », assène le bâtonnier J. Oriol Rusca, en ouverture des travaux.

Le président de la F.B.E., Nazario De Oleaga, insiste sur un des enjeux du débat : si, sous la menace, nous vinculons nos libertés, les obscurantistes auront gagné. Au moment d’agir, gardons donc en tête les principes d’efficacité et de proportionnalité.

C’est à Michel Bénichou, président du C.C.B.E., que revient d’ouvrir la première table ronde. Quel feu d’artifice ! En moins de quinze minutes, il nous rend notre fierté.

Maître Jani Trias, en lui cédant la parole, affirme qu’il a la clé de la crise. Sans se désarmer, le président lui répond que la solution, c’est nous. Nous, les avocats, le droit.

Il nous donne les chiffres de l’immigration. Je n’y reviens pas. Je vous les ai resservis il y a quinze jours. Il s’élève contre toutes les murailles. Celles-ci enferment ceux qui sont à l’intérieur plutôt qu’ils rejettent ceux qui sont à l’extérieur. La muraille, c’est l’état de siège, le règne de la terreur, la perte des libertés, la civilisation policière. « Au prochain attentat, ils nous enjoindront de taire toute objection, voire toute réflexion. Ils hurleront à l’unité, réclamant de ne voir qu’un seul rang, une seule tête, fesses serrées », nous disait le philosophe François De Bernard dans la Libre du 18 février 2016.

Face à ce rouleau compresseur, il nous exhorte à faire notre office : défendre les droits, et aussi ceux des migrants. Il nous appartient d’abord de nous mettre en position de les défendre. Nous devons être sur place. Aussi dans les centres d’accueil. Aussi dans les hots spots. Là où sont ces migrants. Et nous devons obtenir de nos gouvernements les fonds nécessaires à cette assistance. Fédérons le million d’avocats européens pour obtenir ces fonds.

Après cette flamboyante entrée en matière, la température redescend quelque peu. Le bâtonnier Luis Marti Mingarro, président de l’Union internationale des barreaux latino-américains nous donne une leçon de courage en exposant l’expérience des avocats latino-américains sur les flux migratoires. Maître Orsola Gorgenyi, présidente de l’A.I.J.A., nous émeut en rapportant le témoignage d’une juge syrienne, réfugiée en Turquie après l’assassinat de son mari. Maître Elisabeth Batista, présidente de l’E.Y.B.A., appelle à la mobilisation des jeunes avocats européens pour la défense des libertés.

Dominique Attias, vice-batonnière de Paris, ouvre la deuxième table ronde en interpelant l’U.E. L’Europe a été créée pour construire la paix. Est-ce là l’action de Frontex, d’Europol, d’Eurojust ? Elle plaide pour une vraie défense européenne, s’appuyant sur une vraie carte professionnelle européenne.

Maître David Bondia, de l’Institut catalan des droits de l’homme, enfonce le clou. Les États doivent garantir le droit à la vie privée. Les droits de l’homme ne sont pas des privilèges et pourtant, aujourd’hui, ils s’enfouissent à la pelle. L’U.E. doit être au service de tous ceux qui séjournent sur son territoire, en ce compris les migrants. L’Europe des citoyens ne peut être seulement l’Europe des citoyens européens ajoute la bâtonnière de Madrid, Sonia Gumpert.

Madame Anna Terron, ancien secrétaire d’État à l’immigration, conclut par une intervention percutante. Cette crise n’est pas une crise de trop d’Europe. C’est une crise de manque d’équilibre. Elle dénonce la règle de Dublin : l’inscription obligatoire du réfugié dans le pays d’entrée, ce n’est pas une porte qui s’ouvre, c’est vingt-sept qui se ferment ! Le droit européen de l’accueil est incomplet. Construisons-le dans le respect de la Charte des droits fondamentaux. Gardons Schengen : l’abandonner serait dire au monde que le seul chemin, c’est le repli, la peur et la fin des libertés. Mobilisons les avocats pour obtenir une vraie Europe du droit et de l’accueil. Parlons d’une seule voix.

Une belle matinée. Je suis fier qu’elle ait porté le nom de mon père.

Elle se conclut par la signature de la déclaration de Barcelone. Les barreaux européens y proclament leur attachement aux libertés et aux droits fondamentaux, en réponse aux initiatives multiples qu’une dangereuse dérive sécuritaire inspire à nos gouvernements.

Les avocats ? Une sacrée famille !