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Discours de prise de fonction comme président d'AVOCATS.BE

Madame et Monsieur les vice-premiers ministres, Madame le ministre de la justice, Mesdames et messieurs les ministres, secrétaires d’Etat, sénateurs et députés,

Puis-je vous dire que je suis très heureux de votre présence ce soir. Vous me faites honneur, vous faites honneur à AVOCATS.BE et vous faites honneur à la profession d’avocat.

Et, de plus, j’ai quelques mots à vous dire.

On ne peut pas continuer comme ça.

L’accès à la justice et, plus généralement, la justice sont, aujourd’hui, en péril. Rationaliser le paysage judiciaire, conscientiser et responsabiliser les chefs de corps, simplifier les procédures, harmoniser les compétences, particulièrement dans le domaine du droit de la famille, faire du Conseil d’Etat une juridiction plus rapide et plus efficace, ce sont évidemment des objectifs louables.

Mais on ne peut atteindre ces objectifs à l’emporte-pièce, sans réflexion approfondie et étude d’incidences, simplement parce que quelques lignes ont été jetées dans un accord de gouvernement, acquis à l’arraché après des négociations longues et tumultueuses à la recherche d’un consensus mou et, pour tout dire, généralement un peu fade.

La justice mérite plus de considération.

Cela commence d’abord par un financement décent, spécialement en ce qui concerne l’accès à la justice. Le sous paiement des permanences d’assistance aux personnes qui sont privées de leur liberté pendant la garde à vue et de tous ceux qui se dévouent pour assurer le service de l’aide juridique est tout particulièrement inacceptable.

C’est le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif qui ont décidé de faire de l’accès à la justice un droit, qui en ont défini les contours, qui ont décidé de les élargir. À titre personnel, en ma qualité de citoyen, je m’en suis réjoui. En ma qualité de président d’AVOCATS.BE, je ne puis qu’en prendre acte. Mais, en cette qualité, il m’appartient de dire qu’il est inadmissible qu’après avoir pris ces décisions, parfaitement respectables, le gouvernement veuille en délaisser le poids aux avocats.

Nous sommes prêts à travailler à toute amélioration du système. Nous avons fait de nombreuses propositions en ce sens : notamment pour améliorer la qualité du service ; pour en accentuer le contrôle ; pour en assurer le financement ; pour le rendre fiscalement acceptable. Nous ne pouvons, d’ailleurs, que regretter qu’elles aient si peu d’écho. Mais, quoi que l’on décide pour l’avenir, il ne peut être question de ne pas honorer les engagements qui ont été pris pour le passé et le présent.

Et que penser des conséquences pour les justiciables qui ne disposent que de petits ou de moyens revenus de la suppression de l’exonération de la T.V.A. sur les prestations d’avocat ? Au nom d’un article budgétaire fallait-il sacrifier une nouvelle fois un droit aussi fondamental que celui de l’accès à la justice ? Et on nous annonce même que certains S.P.F., dont celui de la Sécurité sociale, prétendraient refuser de payer aux avocats la T.V.A. sur les prestations qu’ils ont accomplies pour eux... Est-ce un rêve ou un cauchemar ?

À ces égards, les avocats ne peuvent que constater que l’Etat n’est plus un partenaire fiable. Il est vraiment impératif qu’il le redevienne.

D’autres chantiers sont urgents. Celui de l’informatisation est, à cet égard, emblématique. Selon une toute récente étude de l’O.C.D.E., parmi les pays faisant partie de cette organisation, nous sommes, de ce point de vue, les antépénultièmes. Derrière nous, il n’y a que l’Afrique du Sud et l’Islande ! Il y a dix mois, je participais au congrès de la C.I.B. à Kigali. Là-bas, au Rwanda, tous les actes de procédure sont transmis par voie électronique. Sans exception possible. Et ils ont, en moyenne, deux heures de panne de bande passante par jour… Mais cela fonctionne. Sans heurts. Honte sur nous, qui vivons toujours au temps des stagiaires qui partent en début d’après-midi pour leur tour des juridictions…

 

Mesdames et Messieurs les représentants des institutions européennes,

Puis-je vous dire que je suis très heureux de votre présence ce soir. Vous me faites honneur, vous faites honneur à AVOCATS.BE et vous faites honneur à la profession d’avocat.

Et, de plus, j’ai quelques mots à vous dire.

On ne peut pas continuer comme ça.

La concurrence et la transparence ne sont pas des valeurs. Pas plus, d’ailleurs, que ne le sont le secret professionnel ou le principe d’autorégulation de la profession d’avocat. Les valeurs, ce sont la liberté, l’égalité, la solidarité, la dignité, l’indépendance, la loyauté, la sécurité, la prospérité.

Concurrence et transparence, confidence et autorégulation ne sont qu’autant de moyens, qui doivent être mis au service de ces valeurs. Et, puisqu’il s’agit de moyens, ils ne peuvent, en aucun cas, revêtir la force d’absolus.

Le tout à la libre concurrence, le tout à la transparence ne peuvent donc mener qu’à l’échec, à la crise. Crise de notre système économique, crise de nos institutions, crise de notre société, crise de nos valeurs.

