Prête-moi ta plume

  • Léopold, enfant secret du Royaume, par Eric Causin

    Léopold, enfant secret du Royaume, par Éric Causin, Bruxelles, Genèse éditions, 2023, 112 pages, 17,5 euros.

    De tous les documents que tu avais parcourus jusque-là, c’était le plus ancien et, à en juger par le soin qui l’avait entouré, le plus précieux… C’était un arbre généalogique… Tu repris le décryptage, mot après mot, du plus ancien vers le plus récent, car tu voulais trouver ta place. Ton attention fut attirée par quelques lettres, peu lisibles, figurant à côté de ton prénom. L’encre utilisée était différente, l’écriture paraissait plus récente, comme si son auteur avait finalement exprimé ce qu’il avait jusque-là caché… Sous l’unique prénom Léopold de tout l’arbre, une main tremblante mais ferme – tu reconnus celle de ton père – avait écrit en petits caractères : adultérin, suivi d’un point d’exclamation.

    Tes yeux se figèrent sur le texte : à plusieurs reprises, tu répétas a-d-u-l-t-é-r-i-n à mi-voix, mécaniquement. Tout en toi se figea.

    Léopold Havenith est un enfant adultérin. Par sa mère. Son père était veuf quand il a été conçu. Mais son père n’était pas le premier venu. Ou plutôt si. Son père c’était le Roi. Léopold III.

  • Solus dare - (se) donner seul, par Jacques Laffineur

    Solus dare – (se) donner seul, par Jacques Laffineur, Wavre, Mols, 2021, 158 pages, 18 euros.

    La générosité pour l’individu est une vertu morale, la solidarité pour le groupe, une nécessité économique, sociale, politique. La première, subjectivement, vaut mieux. Mais elle est objectivement à peu près sans effet. La seconde, moralement, ne vaut guère, mais elle est, objectivement, beaucoup plus efficace.

    Cette pensée d’André Compte-Sponville est le point de départ de Céline, l’héroïne de Solus dare, le nouveau roman de Jacques Laffineur.

    Céline est chercheuse en sciences humaines à Grenoble et elle a entrepris une thèse sur un thème un peu exceptionnel : Génétique et générosité : étude des interactions causales aux confins de l’éthologie, de la sociologie, de la psychologie et de l’anthropologie.

    Quel est le ressort de la générosité ? Donne-t-on d’abord pour soi ? Parce que l’on attend un retour (comme dans la chanson de Jean-Jacques Goldman : il y a une question dans « Je t’aime ») ? Ce retour est-il nécessairement matériel ? Ne suffit-il pas parfois d’un simple sentiment de satisfaction intérieur, de pouvoir se dire à soi-même que l’on a bien agi et que, donc, sans même en attendre quoi que ce soit d’autre, on peut avoir une bonne image de soi ? La fierté comme seule rétribution…

  • Les quatre vérités du procès pénal, par Bruno Dayez

    Les quatre vérités du procès pénal, par Bruno Dayez, Bruxelles, Samsa, 2023, 64 pages, 8 €.

    Le jugement est donc, du point de vue de la vérité, sa propre fin. Il se suffit à lui-même. Quel qu’il soit, il fera autorité. Après avoir clôturé les débats, le tribunal s’en est allé délibérer seul. L’effet utile de sa décision n’est pas à chercher du côté de la vérité ; il consiste essentiellement en ce que le procès s’est tenu. Il est achevé une bonne fois pour toutes. Son bénéfice principal est d’avoir mis un terme à ce qui l’avait suscité. En d’autres termes, que le jugement soit – ou non – conforme à la vérité est relativement anecdotique puisqu’il n’y a aucun lieu où se tenir pour en juger. Beaucoup plus essentiel est le fait que tout jugement quelconque, assimilé d’office à la vérité par l’effet d’une fiction juridique, ne puisse jamais être remis en question et force le respect.

    Peut-être touchons-nous là deux des causes majeures de la crise que connaît aujourd’hui notre société.

    Tout d’abord, faute de moyens, les procès se font rares. Et lorsqu’un conflit reste ainsi sans solution, parce que le ministère public a, bon gré, mal gré, classé sans suite, c’est une plaie qui reste ouverte, qui continue de saigner, de s’infecter, de contaminer.

  • Café et cigarettes, par Ferdinand Von Schirach

    Café et cigarettes, par Ferdinand Von Schirach, Paris, Gallimard, 2023, 164 pages, 20 euros.

    Lors d’une attaque terroriste à Bruxelles, deux bombes explosent dans l’aéroport et une autre dans une station de métro. Trente-cinq personnes sont tuées et plus de trois cents blessées.

    Le soir, le ministre de l’Intérieur déclare devant les caméras : « La protection des données, c’est bien beau, mais en temps de crise, la sécurité prime ».

