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La généralisation des marchés publics de services juridiques : pièges à éviter !

Sur le principe, la généralisation du recours à la procédure de marchés publics pour attribuer les missions de services juridiques des administrations publiques ne souffre pas beaucoup de discussion.

Certes, il est des hypothèses où le choix d’un avocat doit nécessairement reposer sur un lien de confiance particulier, qui ne se prête pas à une quelconque catégorisation ou évaluation. Il en est ainsi, notamment, lorsqu’il s’agit de défendre l’institution – ou ses dirigeants – dans une procédure pénale, par exemple.

Mais lorsque les services à rendre portent sur un contentieux de masse (récupération de créances, gestion d’un contentieux social, par exemple) ou sur l’élaboration d’un projet de dispositions normatives ou d’un plan, rien ne semble s’opposer à ce que le choix s’opère sur la base de critères objectifs : il s’agit alors de sélectionner l’avocat qui semble le plus apte à accomplir la mission que l’on souhaite lui confier.

En pratique, les choses sont moins simples.

Premier obstacle, il faut définir des critères de sélection (ceux qui permettront de retenir les quelques candidats qui participeront au choix final) et d’attribution (ce qui permettront d’emporter la décision) pertinents.

Le barreau n’a certes pas à influer sur le choix de ces critères. Ce n’est pas à lui de dicter au pouvoir les caractéristiques du cabinet qui sera le plus apte à lui rendre le service demandé : cabinet multispécialisé ou cabinet de proximité, avocat très expérimenté ou avocat spécialisé ? Il peut cependant orienter le choix du critère pertinent pour atteindre le but recherché. La spécialisation peut s’apprécier par référence à des titres universitaires, une spécialisation reconnue par l’Ordre, des formations spécifiques, des publications. L’expérience par des listes de références, étayées le cas échéant de documents exemplatifs (pour autant qu’ils respectent le secret professionnel). L’organisation par la production de notes méthodologiques, par la démonstration de la mise en place de structures adéquates. La disponibilité par un ensemble de mesures pratiques qui permettent de la garantir …

Le coût du service est souvent un critère important. Mais il n’est pas facile à quantifier. Exiger un forfait ? Cela implique que la mission soit facile à cerner, sinon comment s’assurer que le forfait sera adapté à la difficulté et à l’ampleur de la tâche. Un tarif horaire ? Mais encore faut-il que le temps consacré au traitement du dossier soit en rapport avec sa difficulté réelle. Ne vaut-il pas mieux un bon service rendu en trois heures par un avocat très compétent, payé trois fois 200 euros, qu’un moins bon, rendu en dix heures par un avocat moins aguerri ou spécialisé, et qui le facturera dix fois 75 euros ? Pour éviter ce type d’écueil, certaines administrations limitent d’ailleurs la concurrence par le prix, soit en la pondérant de façon défavorable, soit en imposant un prix minimum qui empêche toute tentative de bradage.

Autre obstacle, il faut que la masse de travail à attribuer présentent un intérêt suffisant. Si un contentieux est partagé entre dix cabinets, cela signifiera que chacun d’eux aura dû consacrer un temps considérable (et des frais non négligeables) à la composition du dossier de soumission mais qu’il ne pourra espérer, au mieux, qu’un dixième du contentieux, tout en devant renoncer à plaider contre son nouveau client. Un avocat spécialisé en droit de l’urbanisme acceptera-t-il facilement de renoncer à pouvoir contester une décision d’octroi ou de refus de permis, à la demande d’un client privé, parce que la ville dans laquelle il a installé son cabinet lui propose d’assumer sa défense dans 10% de ce type de contentieux ?

Voici quelques questions parmi beaucoup d’autres.

Les marchés publics de services juridiques contribuent certainement à éviter des pratiques de copinage qui ne servent pas l’intérêt général. Mais ils doivent être utilisés avec discernement et intelligence si l’on veut éviter des effets tout à fait pervers.