J’ai souvent l’impression, en étudiant les textes que les institutions européennes produisent, qui touchent à l’organisation de la sécurité, de la justice, de l’économie, de notre profession, que ces vérités premières sont oubliées.

Concurrence et transparence semblent être devenues une doctrine, que l’on suivrait aveuglément, un peu à la manière dont on vénère un gourou.

Notre système socio-politique occidental, fondé sur les valeurs républicaines, ne peut être mis à mal par des règlements ou des directives qui s’inspirent aveuglément de ces principes de transparence et de concurrence, en n’oubliant que le métier de l’avocat, sa fonction sociale, son rôle, c’est d’être acteur de justice, de préserver la sphère de l’intime sans laquelle aucun être humain ne peut se développer, de lui permettre – en toute circonstance, et particulièrement quand ses intérêts fondamentaux sont en jeu - d’exprimer sa part de vérité, de se faire comprendre. C’est à cela que servent l’indépendance de la profession, son autorégulation, le secret professionnel, le principe de libre contradiction et, dès lors, le droit d’être assisté d’un avocat dès la privation de liberté.

Ne mettez pas en péril la profession d’avocat. Elle est le socle de notre civilisation.

Comment comprendre, par exemple, que le projet de livre XIV de notre Code de droit économique interdise à tout titulaire de profession libérale, sans exception, de réclamer un paiement à son client dans les 8 jours qui suivent la conclusion du contrat lorsque celle-ci est survenue en dehors du lieu principal d’exercice de sa profession ? Ainsi, l’avocat appelé à la prison par une personne qui vient d’être mise sous mandat d’arrêt ne pourrait rien lui réclamer avant la première comparution en chambre du conseil et, dès lors, potentiellement, avant sa libération ? Est-ce de l’angélisme ou de l’absurdisme ?

 

Mesdames, Messieurs les premiers présidents, Mesdames, Messieurs les procureurs généraux, Mesdames, Messieurs les magistrats,

Puis-je vous dire que je suis très heureux de votre présence ce soir. Vous me faites honneur, vous faites honneur à AVOCATS.BE et vous faites honneur à la profession d’avocat.

Et, de plus, j’ai quelques mots à vous dire.

On ne peut pas continuer comme ça.

S’il est vrai qu’il n’y a pas d’avocat sans magistrat, il est tout aussi vrai qu’il n’y a pas de magistrat sans avocat. Et sans avocat indépendant.

Nos rôles sociaux sont indissociables et, comme l’a dit Calamandréi, nos professions obéissent à la loi des vases communicants. Déprécier l’une, c’est, automatiquement, déprécier l’autre.

Vos conditions de travail ne sont pas dignes. Les projets de réforme du paysage judiciaire et de la mobilité des magistrats ne sont pas correctement étudiés. Ils comprennent même des menaces insupportables pour votre indépendance.

Mais il faut admettre que ces réformes ne peuvent être écartées d’un revers de la main. Certaines critiques, en effet, sont fondées.

La charge de travail des magistrats est trop inégalement répartie.

L’arriéré n’est pas dû qu’à l’insuffisance de votre cadre et à cette pratique inadmissible de ne pourvoir au remplacement des magistrats qui quittent leur charge qu’avec un retard organisé.

Le débat interactif reste trop souvent l’exception malgré les promesses d’une meilleure justice, plus rapide et plus efficace, qu’il porte.

Et que dire de la réticence à appliquer des méthodes nouvelles, telles la médiation judiciaire ou, en matière pénale, les mesures alternatives à l’emprisonnement, qui seraient pourtant de nature à diminuer la surpopulation carcérale et les abominables conséquences qu’elle entraîne ?

Notre justice reste trop engoncée dans ses méthodes anciennes. Elle doit, impérativement, franchir le cap de la modernité. Et c’est d’abord une affaire d’hommes, avant d’être une question de réformes.

 

Mesdames et messieurs les représentants de la presse,

Puis-je vous dire que je suis très heureux de votre présence ce soir. Vous me faites honneur, vous faites honneur à AVOCATS.BE et vous faites honneur à la profession d’avocat.

Et, de plus, j’ai quelques mots à vous dire.

On ne peut pas continuer comme ça.

La liberté de presse est une des avancées majeures de notre civilisation. Elle vous permet d’exercer un contrôle démocratique indispensable.

Mais, aux côtés de la presse que l’on persécute, pourchasse, emprisonne ou assassine, à laquelle ceux qui sont présents aujourd’hui appartiennent, existe aussi une presse qui flétrit, humilie et assassine, souvent au sens figuré mais parfois au sens propre, et dont les exactions – je pèse ce mot – sont insupportables.

Cette presse là – mérite-t-elle d’ailleurs ce nom ?- vend de la concupiscence, de la vilénie et de la haine.

Et, en la laissant évoluer en toute liberté, sans le contrôle d’une autorité déontologique investie d’un véritable pouvoir contraignant, vous la cautionnez. Les avocats peuvent pourtant témoigner qu’une autorité déontologique, dans un pays démocratique comme le nôtre, n’est pas destinée à brider les légitimes prérogatives d’une profession. Elle la protège, en en sanctionnant les excès et en préservant ainsi sa légitimité.