    Ceci est le 31e des 48 fragments qui composent cet ouvrage. Cinglant, limpide. Comme la terrible maxime de Benjamin Franklin sur la sécurité et la liberté.

    Il est aussi le plus court. Les plus longs font cinq ou six pages. Des notes prises au hasard de pérégrinations, des souvenirs, des annotations de lecture. C’est parfois tendre, parfois critique, parfois ironique, voire provocateur (comme lorsqu’il se lance dans une curieuse apologie de la cigarette), toujours pertinent.

    Ferdinand Von Schirach est avocat pénaliste à Berlin. Il a écrit plusieurs romans. J’ai déjà rendu compte de deux d’entre-eux : L’affaire Collini et Tabou.

    La vérité est un thème qui l’obsède. Je le rejoins.

     

  • Les contemplées, par Pauline Hillier

    Les contemplées, par Pauline Hillier, Paris, La Manufacture de livres, 2023, 184 pages, 18,90 euros.

    Je suis sale de cette nuit dans la crasse de la Geôle. Sale des regards concupiscents des gardiens. Sale de la fouille à nu. Sale de l’air que je respire, inspiré et expiré par trente bouches avant moi. Sale d’avaler leurs haleines, l’intérieur de leur corps, le souffle de leurs entrailles. Sale de ces inconnues autour de moi, de leurs chairs ramollies qui frôlent les miennes, de leur proximité, de leur omniprésence dans mon champ de vision. Tout me dégoute.

    Ainsi commence la détention de Pauline Hillier à la Manouba, la prison pour femmes de Tunis. Pourquoi est-elle là ? Peu importe. Elle ne le dira qu’en toute fin d’ouvrage et ce n’est pas important.

    Ce qui importe c’est la bête. La Manouba. La prison. Et ceux qu’elle avale, qu’elle humilie, qu’elle broie, qu’elle réduit à la condition de bête sauvage. Machine à extirper la dignité, à nier l’humanité.

    Pourtant, dans ce lieu clos, vivent des femmes. Elles ont tué, elles ont volé, elles ont escroqué, elles ont été violées et elles ont osé le dénoncer. Elles sont coupables ou victimes. Elles ont été condamnées à la réclusion, à être des recluses. Certaines en deviennent folles. D’autres gèrent, s’adaptent, se créent un nouveau microcosme. Mais elles ont un point commun : elles sont pauvres.

    La prison c’est pour les pauvres.

     

  • La Turquie, nouveau califat ? par Ardavan Amir-Aslani

    La Turquie, nouveau califat ?, par Ardavan Amir-Aslani, Paris, L’Archipel, 2023, 422 pages, 21 euros.

    Après deux décennies de « règne » sans partage, le bilan que le président-sultan laissera dans l’Histoire sera sans doute mitigé. Outre qu’elles sont exorbitantes pour ses finances en grande difficulté, les ambitions démesurées de sa politique étrangère ont fait de la Turquie une nation qui dérange. Bien qu’ils tolèrent de moins en moins ses ambivalences et ses chantages, ses alliés de l’OTAN, comme ses partenaires économiques de l’Union européenne, se trouvent bien en peine de prendre des mesures radicales face à un allié qui reste indispensable par sa force de frappe militaire et son positionnement géographique stratégique. Conscient de son poids géopolitique, Erdogan maintient son étrange stratégie d’équilibriste, caractérisée par une forte agressivité diplomatique, dans le seul et unique but de faire avancer l’agenda qu’il a fixé pour la Turquie…

    Le Moyen-Orient, c’est comme la Belgique : si on vous explique et que vous comprenez, c’est qu’on vous explique mal…

    Pourtant, en lisant ce bel essai d’Ardavan Amir-Arslani, avocat turc inscrit au barreau de Paris, où il enseigne également la géopolitique du Moyen-Orient à l’École de guerre économique, j’ai eu l’impression de comprendre pas mal de choses. Bon, ce n’est pas tout le Moyen-Orient, mais c’est quand même la Turquie et ses voisins.

  • Libera me, par François Gibault

    Libera me, par François Gibault, Paris, Gallimard, 2014, 422 pages, 23,90 euros.

    J’ai plaidé du mieux que j’ai pu et, sans vantardise, j’ai bien plaidé. Se levant après moi, Maurice Garçon a été ignoble, commençant sa plaidoirie par ‘mon jeune confrère Griveau a fait de son mieux, je pense maintenant qu’il est temps de reprendre sérieusement point par point cette affaire’. Et, tout au cours de sa plaidoirie, quand il était obligé de me citer puisqu’il plaidait la même chose que moi, il m’a toujours appelé Griveau pour être certain que mon nom véritable ne serait pas dans les journaux. Je l’ai entendu plaider une fois aux assises, contre Floriot, et je dois à la vérité de dire qu’il plaidait à la perfection. Je dois dire aussi que son journal des années d’Occupation, inédit à ce jour et pour la publication duquel je me bats, est un chef d’œuvre. Ainsi, sans rancune, je suis bêtement objectif.

