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Indignez-vous ! - Mot du président - 23/01/2014

Indignez-vous !

C’est le bref commandement que nous a adressé, il y a quelques années, le regretté Stéphane Hessel.

Il est des raisons extraordinaires de s’indigner.

La situation des avocats colombiens en est certainement une.

Selon les chiffres officiels, fournis par le bureau du procureur, au cours des dix dernières années, plus de 4.400 cas de meurtres, agressions, harcèlements, … contre des avocats ont été signalés en Colombie. Plus de quatre cents avocats ont été tués en Colombie depuis 1991, et onze l’ont été, dans la seule région de Valle del Cauca, durant les huit premiers mois de l’année 2013 !

Ce vendredi 24 janvier 2014 est l’occasion, pour tous les avocats européens, de manifester leur indignation. Les avocats belges se réuniront à 12h30, en robe, devant l’ambassade de Colombie, avenue Franklin Roosevelt, 96 à Ixelles.

Que tous ceux qui auront la possibilité d’être présents se mobilisent.

Il est aussi des raisons ordinaires de s’indigner.

L’affaire Wesphael nous donne l’occasion de mettre à nouveau en lumière les abus de la détention préventive.

L’article 16, § 1er, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive prévoit que, si le fait est de nature à entraîner pour l’inculpé un emprisonnement correctionnel principal d’un an ou une peine plus grave, le juge d’instruction peut décerner un mandat d’arrêt « en cas d’absolue nécessité pour la sécurité publique seulement ». Il est précisé que « cette mesure ne peut être prise dans le but d’exercer une répression immédiate ou toute autre forme de contrainte ».

Il est encore ajouté que « si le maximum de la peine applicable ne dépasse pas quinze ans de réclusion, le mandat d’arrêt ne peut être décerné que s’il existe de sérieuses raisons de craindre que l’inculpé, s’il était laissé en liberté, commette de nouveaux crimes et délits, se soustraie à l’action de la justice, tente de faire disparaître des preuves ou entre en collusion avec des tiers ».

Cette rédaction s’est substituée à plusieurs autres qui avaient été élaborées progressivement par le législateur pour contenir la propension à délivrer trop facilement des mandats d’arrêt. A « pour des raisons exceptionnelles touchant à la sécurité publique », jugé trop vague (!), on a substitué « l’absolue nécessité pour la sécurité publique seulement », parfaitement claire. Mais le comportement des juges et des juridictions d’instruction n’a pas changé.

Des mesures alternatives à la détention préventive ont été mises en place (bracelets électroniques, cautions, …) mais rien n’y fait.

À cet égard, l’affaire Wesphael n’est pas plus scandaleuse que les autres. Elle est plus médiatisée, et elle nous donne donc l’occasion d’exprimer notre indignation ordinaire. Je n’ai aucune connaissance du dossier. J’imagine que les charges qui pèsent sur Bernard Wesphael sont sérieuses. Mais si on relit le texte, on ne peut que s’interroger : y a-t-il « de sérieuses raisons de craindre » que Bernard Wesphael, en liberté, « commette de nouveaux crimes ou délits, se soustraie à l’action de la justice, tente de faire disparaître des preuves ou entre en collusion avec des tiers » ? Où trouver donc « l’absolue nécessité pour la sécurité publique seulement » qui commande le maintien de son incarcération ?

En France, pour la huitième année consécutive, le nombre de personnes placées en détention provisoire a diminué. On est passé de 23.196 cas en 2005 à 14.411 en 2012. Cela représente presque 40 % de diminution. Pourquoi n’enregistre-t-on pas le même mouvement en Belgique ?

Et ce, alors que la surpopulation carcérale est un fléau que la Belgique ne parvient pas à endiguer, qu’elle induit une promiscuité et des abus qui ont justifié plusieurs condamnations de la Belgique – encore tout récemment[1] – pour traitements inhumains et dégradants. Alors que le manque de place dans nos établissements pénitentiaires est à ce point criant que nous sommes contraints de louer des cellules au Pays-Bas. Alors que la partie du budget de la justice dédié aux installations pénitentiaires va sans cesse croissant. Alors que l’on s’attache obstinément à construire de nouvelles prisons malgré les avis d’une grande majorité de criminologues (et de directeurs de prison !) qui ne cessent de dénoncer, et de démontrer, le caractère pervers de cette politique. La prison engendre la délinquance. Elle ne la réduit nullement.

Aujourd’hui, en Belgique, on ne parvient plus à exécuter les courtes peines, tout simplement parce que les prisons sont encombrées par de présumés innocents placés irrégulièrement en détention préventive, parce que la loi est systématiquement violée.

Certains juges d’instruction, certains présidents de chambre du conseil ou de chambre des mises en accusation, s’en cachent à peine : malgré le texte clair de l’article 16, § 1er, alinéa 2, de la loi sur la détention préventive, celle-ci est une peine avant la peine. Ils dénoncent ainsi, à mots couverts, la trop grande lenteur des instructions (autre scandale ordinaire) et l’inexécution quasi-systématique des peines de prison inférieures à un an. Ne voit-on pas que ce discours est aussi vicieux qu’un cercle que l’on caresse ?

Indignons-nous !



[1] Voyez encore l’arrêt Lankester prononcé ce 9 janvier 2014 par la Cour européenne des droits de l’homme, http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{"itemid":["001-139925"]}, en même temps que quelques autres, qui condamnent également la Belgique mais uniquement sur la base de l’article 5 de la Convention.