J’ose dire que le refus du groupe Sudpresse de reconnaître l’autorité des avis du Conseil de déontologie journalistique est, dans ces perspectives, un signal insupportable.

 

Mesdames et Messieurs les bâtonniers, Mes chers confrères,

Puis-je vous dire que je suis très heureux de votre présence ce soir. Vous me faites honneur, vous faites honneur à AVOCATS.BE et vous faites honneur à notre profession.

Et, de plus, j’ai quelques mots à vous dire.

On ne peut pas continuer comme ça.

Nous ne pouvons plus nous contenter de sommeiller dans la douceur intra-utérine de nos vieux palais de justice. La révolution est en marche. L’homo sapiens 2.0 vit dans un monde où le temps et l’espace s’effacent. Internet c’est tout, tout le temps, tout de suite.

Nos vieilles recettes, au beurre et à l’huile, sont périmées. D’autres en ont de nouvelles, plus savoureuses, à base d’émulsions et de molécules bizarres. Sous leur pression, et sous celle de nos clients, une nouvelle profession émerge, qui en comprend 5 ou 10, de moins en moins réductibles l’une à l’autre. Comment concilier les nouveaux golden boys (et girls, de plus en plus souvent) et les disciples de Sœur Emmanuelle ?

Nous devons nous remettre en question, imaginer la profession de demain, la construire, en abandonnant nos vieux réflexes conservateurs – Marx a eu raison de dire que le droit était une superstructure destinée à préserver le statu quo. Nous avons besoin d’institutions fortes, professionnelles, attentives, prospectives, imaginatives et, tout en même temps, pénétrées de nos valeurs essentielles et déterminées à les défendre.

Parce que la tentation est grande, surtout dans la vitesse et la précipitation, surtout dans les coins d’ombre que la mondialisation ménage, surtout lorsque l’on se laisse obnubiler par une mission, aussi noble soit-elle, même s’il s’agit de la lutte contre le terrorisme ou contre toutes les mafias, d’écarter ces éternels gêneurs d’avocats, ceux qui empêchent de juger, de réprimer, de gouverner et, même aujourd’hui, de légiférer en rond, ceux qui refusent de sacrifier l’individuel au collectif, ces petites voix qui disent trop souvent non.

N’en déplaise à certains d’entre vous, j’ose dire que notre profession est en train de rater une occasion historique, en ne profitant pas de la réforme du paysage judiciaire pour moderniser nos barreaux, les regrouper, leur donner les moyens de se faire entendre et respecter, de faire entendre et respecter ces valeurs essentielles qu’elle porte mais qui appartiennent à notre civilisation. Je les citais tout à l’heure : liberté, égalité, solidarité, dignité, indépendance, loyauté, sécurité, prospérité, …

Face à la crise de la justice et de l’accès à la justice, les barreaux doivent être unis. C’est vrai à l’échelon francophone et germanophone, mais aussi à l’échelon belge et à l’échelon européen. Mesdames et Messieurs les bâtonniers du Nord du pays, Mesdames et Messieurs les représentants des barreaux européens, c’est ensemble que nous défendrons efficacement notre profession. Nous avons besoin de vous et nous sommes à vos côtés.

Imaginons ensemble la profession d’avocat en 2025. Organisons ensemble des Etats généraux de l’accès à la justice.

Il est l’heure de s’engager. Ensemble.

Il n’est sans doute pas trop tard. Mais le temps presse.

 

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,

Je vous ai un peu malmenés. Ne m’en voulez pas. On ne critique vraiment que ceux que l’on aime.

Je sais que nous vivons dans un pays aussi merveilleux qu’étrange.

Nous y jouissons de plus de liberté et de confort que jamais sans doute – et nulle part – dans l’histoire de l’humanité.

Et tous, autant que vous êtes, ici en tout cas, vous y travaillez assidument, souvent passionnément.

Mais rien n’est jamais acquis, et la liberté et le bonheur encore moins.

Et si je vous ai un peu secoué, c’est parce que je suis de la génération John Lennon. Celle qui ne peut s’empêcher d’imaginer un monde toujours meilleur, living life in peace, no countries, no greed, no hunger, un monde sans exploitation de l’homme par l’homme, un monde solidaire, un monde d’égalité, un monde de justice.

Nous pouvons mieux. Et plus.

Pour la première fois sans doute, dans l’histoire de l’humanité, nous devons apprendre à faire plus avec moins. Les cinquante dernières années du XXe siècle ont été, à cet égard, le parfait contre-exemple. Toujours plus de confort. Toujours moins d’exigences. Toujours recevoir plus. Toujours moins donner. A charge de notre planète à laquelle nous prenons plus que ce qu’elle produit, en entamant ses réserves et en la chargeant de nos résidus. Et à charge des générations futures, que nous endettons lourdement : un an de P.I.B., sans compter la charge des pensions et de la sécurité sociale…

Nous pouvons mieux pour la justice. La justice et le barreau peuvent mieux pour la société.

Alors, au travail. 

Photo : Thierry Dauwe