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À côté de la montre en or ? - Mot du président - 16/06/2016

« Réussir à créer une intelligence artificielle serait un grand évènement dans l’histoire de l’homme. Mais ce pourrait aussi être le dernier… ».

Cette phrase de Stephen Hawking, délicieusement provocante, forme, avec quelques autres, la base du dernier essai de Luc Ferry : La révolution transhumaniste. Comment la technomédecine et l’ubérisation du monde vont bouleverser nos vies.

L’homme de demain sera-t-il un hybride, génétiquement modifié, informatiquement augmenté, universellement connecté ? Des promesses fécondes, mais aussi des projets délirants et des dangers effrayants.

Nous n’en sommes pas encore là. Pas tout à fait en tout cas. Mais ceux qui refusent de comprendre que ce monde est celui de demain, déjà en marche aujourd’hui, s’autocondamnent. Ceux qui ne s’adaptent pas mourront. Qui n’avance pas recule. Nous le savons tous, depuis Charles Darwin.

On ne peut pas nier l’intelligence artificielle. Elle est là. Elle va nous envahir.

Le débat n’est pas pour ou contre. Il n’est même pas quand. C’est ici et maintenant.

Puisque l’on ne peut pas nier le futur, il faut l’apprivoiser, se l’approprier, le construire, tenter de la maîtriser, le faire nôtre.

L’intelligence artificielle va permettre de traiter des quantités de données phénoménales (toutes les décisions de justice, tous les textes législatifs ou réglementaires, tous les commentaires de doctrine) et, à partir de leur analyse, de répondre à toute question précise que l’on souhaitera lui poser, même en langage usuel. Bien interrogée, elle permettra d’aboutir, en quelques secondes, à des solutions sidérantes : si j’agis sur la base délictuelle pour obtenir la réparation du dommage résultant d’un accident, obtiendrais-je gain de cause devant tel magistrat et à quelle réparation aurais-je droit ? Et si j’agis sur une base contractuelle ? Et si j’agis devant un autre juge ? Et pourquoi ne me donnera-t-il pas ce que je réclame ? Où dois-je porter l’effort pour tenter de le convaincre ?

Nous ne connaissons rien de comparable. Mais ces outils, qui s’autoperfectionnent au fur et à mesure de leur usage (ils apprennent chaque fois qu’ils sont utilisés, tout comme un programme de reconnaissance vocale s’améliore chaque fois que vous l’utilisez – à la différence qu’ici chaque progrès bénéficie à tous les utilisateurs), sont en train de se répandre en Amérique, au Royaume-Uni, en France … L’étroitesse de notre marché (et sa division linguistique) nous a, jusqu’ici, protégé. Mais, chez nous aussi, dès 2017 (au plus tard), ces incroyables logiciels seront sur le marché. Et dans deux ans, nos enfants nous diront : c’était comment avant ?

Certains de nos clients, certains de nos concurrents, certains d’entre nous, les plus riches, se doteront de cette technologie. Et ils s’assureront un avantage concurrentiel immense. D’ores et déjà, aux États-Unis, ces logiciels prédictifs sont plus performants que les meilleurs des avocats. Mais, très heureusement, et pour longtemps en tout cas, ils resteront des machines, au service de ceux qui les utilisent. Et le vrai bon service sera donc celui qui sera délivré par le spécialiste qui les aura maîtrisés.

Il faut que celui-là soit nous. Nous tous.

Le groupe de travail « L’avocat augmenté », issu du Congrès #Agissons, a négocié avec l’entreprise de développement d’intelligence artificielle juridique la plus à la pointe sur notre marché, un contrat qui, en cas d’abonnement collectif de tous les avocats francophones (et germanophones), nous permettrait de mutualiser cet outil extraordinaire et de nous en assurer l’exclusivité (quasi-totale) pendant quatre ans. Et ce, à un prix dérisoire : de l’ordre de 40€/avocat par an.

Too good to be true… ont d’abord pensé Jean-Louis Joris et Philippe Dhondt, respectivement administrateur et chef de projet de notre département informatique. Avant de se rendre compte que, non, c’était vrai, c’était là, à notre portée.

Pourtant, certains conseils de l’ordre continuent à hésiter. C’est un montant important. Est-on sûr de l’exclusivité ? Cela servira-t-il à tous ? Sera-ce fiable ? N’allons-nous pas contribuer à développer un produit qui sera, finalement, utilisé par nos concurrents ?

Ces questions sont légitimes. Il n’est pas question d’acheter un tchat dans un sac.

Mais il faut y répondre vite, car l’offre qui nous est faite ne nous attendra pas éternellement. C’est quand le train passe qu’il faut sauter dedans. Pas lorsque l’on est tout seul sur la voie, à regarder un filet de fumée qui s’éloigne avec nos beaux rêves de grandeur …

Constatant que plusieurs souhaitaient des informations complémentaires avant de se décider, j’ai proposé à notre assemblée générale une nouvelle réunion test / démonstration /explications à laquelle pourraient assister les bâtonniers et/ou les responsables de départements informatiques. Que chacun puisse juger sur pièce.

Puis chacun prendra ses responsabilités. Et il engagera son barreau. En connaissance de cause.

Mais veillons à ne pas passer à côté de la montre en or car, sinon, le réveil pourrait être dur.

#Agissons,