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Demain commence aujourd'hui - Mot du président - 20/02/2014
Demain commence aujourd’hui.
D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?
Aujourd’hui et demain, ce sont ces éternelles questions que le barreau belge se pose, à l’initiative de quelques jeunes avocats liégeois.
Le colloque Tomorrow's Lawyers est une de ces rares occasions qui nous permettent de confronter notre profession aux exigences de notre société. Il faut être aveugle pour ne pas se rendre compte que les modifications structurelles que les techniques d’information et de communication ou l’internationalisation de l’économie impriment à notre vie sociale ont un retentissement considérable sur les attentes des clients vis-à-vis de leurs avocats.
Pour illustrer ce propos abstrait par un exemple concret, je me contenterai de mentionner le code de droit économique que le Parlement est en train d’adopter, un peu au pas de charge et, d’ailleurs, trop souvent en négligeant les observations et les critiques, pourtant parfois fondamentales, que nous lui adressons. Nos pratiques vont devoir changer. Et ce que l’on attend de nous, par exemple en matière d’information des clients et de résolution des conflits que nous avons avec eux, modifiera nos habitudes bien plus encore que l’entrée en vigueur de la T.V.A.
Nous devons être conscients qu’il y a deux demains devant nous.
Dans l’un, la profession d’avocat assume pleinement ses responsabilités et elle continue à jouer le rôle central qui est aujourd’hui le sien dans la préservation des valeurs essentielles de notre société.
Dans l’autre elle disparait, comme le prédit Richard Susskind, ou, en tout cas, se rétrécit comme une peau de chagrin et est reléguée à des tâches secondaires.
Ce sont ces questions qui seront sur la table au colloque de Liège.
Nous devons être conscients que, plus que jamais, aujourd’hui est le premier jour du reste de notre vie professionnelle.
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Demain a commencé hier.
Les chiffres qui ont été communiqués par Amnesty international, ce 19 février 2014, sont proprement effrayants. 25 % des femmes belges auraient été victimes de viol. Ce pourcentage doublerait quasiment si on y ajoute les autres violences sexuelles et le harcèlement. 10 % seulement de ces faits seraient dénoncés à la justice. Et moins des 5 % des faits dénoncés déboucheraient sur une condamnation !
En cause, évidemment, la difficulté pour la justice de pénétrer dans le cercle familial, où la plus grande partie de ces crimes sont commis, mais aussi les lenteurs et l’inefficacité de la justice. La parole des femmes se transmet mal vers la justice des hommes.
Ces chiffres nous font honte. Ils mettent en évidence l’insuffisance des moyens qui sont donnés aux juridictions pénales, comme à toutes les autres. Mais nous devons aussi balayer devant notre porte, tous autant que nous sommes, enquêteurs, magistrats, avocats.
Si nous voulons que la justice de demain soit plus respectée que celle d’aujourd’hui, il faut qu’elle soit plus efficace, et ce n’est pas seulement une question de moyen. Nous devons aussi être conscients de la finalité sociale de nos professions. Nous sommes là pour défendre les intérêts de nos clients, certes, mais non pour paralyser l’œuvre de justice. Cela nous donne aussi d’autres responsabilités et nous devons les prendre à bras le corps dès aujourd’hui. C’est ce que souligne un récent arrêt de la Cour d’appel de Liège (10 juin 2013, J.L.M.B., 2014, p. 306), qui condamne sévèrement une partie qui a, avec l’aide de son avocat – dont le rôle est stigmatisé-, instrumentalisé la justice à des fins dilatoires. « L’arme du droit », selon le titre de l’ouvrage de Laura Israël, cité ce matin par Monsieur François Ost, dans son exposé introductif au colloque Tomorrow’s lawyers, ne peut être maniée qu’avec discernement.
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Aujourd’hui se termine demain.
Demain, nous dirons un dernier au revoir au bâtonnier Jean Leroy, dont le cœur s’est arrêté brutalement, alors qu’il était encore dans la force de l’âge.
Il était mon ami.
D’autres, en d’autres circonstances et d’autres colonnes, retraceront sa vie et diront ses immenses qualités.
Je ne le connaissais pas depuis très longtemps. Nous avions été bâtonniers ensemble, lui à Mons, moi à Liège, de 2007 à 2009. Ce laps trop court m’a pourtant permis de découvrir un homme intelligent, attentif, posé. Il savait écouter. Il savait comprendre. Il savait choisir. Il savait décider.
Nous devrons demain vivre sans lui. Mais nous continuerons souvent à nous demander, face à une difficulté, comment lui l’aurait abordée et comment lui l’aurait résolue.
À Viviane, son épouse nous envoyons toute notre tendresse et tous nos remerciements.