    François Gibault a mené une triple carrière. Il est d’abord avocat, et a donc plaidé aux côtés des plus grands ténors de la profession. Il fut aussi officier dans l'armée française. Il est enfin écrivain et grand défenseur de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline. Il a, notamment, publié sa biographie en trois tomes. Et c’est lui qui préside aujourd’hui à l’édition des manuscrits perdus puis retrouvés du sulfureux auteur.

  • Peurs en eau profonde, par Olivier Descosse

    Peurs en eau profonde, par Olivier Descosse, Paris, XO éditions, 2022, 494 pages, 19,9 euros.

    La culpabilité ressemble à un grand feu, disait le proverbe persan. Il ne suffit pas d’éteindre les flammes pour en anéantir les braises.

    Pourquoi toutes les femmes que Jean Sardi commence à aimer meurent-elles tragiquement ? Malédiction ? Depuis que ce plongeur émérite a perdu Marion, son épouse, au cours d’une plongée risquée au Groenland, après l’avoir abandonnée dans une grotte de glace pour aller chercher des secours et n’avoir pas été capable de la retrouver ensuite, toutes les femmes qu’il approche meurent de façon violente : accident stupide ou disparition inexpliquée.

    Mais là, les choses viennent de changer. Le corps sans pied qui vient de remonter à la surface et qui porte d’étranges traces de scarifications pourrait aussi être celui d’une de ses ex…

    lire la suite : https://latribune.avocats.be/fr/peurs-en-eau-profonde-par-olivier-descosse

  • Clandestine, par Alain Berenboom

    Clandestine, par Alain Berenboom, Bruxelles, Genèse éditions, 2023, 248 pages, 22,5 euros.

    Perry Mason nous l’a appris, le pire pendant une audience est de se laisser surprendre. Si le juge pose une question, il faut que l’avocat connaisse la réponse parce qu’il la préparée avec son client et avec les témoins lorsque c’est possible…

    Ne préparez pas votre plaidoirie, préparez-vous à plaider.

    C’est un peu ce à quoi s’attache Maître Biederman, avocaillon bruxellois généraliste auquel son fantasque ami d’enfance Errol a confié la défense de l’énigmatique Iulia, une réfugiée russe, arrêtée à Zaventem lors d’un banal contrôle douanier.

    Énigmatique, mais aussi insaisissable. Et séduisante. Maître Biederman n’est pas le seul à tomber sous son charme. Sa mère, elle-même russe juive nostalgique de l’époque stalinienne, semble trouver une nouvelle jeunesse auprès de la fascinante Iulia. Au point de concevoir le projet de s’envoler avec elle pour cette Jérusalem qu’elle avait toujours snobée jusque-là.

    Mais comment aider une cliente qui vous mène en bateau, de mensonges en semi-vérités ? Comment faire la part entre l’invraisemblable et l’inacceptable ?

    https://latribune.avocats.be/fr/clandestine-par-alain-berenboom 

  • Ernestine ou la justice, par Emmanuel Pierrat et Joseph Vebret

    Ernestine ou la justice, par Emmanuel Pierrat et Joseph Vebret, Paris, Les escales, 2022, 286 pages, 20 euros.

    Pour faire une femme médecin, il faut lui faire perdre la sensibilité, la timidité, la pudeur, l’endurcir par la vue des choses les plus horribles et les plus effrayantes. Lorsque la femme en serait arrivée là, je me le demande, que resterait-il de la femme ? Un être qui ne serait plus ni une jeune fille, ni une femme, ni une épouse, ni une mère !

    Il est vrai que ces paroles, dues à un certain docteur Montanier, ont été prononcées juste avant la guerre 14-18. J’imagine qu’elles n’auraient plus pu l’être quelques années plus tard. Mais nous savons bien qu’à l’époque, des propos identiques étaient opposés à celles qui voulaient devenir avocates et, bien plus encore, magistrates.

    Une fille remarquable était une fille qu’on ne remarque pas, qu’on oublie, qui ne fait pas parler d’elle, qui ne commente pas, ne donne jamais son avis.

    Tel faillit être le sort d’Ernestine, fille d’un drapier parisien dont les affaires étaient prospères, promise à Eugène, un jeune homme de bonne famille qui rêvait d’en faire une parfaite épouse et mère.

    ...

    https://latribune.avocats.be/fr/ernestine-ou-la-justice-par-emmanuel-pie...

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