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Le projet Macron : est-ce que cela nous concerne ? - Mot du président

En France, les professions juridiques sont en ébullition. Le projet de loi pour la croissance et l’activité, connu sous le nom de projet « Macron », du nom du ministre de l’économie qui le porte, prévoit en effet une série de mesures qui devraient les toucher considérablement.

Je m’en tiens, dans ces quelques lignes, à la profession d’avocat qui, bien sûr, nous intéresse particulièrement.

Les incidences que ce projet de loi auraient sur la profession d’avocat sont essentiellement au nombre de quatre :

1.    Suppression des postulations. En France, si un avocat souhaite plaider devant un tribunal de grande instance autre que celui auprès duquel son Ordre est organisé, ou devant une autre cour d’appel que celle dont dépend ce tribunal de grande instance, il doit se faire assister par un avocat local, qui « postulera » à ses côtés.

Bien évidemment, cet avocat local sera rémunéré, d’ailleurs selon un tarif. Dans sa version initiale, le projet Macron prévoyait la suppression totale des postulations. Dans sa version actuelle, il ne supprime plus que les postulations « intra cour d’appel ». En clair, un avocat inscrit au barreau de Dunkerque ne devrait plus solliciter une postulation pour plaider devant le TGI de Lille, mais toujours s’il souhaite plaider à Abbeville ou à Amiens.

La plupart de nos confrères français continue à s’opposer radicalement à cette mesure. Ils font observer que les postulations représentent un chiffre d’affaires global de 110.000.000 €, dont à peu près la moitié pour les postulations « intra cour d’appel ». La perte de ces 55.000.000 € pourrait représenter, pour les avocats des petits barreaux, un coup difficile à encaisser, au point que l’on pourrait craindre que le maillage territorial des cabinets d’avocats soit affecté. Il est étonnant, cependant, de constater qu’ils s’interrogent fort peu sur l’absence totale de valeur ajoutée de ces postulations.

2.    Le projet Macron prévoit également une facilitation de l’ouverture de cabinets secondaires dans des arrondissements autres que celui dans lequel l’avocat a établi son cabinet principal. On passerait du régime de l’autorisation à celui de la simple déclaration. Il s’agit, pour le gouvernement, de favoriser la mobilité des services. Elle n’est pas toujours vue d’un bon œil, spécialement dans les petits arrondissements. Les arguments invoqués pour s’opposer à cette réforme sont cependant particulièrement peu convaincants.

3.    De façon plus fondamentale, le projet prévoit une ouverture partielle à l’inter-professionnalité et aux capitaux extérieurs. En bref, et sans entrer dans des détails qui restent d’ailleurs largement imprécis, dans la mesure où le projet de loi devrait être complété par un décret, il s’agirait de favoriser la constitution de sociétés d’exercice regroupant des titulaires de différentes professions relevant des domaines du droit et du chiffre. Plus de 50 % du capital de ces sociétés devraient toujours être détenus par les professionnels qui y exercent. Le solde pourrait être détenu par d’autres de ces professionnels, d’anciens professionnels ou des membres de leur famille.

Les barreaux de province sont très majoritairement opposés à cette proposition, faisant observer qu’elle porterait atteinte à plusieurs des principes fondamentaux sur lesquels notre profession est assise : l’indépendance, le secret professionnel, la prohibition des conflits d’intérêts.

Le barreau de Paris adopte une position plus nuancée en estimant que ces principes ne devraient pas faire obstacle à un regroupement de différentes professions juridiques dans une même société, mais qu’il n’est pas admissible d’y admettre également les gens du chiffre.

4.    Le projet Macron prévoyait également la création d’un statut d’avocat en entreprise, bénéficiant de l’indépendance et du secret professionnel, mais n’ayant pas la possibilité de plaider. Là aussi, l’opposition était vive. Nos confrères français ne pouvaient admettre, dans leur toute grande majorité, qu’un avocat puisse être subordonné à un employeur et qu’un professionnel ne bénéficiant pas de l’indépendance puisse, en revanche, être tenu au secret professionnel.

