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Moria. Chronique des limbes de l'Europe, par Marie Doutrepont

Moria. Chronique des limbes de l’Europe, par Marie Doutrepont, Bruxelles, 180° éditions, 2018, 162 p., 15 €.

C’est ce qui est arrivé à Chance, dont le prénom grince comme une insupportable ironie… Chance était caméraman au Congo, et lorsque Kabila a voulu changer la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat, en 2015, et a interdit de filmer les manifestations qui se tenaient à Kinshasa contre ce projet, il a décidé d’effectuer son métier malgré tout et de couvrir les évènements. Il a été repéré par un membre de la sécurité présidentielle, qui lui a tiré une balle dans la jambe. Comme il essayait encore de s’enfuir, le policier lui a poignardé la jambe. Il a ensuite été emmené dans une prison secrète et a été torturé de manière tellement insoutenable que j’ai du mal à vous la rapporter. Pendant huit jours, tous les jours, tandis qu’un commandant sirotait du whisky, cinq soldats l’ont ébouillanté avec de l’eau et de l’huile, écorché vif avec une pince, brûlé avec un fer à repasser et lui ont défoncé la tête et le dos à coup de barres de mine. Un jour, un des soldats a proposé de le castrer avec une tenaille, mais le commandant a décidé qu’il valait mieux le laisser mourir à petit feu. Après les séances de torture, il était enfermé dans un trou si petit qu’il ne pouvait s’y tenir assis. Au bout de huit jours, on l’a abandonné dans son trou. Il y a encore passé huit jours, il pleurait tout le temps. Deux soldats montaient la garde devant le trou ; à chaque fois qu’il s’arrêtait de pleurer, ils lui balançaient un seau d’eau, jusqu’à ce qu’ils l’entendent pleurer de nouveau. Pendant les quinze jours qu’a duré sa détention, il n’a reçu ni à manger, ni à boire.

Il a dû à un miracle d’avoir la vie sauve ; c’est finalement un garde peut-être plus compatissant que les autres, qui l’a hissé hors de son trou, disant qu’il ne voulait pas qu’il meure pendant son tour de garde, chargé dans un van et jeté au bord de la rivière. Il y a été retrouvé, inconscient, presque nu, baignant dans son sang, par un vieil homme qui l’a recueilli et soigné pendant quatre mois.

Quand il est arrivé à Lesbos, Chance a enlevé son T shirt pendant l’examen médical pour montrer les cicatrices qu’il avait subies. Son dos et son torse étaient tellement couvert de cloques rondes que le médecin a cru à une maladie de peau : il a coché la case « non vulnérable » et l’a renvoyé vers un dermatologue.

Ce qui se passe, à Moria, sous nos yeux, il ne faut pas avoir peur de le dire, c’est un crime contre l’humanité.

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