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Le mot du président - 28/08/2013

 C’est parce que nous y croyons, profondément, à ce service public de l'aide juridique, que les B.AJ. seront en grève durant la première semaine de septembre

Cela fait 17 mois que nous discutons (disons plutôt, assistons à des réunions) au cabinet de la ministre de la justice. Objectif : Réorganiser, refinancer l’aide juridique. La réorganiser pour qu’elle soit payable. Travail de réflexion. De négociation. Et de calcul. Loin du terrain. Trop loin certainement de Cécile qui  raconte comme elle s’était battue pour que ‘son mena’ (mineur étranger non accompagné) soit accompagné socialement et reconnu réfugié en Belgique, après ce qu’il avait souffert (était-ce au Rwanda, au Congo, en Afghanistan ou demain en Syrie ?). Trop loin de Thierry dont chacun connaît le dévouement sans compter pour les mineurs, qu’ils soient ou non mena. Trop loin de Serge ou Philippe qui sont toujours là quand il faut défendre en assise ou devant le tribunal correctionnel, efficacement et dignement tel accusé ou inculpé, coupable ou innocent, qui s’est adressé au BAJ. De tels confrères, il y en a des centaines.  C’est aussi en pensant à eux que nous fermerons les Bureaux d’aide juridique durant la semaine du 2 septembre. Aussi en pensant à eux. Mais en pensant d’abord aux justiciables qui sans eux ne seraient pas défendus. Nous sommes encore nombreux à avoir connu les Bureaux de consultations et défense et certains d’entre nous se rappellent des BCG (Bureaux de consultation gratuite d’avant 1970), où les stagiaires défendaient les pauvres. On disait alors les indigents. Ces époques sont révolues. La sécurité sociale s’est développée dans l’immédiat après-guerre. Durant les 30 glorieuses. Une époque au cours de laquelle on a pu ‘mettre les moyens’, même s’il faut se battre maintenant pour les garder. Personne n’avait songé à y intégrer l’aide juridique. La première loi de financement du pro deo ne date que de 1980. La crise était déjà là et le financement n’a été que modique. Des pas importants ont été franchis depuis. De la charité qu’elle a toujours été, l’aide juridique est devenue en 2000 un vrai service public à l’attention des précarisés. Et comme tout service public, nous le voulons de qualité. Et il l’est. Les centaines d’avocats qui se dévouent chaque année pour procéder au contrôle de qualité peuvent en témoigner. Oh, certes, il y a sans doute encore des progrès à réaliser. Rappeler aussi qu’il n’existe pas au monde de service d’aide légal où la qualité des prestations des avocats soit plus contrôlée qu’en Belgique. Disons enfin que les demandeurs d’aide juridique ne sont pas toujours les clients les plus faciles…

Comme la justice, l’aide juridique n’a pas de prix mais elle a un coût. En termes de budget global sans doute . Mais aussi en termes de moyens minimum à mettre en œuvre pour qu’un avocat puisse assurer une défense efficace. Personne n’espère devenir riche en pratiquant l’aide juridique. Mais un cabinet d’avocat doit comporter un minimum d’équipement et son occupant ne sera pas percutant si en même temps qu’il ouvre son dossier, il se demande comment il paiera son loyer. Je pense Nous pensons souvent à vous, Alexandra ou Jean François,  bajistes  compétents, qui avez quitté le barreau parce que votre pratique, dans une matière qui relève quasi totalement de l’aide juridique, ne vous permettait plus de boucler vos fins de mois. Et vous êtes malheureusement loin d’être des exceptions.

C’est là qu’est notre préoccupation. Il devient difficile, et de plus en plus difficile, pour certaines matières ou certains types de dossier, de trouver des avocats volontaires. Le processus va crescendo. Et ceux qui partent sont parmi les plus chevronnés. Ils quittent le barreau ou se distancient du BAJ.

Ce service public doit être refinancé. Il n’est pas normal que l’unité de valeur de l’indemnisation ait perdu 10% en un an ni que, faute d’indexation, la montant de cette unité de valeur vaille moins en 2013 que ce qu’elle  valait en 2000.

Nous avons formulé des propositions de réformes et de refinancement. Elles sont connues et on n’y reviendra pas (voir à ce sujet la Tribune Flash du 13 août 2013).

Qu’on nous permette une seule remarque : Notre proposition la plus porteuse était la majoration des droits de mise au rôle, comme cela se pratique en France[1]. Le gouvernement l’a rejetée parce qu’il s’agirait d’un impôt complémentaire, impensable alors que les belges sont déjà fortement imposés. Ce même scrupule n’a pourtant nullement empêché le gouvernement  d’assujettir les avocats à la TVA. Et cet impôt, sans commune mesure avec la majoration de droit de mise au rôle,  porte, pour le coup,  une atteinte considérable à l’accès à la justice.  Et il est tout de même surprenant  qu’on n’ait pas prévu, en contrepartie des millions d’euros que rapportera la TVA payée par l’intermédiaire des avocats, d’augmenter quelque peu  le budget de l’aide juridique.

Le gouvernement a finalement formulé des propositions (Avant projets de loi et d’AR). Nous les avions pour bonne part critiquées. Elles sont injustes et inefficaces. Le 10 juin 2013, le Conseil d’Etat en a partiellement contesté la légalité. Depuis lors, le gouvernement est muet, n’accusant même pas réception de nos courriers. Il devient de moins en moins probable que le financement de l’aide juridique puisse être réformé durant cette législature. Quand pourra-t-il l’être sous la suivante ?

C’est pour sauver ce service public auquel nous avons cru, auquel nous croyons et dont nous entrevoyons avec crainte la disparition que nous fermerons les BAJ durant la première semaine de septembre.

Vos bien dévoués,

Patrick Henry, Président

Jean-Marc Picard, Administrateur en charge de l'aide juridique

 


[1] Où il finance 20% de l’aide juridique. Il est question en France de supprimer cette mesure mais uniquement parce que d’aucuns estiment qu’il n’est pas justifié que le financement de la justice repose sur les justiciables. Le gouvernement Français envisage donc d’augmenter le budget de l’aide légale de 60 millions €.