À la rentrée de Paris, au début du mois de décembre, Robert Badinter avait fustigé cette partie du projet en estimant qu’il était impossible d’admettre un statut d’avocat auquel il serait interdit de plaider. Cette proposition a, depuis, été retirée du projet Macron.

En quoi tout cela nous concerne-t-il ?

En direct, relativement peu. La plupart de ces règles ne nous concerne pas. D’ailleurs, les avocats étrangers ne sont pas soumis à la postulation, mais seulement à l’obligation d’action de concert, qui est moins contraignante (et qui pose la question d’une éventuelle discrimination à rebours, puisque nos confrères français sont, à cet égard, soumis à des contraintes plus lourdes que leurs confrères européen).

Et quant à l’exercice de la profession d’avocat en dehors de son arrondissement, les règles européennes, telles que se dégagent de l’arrêt Gebhard de la Cour de justice de l’Union européenne, nous sont également plus favorables que celles que doivent respecter nos confrères français.

Mais regardons un peu plus loin. La Conférence nationale des bâtonniers de France, qui se réunissait en assemblée générale ce vendredi 30 janvier 2015, m’avait demandé de participer, en tant que témoin étranger, à une table ronde intitulée « La loi Macron est-elle une commande de Bruxelles ? »

Je leur ai fait observer que la question me paraissait mal posée. Certes, l’article 60 TFUE prévoit que « les Etats membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà la mesure qui est obligatoire en vertu des directives arrêtées en application de l’article 59, § 1, si leur situation économique générale et la situation du secteur intéressé le leur permette. La Commission adresse aux Etats membres intéressés des recommandations à cet effet ».

Certes, l’évaluation de la nécessité et de la proportionnalité des restrictions auxquelles sont soumises les professions règlementées est actuellement en cours et la Commission a déjà recommandé à la France, comme d’ailleurs à d’autres Etats, dont la Belgique, de « supprimer les restrictions injustifiées à l’accès aux professions réglementées et à l’exercice de ces professions, et à réduire les coûts d’entrée et à promouvoir la concurrence dans les services ». Elle n’est cependant pas entrée dans les détails et, par exemple, n’a nullement pris position à ce jour, ni sur l’inter-professionnalité, ni sur l’ouverture du capital des cabinets d’avocats.

Mais ne voyons-nous pas que la vraie question est ailleurs ?

Que le plan Macron soit beau ou pas, il faut constater que notre justice est devenue aujourd’hui trop chère, trop lente, trop peu efficace. Et il est paradoxal de constater que dans un monde où les textes de droit sont sans cesse plus nombreux, il n’y a plus, nulle part, d’argent en suffisance pour financer le Service public de la justice.

Dès lors, il n’y a que trois solutions :

1.    Ou le modèle de l’Etat de droit s’étiole : notre société ne sera plus régulée par le droit, mais par l’économie, les médias ou la religion. Ces modèles sont en progression.

2.    Ou d’autres acteurs s’emparent du marché du droit : les cabinets d’audits, les agences de récupération de créances ou des sites de défense des consommateurs, par exemple. Eux aussi, sont en marche.

3.    Ou les professionnels de la justice parviennent à améliorer le fonctionnement de celle-ci pour qu’elle puisse rendre le service qu’ils attendent à l’ensemble de nos citoyens, et pas seulement aux 25 % les plus riches et aux 25 % qui bénéficient de l’aide juridique.

C’est un enjeu crucial. Il l’est pour les juges et les greffiers. Il l’est pour les avocats. Il l’est pour les français. Il l’est également pour nous.

La réflexion sur la modernisation de la justice, sur la réduction de son coût, est en marche. Le numéro spécial du Journal des Tribunaux qui paraitra à la fin de cette semaine en est un bon exemple.

Mais la réflexion sur notre profession, sur sa gouvernance, sur son organisation, sur son statut, sur ses moyens, est tout aussi indispensable.

Changer ou mourir, c’est le défi qui est face à nous.

Rendez-vous le 29 mai 2015, pour notre congrès biennal, et déjà dans les prochaines éditions de cette Tribune pour le relever.